Le secteur de la culture, des arts et des patrimoines est-il le plus négligé en République Démocratique du Congo ? Si l’on compare la richesse culturelle du pays à sa faible exposition, la réponse est oui. Sur les 964 sites touristiques répertoriés par le gouvernement, 108 sont historiques, 195 socioculturels... et 400 n’ont pas de voies d’accès ! C’est comme avoir un Château de Versailles sans route pour y arriver. Comment attirer des touristes dans ces conditions ? Malgré ses 500 tribus, il n’existe aucune littérature pour les promouvoir, aucune exhibition régulière des différentes cultures ; malgré des vedettes reconnues mondialement depuis des décennies, il n’existe aucune vraie industrie musicale au Congo et aucune cérémonie de récompenses pour les œuvres et leurs auteurs.
Le Black-out
Même la Foire Internationale de Kinshasa (FIKIN) a disparu. Perçue comme un raout médiatique « pour » Mobutu, ses successeurs n'ont jamais voulu restaurer ce rendez-vous qui devait accueillir des participants étrangers (aux années impaires) et locaux (aux années paires). Conséquence, le pays se retrouve sans manifestation culturelle d'envergure nationale ou internationale. Le festival Amani de Goma, qui célèbre la résilience des Congolais face à des décennies de guerre, ne peut à lui seul compenser ce vide.
Abidjan a son Salon international du tourisme, Londres sa Biennale d'Art Contemporain, Cannes son Festival, et la liste peut s'allonger à des milliers de villes et pays où des événements sont l'âme de l'identité locale. Et Kisangani ? Et Kinshasa ? Et Lubumbashi ? Rien. Les villes de la RDC n’abritent aucun événement régulier réellement international promouvant la culture du pays. La politique culturelle nationale est manifestement défaillante.
Tout le monde est scandalisé par un pays qui a tout (ressources minérales, forestières, etc.) pour être une puissance économique mais reste embourbé dans la misère. Souvent, on cite le vaste réseau hydrographique, la forêt avec ses espèces emblématiques, la richesse minérale, etc. Et personne ne s'indigne qu'un pays comme la RDC ne soit pas une référence en matière de culture et d’arts malgré son riche patrimoine, la diversité de sa population, l’héritage de multiples royaumes et empires, et des talents jamais accomplis. Ne sous-estimons-nous pas la valeur de la culture congolaise ?
Le contraste entre le potentiel économique et la pauvreté du pays a conduit au concept de "scandale géologique". Mais le "scandale culturel" est tout aussi réel.
Le potentiel inexploité de la diversité culturelle
Avec ses 200 groupes ethniques, la RDC englobe les cultures de presque tous les pays d’Afrique subsaharienne. Les Pende du Kasaï et les Bemba du Katanga ont des liens reconnus avec des peuples d’Afrique australe ; les Azande, Ngbandi et Alurs partagent des cultures avec des peuples du Soudan, de Centrafrique et d’Ouganda ; les tribus des Kivu avec celles du Burundi, du Rwanda, de Tanzanie ; la culture kongo s'étend jusqu'au Gabon et au Cameroun. Dès ses débuts, le pays a opté pour quatre langues nationales, mais plus de 500 langues et dialectes sont parlés sur son territoire de 2,345 millions de km², chacune reflétant un aspect unique du mode de vie congolais (gastronomie, pratiques, valeurs, croyances, etc.). Il est essentiel de valoriser et promouvoir cette diversité.
… car la Culture est aussi un Puissant Levier Économique
Hollywood a servi à disséminer la culture américaine, chaque film véhiculant le mode de vie américain. En 2022, l'industrie cinématographique américaine a généré plus de 90 milliards de dollars de revenus. En vendant au monde entier le modèle américain comme idéal, ils incitent les gens à les imiter, à connaître leur histoire, rêver de leurs villes, manger américain, adopter le style américain... et acheter des produits américains.
Ce modèle fonctionne partout où l’identité culturelle soutient l’économie. En Éthiopie, les églises rupestres de Lalibela et le festival Timkat sont des moteurs du tourisme, contribuant à 9,4% du PIB national en 2019. En Chine, le tourisme culturel a généré environ 1 000 milliards de dollars en 2019 grâce à des festivals comme le Nouvel An chinois. En Inde, Bollywood et les festivals de Diwali et Holi attirent des millions de touristes, générant 2,8 milliards de dollars chaque année. Le Carnaval de Rio attire plus de 2 millions de touristes chaque année, créant des revenus significatifs pour le Brésil.
La rumba congolaise, récemment inscrite au patrimoine de l'UNESCO, possède un potentiel comparable. Le lingala, langue de la rumba, est perçu à l'étranger comme un symbole de l'identité congolaise. S’il y a des événements autour du Français comme langue, on peut en imaginer autour du Lingala. Cependant, peu d'efforts institutionnels sont faits pour capitaliser sur ces acquis. Ces pays cités plus haut ont en commun une grande démographie. Tout comme la RDC qui, avec ses 100 millions d'habitants, représente un énorme marché, y compris pour la culture.
En valorisant son patrimoine culturel et artistique, la RDC pourrait non seulement préserver et célébrer sa diversité, mais aussi stimuler son économie et améliorer son image à l'international. Cela nécessite des investissements stratégiques, une volonté politique forte et une coopération entre tous les acteurs du secteur culturel.
The Way Out
Pour sortir de la torpeur actuelle, créativité et audace sont indispensables. Récemment, le gouvernement a octroyé des passeports diplomatiques à des personnalités comme Jean-Claude Van Damme ou Gims pour promouvoir le tourisme culturel. Quels que soient les résultats à ce jour, cet élan doit se renforcer et s'étendre à l'ensemble de la culture congolaise.
Créer des festivals annuels dédiés aux diverses expressions culturelles congolaises, telles que la "sape", la musique, la danse, les arts visuels et la gastronomie, pourrait attirer des visiteurs internationaux et promouvoir la culture congolaise. Pour soutenir l'industrie musicale, des infrastructures doivent être mises en place pour la production et la distribution de la musique congolaise, ainsi que des plateformes de streaming locales et des cérémonies de récompenses musicales. La rumba, autrefois la musique la plus exportée du continent, témoigne de la popularité internationale des chanteurs congolais des années 70-90 et des artistes contemporains.
La promotion du tourisme culturel nécessite également des politiques publiques robustes. Améliorer les infrastructures touristiques autour des sites historiques et culturels, créer des circuits touristiques et promouvoir ces destinations à l'international est essentiel. Cela est plus complexe car inclut l'aménagement des routes d'accès et la viabilisation de l'environnement autour des sites. Restaurer des sites comme l'Echangeur de Limete, ouvrir des artefacts comme le bateau de Stanley qui avait servi à débarquer au Congo en 1887, et organiser des événements pour promouvoir la gastronomie, le folklore et le street food congolais sont autant d’initiatives cruciales. Cette dynamique peut se consolider par la tenue d’événements réguliers dans différents domaines comme des Fashion Weeks pour la mode, des galas de la presse ou des Awards divers.
Archiver pour Préserver : Un Futur pour la Culture Congolaise
Aussi, il est essentiel de construire des musées et des centres culturels pour exposer l'art et les traditions congolaises. Un musée dédié à l'histoire de la rumba attirerait des millions de visiteurs, célébrant les artistes qui ont façonné cette musique à travers les générations. Bien que certaines initiatives puissent être menées par des opérateurs culturels, le gouvernement doit créer le cadre et montrer la voie.
La documentation est l’autre défi existentiel pour la culture en RD Congo. Il s’observe un manque criant de littérature, d'archives numériques et d'œuvres sur les prouesses sportives et les événements culturels du passé. Il faut aujourd’hui combler ce déficit par la création d’émissions de télévision, de documentaires et de contenus en ligne dédiés. Heureusement, la technologie permet de préserver le patrimoine culturel par des archives numériques et grâce aux réseaux, il est facile de vendre la culture congolaise à un public mondial.
Une fois ce cadre mis en place, le pays peut capitaliser sur des ambassadeurs culturels pour promouvoir son contenu. Des artistes et des personnalités peuvent produire et diffuser des documentaires, participer à des campagnes promotionnelles et des événements internationaux, attirant une audience globale. Ces ambassadeurs peuvent inaugurer des expositions et des musées, attirant l'attention médiatique.
En mettant en œuvre ces propositions, la RDC pourrait non seulement préserver et valoriser sa riche culture, mais aussi stimuler son économie et améliorer son image à l'international. Cela nécessite une volonté politique forte, des investissements stratégiques et une coopération entre les différents acteurs du secteur culturel.
Maghene Deba, chroniqueur culturel, documentariste et critique d’art