De la position de la RDC face au Rwanda devant le conseil de sécurité des Nations Unies à la rencontre entre Macky Sall et Vladimir Poutine, en passant par l’amendement de la loi électorale adopté par l’Assemblée Nationale, la 25è prorogation de l’état de siège ou la prolongation de l’opération militaire conjointe entre les armées congolaise et ougandaise, la semaine qui s’achève a été riche au niveau sécuritaire. Basée à Goma, Nicole Lufungi revient sur chacun de ces faits.
Bonjour Madame Nicole Lufungi et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de votre parcours et vos activités ?
Nicole Lufungi : Je suis Nicole Lufungi, activiste des droits humains et militante pour la promotion de la femme. Je suis chargée des programmes dans une structure citoyenne œuvrant à Beni au Nord-Kivu, dénommée JPCP (Jeunes Patriotes Consolidateurs de la Paix). Je suis également étudiante en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université Officielle de semuliki à Beni.
En début de semaine, la RDC a confirmé le soutien du Rwanda au M23, suspendu les vols de RwandAir sur son territoire et signifié sa désapprobation à l'ambassadeur dudit pays. Que pensez-vous de ces mesures ?
Nicole Lufungi : ces mesures marquent l'engagement de l'Etat congolais dans l'éradication des violences armées dans la partie Est du pays. J'encourage cette rigueur du gouvernement congolais. Les Etats ne peuvent plus continuer à se flatter puis se poignarder dans le dos.
Devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, le ministre congolais des affaires étrangères a rappelé les initiatives entamées par la RDC pour montrer sa bonne foi dans les efforts de paix et insisté sur la sincérité et la volonté politique du Rwanda, au cas où un dialogue doit avoir lieu. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Nicole Lufungi : la volonté politique et la sincérité du Rwanda c'est tout ce qui manque pour résoudre pacifiquement les différends entre les deux pays. S'il y a un dialogue, que le Rwanda soit sincère en vue que ces conflits qui ont duré plus de 20 ans trouvent enfin solution.
De son côté, le Rwanda promet de riposter en cas d'attaque sur son territoire à partir de la République démocratique du Congo. Que pensez-vous de cette position?
Nicole Lufungi : à ce que je sache, la RDC n'a pas l'intention de faire la guerre au Rwanda. Les forces armées congolaises sont en train de combattre le M23, un ennemi récidiviste. Personnellement je ne comprends pas cette agitation du gouvernement Rwandais.
Deux militaires du Rwanda ont été capturés par la RDC. Dans le cadre de la médiation, les services du président angolais ont annoncé après des échanges avec le Chef de l’Etat, leur probable libération. Quel est votre avis à ce sujet ?
Nicole Lufungi : ces militaires ont été arrêtés pendant qu'ils exerçaient une activité illégale sur le territoire national, c'est déjà une infraction ! À mon avis, quelle que soit la méditation, ces militaires doivent être mis à la disposition des instances judiciaires compétentes pour l'infraction qu'ils ont commise.
Pendant ce temps, les appels se multiplient d'une part pour une rencontre et un dialogue entre Tshisekedi et Kagame. Et d'autre part, pour la rupture des relations diplomatiques. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Nicole Lufungi : j'ai toujours cru à la puissance du dialogue dans la résolution des conflits. Le dialogue, oui, mais si les parties adverses ne manifestent pas de bonne volonté, que faire ? La RDC ne doit pas mettre à l'écart l'option de combattre sérieusement les forces négatives qui ne cessent de menacer l'intégrité du territoire national.
L'état de siège a été prorogé pour la 25ème fois et l’opération militaire conjointe entre les armées congolaise et ougandaise a aussi été prolongée. Quelles sont vos attentes à ce sujet ?
Nicole Lufungi : l'état de siège, une mesure sécuritaire exceptionnelle est en train de devenir un mode de vie au Nord-Kivu et en Ituri suite à ces prorogations devenues routinières ! Néanmoins cette 25ième prorogation a sa raison d'être étant donné la situation qui prévaut actuellement dans la province du Nord-Kivu avec cette résurgence du M23. Cependant, le président de la république ne doit pas oublier qu'il a décidé d'organiser une table ronde sur la situation sécuritaire dans l'Est du pays avant le 15 juin et ainsi décider de l'avenir de l'état de siège. Pour moi l'état de siège doit être levé puis remplacé par des offensives militaires de grande envergure, une façon de permettre aux forces armées de se concentrer uniquement sur les questions sécuritaires.
En ce qui concerne la prolongation des opérations militaires conjointes UPDF-FARDC, je dirais tout simplement que cette fois, l'ennemi doit sérieusement être traqué et que l'Etat congolais puisse doter notre armée de tous les moyens nécessaires pour combattre les terroristes ADF et d'autres groupes armés actifs à Beni et Ituri.
Mais aussi, que l'évaluation de ces offensives soit désormais tripartite UPDF-FARDC-Société civile pour permettre une franche collaboration.
À Beni et en Ituri, les massacres se poursuivent. Dans un communiqué, l'ONG DYFEGOU attire l’attention des autorités « sur la similitude des criminalités avec l’agression du Rwanda ». Quelle est votre grille de lecture?
Nicole Lufungi : j'appelle le gouvernement à ne pas négliger ce son de cloche de DYFEGOU. Comme le gouvernement a pu mettre en lumière la main noire qui soutient le M23, il est grand temps de démanteler également tous les collaborateurs locaux, nationaux, régionaux et internationaux des groupes armés qui commettent des exactions à Beni et en Ituri notamment les ADF et la CODECO.
En économie, le gouvernement congolais a signé deux projets d'accords de financement avec le groupe de la banque mondiale visant les réformes de l'électricité et de l'eau ainsi que l'autonomisation des femmes entrepreneurs. Quelles sont vos attentes par rapport à ces accords?
Nicole Lufungi : un bon pas vers le développement. Que ces projets d'accord ne restent pas sur papier, que cela puisse se matérialiser. Le peuple a besoin de s'épanouir et développer les communautés. En ce qui concerne l'autonomisation de la femme, c'est le plus important car les femmes représentent le plus grand nombre de la population congolaise (56%) et elles sont les plus affectées par la pauvreté. Cependant, il n'y a pas de développement sans sécurité. C'est donc aussi important que le gouvernement pense d'abord à sécuriser son territoire pour un meilleur envol vers le développement.
La Fédération des Entreprises du Congo (FEC) a informé l'opinion publique de l'augmentation prochaine des tarifs des services de télécommunications sur toute l'étendue de la République. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Nicole Lufungi : une dépense de plus pour les ménages congolais, malheureusement pour nous, la vie est déjà assez dure comme ça. Le gouvernement ne doit pas continuer à multiplier les taxes au détriment de sa population. Je suis contre cette façon d'agir et je demande au gouvernement de favoriser le bien-être de la population.
En ce qui concerne les droits des femmes, 401 députés ont délibéré sur le texte élaboré par la Commission Politique, Administrative et Juridique (PAJ) de l’Assemblée Nationale au sujet de la loi électorale. Le texte reformulé prévoit : « La liste qui aligne 50% des femmes dans une circonscription est exemptée du paiement de la caution ». Que pensez-vous de cela ?
Nicole Lufungi : c'est déjà un pas de plus dans le combat pour la promotion de la femme congolaise en politique. Toutefois, chaque acteur doit continuer à bien jouer son rôle pour que la participation de la femme congolaise dans tous les secteurs soit une réalité.
En justice, le procès mettant en cause l’ancien Chef de sécurité de Félix Tshisekedi s'est ouvert à la prison de Makala. Lui et ses collaborateurs sont poursuivis pour avoir, “dans une période allant de l’année 2020 au 4 février 2022, participé à un complot en vue d’attenter à la vie du Président de la République”. Quelles sont vos attentes à ce propos ?
Nicole Lufungi : que la justice joue pleinement son rôle et qu'elle reste neutre et indépendante.
Dans l'actualité internationale, Macky Sall s'est rendu en Russie pour s’entretenir avec son homologue russe, Vladimir Poutine. Le président en exercice de l’Union africaine (UA) appelle à libérer les stocks de céréales dont le blocage en Ukraine "affecte particulièrement les pays africains". Que pensez-vous de cette rencontre ?
Nicole Lufungi : cette initiative du président de l'Union Africaine est à encourager. Cependant je ne trouve pas digne le fait que les pays Africains puissent totalement dépendre des puissances occidentales même pour des simples questions comme les céréales ! Pour moi les géants africains doivent plutôt réfléchir sur comment booster le secteur agricole et industriel de l'Afrique. Nous avons des terres arables ainsi qu'une main-d'œuvre apte, alors qu'est-ce qui peut nous bloquer ?
Un dernier mot ?
Nicole Lufungi : pendant que notre pays fait face à plusieurs problèmes dont la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire dans les provinces sous l'état de siège, j'appelle le gouvernement congolais et tous les acteurs, à prendre chacun ses responsabilités en vue de résoudre une bonne fois pour toutes ces crises qui engloutissent nos communautés. Je salue la mobilisation qui caractérise actuellement le peuple congolais, le gouvernement ainsi que les partis politiques, dans le cadre de soutenir les Forces armées engagées sur le front contre les rebelles M23. Cependant j'appelle tous ces acteurs à manifester la même mobilisation contre les violences de Beni et Ituri qui ont fait plus de 10000 morts depuis 2014.
Propos recueillis par Prisca Lokale