De l’ouverture du poste frontalier de Bunagana à l’investissement de plus de 90 millions d’euros dans des contrats de sponsoring sportif en passant par la clôture de l’année scolaire sans remise des bulletins aux élèves; la semaine qui vient de s’achever a été riche en actualités. Retour sur chacun des faits marquants avec Miriame Ntumba.
Madame Miriame Ntumba, pouvez-vous nous parler brièvement de vous ?
Miriame Ntumba: Je suis mère et épouse, médecin de profession.
Le 27 juin dernier, un accord de paix a été signé à Washington entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. Quelle est votre première lecture de cet accord et de sa portée réelle pour la paix dans la région ?
Miriame Ntumba: Cet accord marque une étape symbolique importante, mais sa portée réelle dépendra de sa mise en œuvre concrète sur le terrain. Les tensions entre la RDC et le Rwanda sont anciennes et enracinées. Sans mécanisme clair de suivi, de désarmement et de justice, il est difficile de croire en une paix durable simplement à travers une signature, même à Washington.
Plusieurs forces politiques et organisations de la société civile ont estimé que cet accord reste partiel et insuffisant. Qu’est-ce qui, selon vous, manque aujourd’hui pour qu’il puisse déboucher sur une paix durable ?
Miriame Ntumba: Il manque d’abord la reconnaissance explicite des responsabilités de chaque partie dans la crise actuelle. Ensuite, l’absence d’un plan de désengagement du M23, de réparations pour les victimes, et d’un engagement régional plus large (incluant l’Ouganda et les pays voisins) limite fortement la portée de l’accord. La paix durable nécessite également la réintégration des populations déplacées et la sécurisation des zones libérées.
Le poste frontalier de Bunagana a été rouvert officiellement le 10 juillet par les autorités ougandaises, en l’absence d’officiels congolais, alors que la localité est toujours sous contrôle du M23. Comment interprétez-vous cette réouverture dans ce contexte ?
Miriame Ntumba: Cette réouverture sans consultation ni présence officielle de la RDC constitue un acte grave de souveraineté bafouée. Elle envoie un message inquiétant : les groupes armés peuvent contrôler des territoires et continuer à faire du commerce comme si de rien n’était. Cela affaiblit encore davantage l’autorité de l’État congolais.
L’année scolaire s’est achevée en RDC sans la remise des bulletins aux élèves, bien que les parents aient payé les frais d’impression. Comment réagissez-vous face à cette situation qui touche l’ensemble du territoire national ?
Miriame Ntumba: C’est une situation inacceptable et profondément préoccupante. Elle révèle non seulement un dysfonctionnement grave dans le système éducatif, mais aussi un manque total de respect envers les élèves, les parents et les enseignants. Cette crise accentue la perte de confiance entre la population et les institutions éducatives.
Selon vous, que révèle cette crise sur l’état actuel du système éducatif congolais et la gestion des ressources dans ce secteur ?
Miriame Ntumba: Elle révèle une gouvernance chaotique et un manque de transparence dans la gestion des fonds alloués à l’éducation. Cela met également en lumière l'absence de contrôle et de responsabilité à tous les niveaux, du ministère aux établissements locaux. L’éducation, qui devrait être un pilier du développement, est traitée avec négligence.
Récemment la RDC a investi plus de 90 millions d’euros dans des contrats de sponsoring sportif avec des clubs européens, dont 43 millions pour un partenariat avec le FC Barcelone. Quelle est votre réaction face à cet engagement financier ?
Miriame Ntumba: Ce genre d’investissement est choquant au regard des priorités actuelles du pays. Cela donne l’impression d’un choix déconnecté des réalités sociales et économiques. Même si le marketing international peut avoir des retombées à long terme, le moment est mal choisi et la démarche manque de transparence.
Dans un pays confronté à des besoins criants en matière de santé, d’éducation ou d’infrastructures, cet investissement est-il, selon vous, opportun ?
Miriame Ntumba: Non, cet investissement n’est pas opportun. Les ressources financières de l’État devraient d’abord répondre aux urgences vitales de la population. Les écoles sans bancs, les hôpitaux sans médicaments, les routes impraticables : voilà les priorités. Le sponsoring sportif devrait venir après que les besoins fondamentaux soient satisfaits.
Le 9 juillet, l’ancien président américain Donald Trump a réuni plusieurs chefs d’État africains à Washington pour discuter sécurité et commerce, dans un contexte de rivalité avec la Chine et la Russie en Afrique. Comment analysez-vous cette dynamique ?
Miriame Ntumba: Cela reflète le retour de la géopolitique de la guerre froide, version 21e siècle. L’Afrique devient de plus en plus un terrain de rivalité entre puissances. Toutefois, cette dynamique offre aussi une opportunité : si les dirigeants africains savent jouer intelligemment de ces intérêts, ils peuvent en tirer des avantages pour leur développement. Mais cela exige lucidité, souveraineté et vision à long terme.
Selon vous, quelles devraient être les lignes rouges ou les priorités de la RDC dans ce nouveau jeu d’influence internationale sur le continent ?
Miriame Ntumba: La RDC doit avant tout protéger sa souveraineté, refuser toute instrumentalisation dans les conflits d’intérêts étrangers, et négocier sur la base de ses propres besoins. Ses priorités doivent être la sécurité intérieure, la réforme institutionnelle, le développement des infrastructures, l’éducation, et la diversification de son économie. Les partenariats internationaux doivent être alignés avec ces objectifs, et non dictés par des agendas extérieurs.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka