Dix ans de la Lucha : le sens et l'avenir de notre lutte

LUCHA
Ph. droits tiers

Tribune (Par Serge Sivya, militant de la Lucha)

Ce 1er Mai 2022 le mouvement citoyen Lutte pour le Changement, LUCHA commémore son 10e anniversaire. Cette date a été choisie par le mouvement en référence au 1er mai 2012, jour de la première action de notre mouvement dans la ville de Goma où la Lucha est née.  En réalité, les premières réunions de ce qui était devenu la LUCHA avaient eu lieu au mois de Mars de ladite année.

Dans le cadre de cette commémoration, nous avons jugé utile de parler de nous, notre identité en tant que LUCHA. En effet, notre mouvement est peu connu de beaucoup de gens pour la simple raison que nous parlons plus de nos actions que de notre identité, de ce que nous sommes et de l'essence même de notre lutte. Ainsi, d'aucun se fait une idée sur nous en interprétant selon son paradigme nos actions de terrain ou en écoutant des opinions sur nous et sur la lutte que nous menons. Voila pourquoi ce jour, nous parlons de nous c'est-à-dire de la LUCHA et de son identité.

Pour ce faire, nous y allons en répondant aux questions les plus récurrentes qu’on nous pose. Si au delà de ces questions, il y a d'autres que vous avez, vous pouvez les poser ensuite et l'on pourra y apporter des réponses.

Voici donc les réponses aux questions qui nous sont souvent posées :

  1. Comment a commencé la LUCHA et quelle est la motivation des luchéens?

R/ La LUCHA est née en 2012, à l’initiative d’un groupe des jeunes révoltés à la fois par la situation du pays en général, et une perspective d’avenir confuse pour la jeunesse, en particulier. Alors étudiants ou récemment diplômés nous voyions les difficultés qu’avaient nos ainés à trouver un emploi ou à réussir dans le secteur privé, souvent informel. Dans l’administration publique, les salaires sont dérisoires et irréguliers. Et même là, il est rare d’entendre parler « d’offre d’emploi ». Les ONG quant à elles offrent un tout petit débouché et n’emploient que ceux parmi les jeunes qui ont bénéficié d’une bonne instruction ou dont les familles ont de bonnes relations. La plupart des jeunes diplômés universitaires finissent comme gardiens de sécurité, petits commerçants, chauffeurs de taxi, et surtout demandeurs éternels d’emploi. Voilà ce qui devait nous attendre, nous aussi: devenir des sans emplois de carrière ou nous contenter des petits boulots dans la logique de "l'article 15": la débrouillardise.

Notre premier souci fut naturellement de dénoncer ce système aliénant pour la jeunesse, et de réclamer des politiques de promotion de l’emploi des jeunes. Le 1er Mai 2012 nous avions donc organisé une action consistant à placer quelques dizaines des calicots de fortune dans des lieux stratégiques et de forte concentration de la ville de Goma comme des marchés, des universités, des carrefours et des bâtiments abritant certaines institutions publiques. L’action avait eu d’écho dans la ville, surtout en milieu des jeunes. La deuxième manifestation qui devait suivre avait été prévu pour le 30 Juin 2012 et l’idée était de dénoncer les multiples tueries dans la ville de Goma mais hélas, le 29 Juin, alors qu’ils mobilisaient pour la dite action, 5 militants avaient été arrêtés par l’Agence Nationale de Renseignement, ANR. Ils avaient passé 8 jours aux cachots de l’ANR Goma. Après cet incident, nous avions continué d’autres actions pour exiger des bonnes routes, l'accès à l'eau ou encore la sécurité des personnes et très vite, nous nous sommes rendu compte que le problème était global et profond. En effet, la corruption, un système d’éducation obsolète, l’insouciance des autorités par rapport aux questions d’intérêt général y compris l’offre de services sociaux de base, c’est de cela dont il fallait s’occuper. Chaque problème qui nous préoccupait et faisait objet d’une action débouchait sur la même conclusion: il y a un problème de gouvernance.

Bref, la motivation des luchéens au tout début et actuellement c’est l’indignation face à la situation de leur pays où les conditions de vie sont précaires et où les générations montantes vivent dans l’incertitude du lendemain. Cette indignation est aussi lié au paradoxe de notre pays qui est naturellement béni mais a un peuple des plus pauvres au monde à cause de la mal gouvernance.

  1. Comment la LUCHA définit-elle le problème de la RDC et quel rôle espérons-elle jouer pour apporter sa contribution à la résolution de ce problème?

R/ Lors de nos séances de Luchologie d’initiation, nous utilisons un outil simple pour expliquer comment dans la LUCHA nous définissons le problème de notre pays. Cet outil c'est l’arbre à problème.

Sur cet arbre, les feuilles représentent les manifestations extérieures du problème congolais par exemple l’insécurité, le chômage, l’éducation inadaptée, le manque des services sociaux de base et que sais-je. Mais le tronc de l'arbre qui soutient ces problèmes visibles c’est la mauvaise gouvernance, la megestion de la chose publique qui est due soit à un manque des compétences nécessaires ou carrément à ce qu’on appelle dans notre pays "manque de volonté politique" dans le chef de ceux qui sont censés diriger le pays. La mal gouvernance n’est pas un problème actuel au Congo. Depuis les années Mobutu elle est là. Il est même arrivé à un moment qu’on puisse utiliser le mot "Kléptocratie" pour designer la gestion du Zaïre. Donc, la megestion a un autre soubassement sur lequel elle s’appuie et qui constitue les racines de notre arbre et ce soubassement est encré dans la mentalité du peuple congolais, une mentalité  caractérisée par la conception inversée du rapport entre gouvernants et gouvernés. Cette conception inversée, et bien sûr erronée, c’est celle de penser que les gouvernants sont au-dessus des gouvernés et que ces derniers ne peuvent que subir les décisions des premiers dans une sorte de soumission parentale. C’est cela le problème central de notre pays: un peuple qui ne sais pas assumer sa souveraineté, qui n’est pas suffisamment exigent vis-à-vis des autorités pour chaque fois leur demander des comptes de leur gestion de la chose publique.

Voilà pourquoi notre mission est d’emmener les congolais à prendre conscience de leur pouvoir citoyen, à se mobiliser chaque fois que cela est nécessaire pour exiger des comptes à ceux qui dirigent à la destinée du peuple.

Pour faire simple, et c'est la phrase la plus importante à retenir sur la Lucha, voici notre théorie de changement : “si les congolais deviennent conscients de leurs pouvoir citoyen, et s'ils deviennent exigeants envers les gouvernants, alors ceux-ci se sentiront redevables  et travailleront à l'avènement du Congo Nouveau: uni, libre, paisible et prospère”. Toutes nos actions ont donc pour but d’éveiller la conscience des congolais à être conscients de leur pouvoir citoyen et exigeants face aux autorités. (Tel est notre credo).

  1. Quel est l’approche ou la méthode d’action de la LUCHA?

R/

  • Nous sommes indépendant de tout parti ou personnalité politique, de toute organisation et de tout courant idéologique.
  • Nous avons choisi d’être un "mouvement de fait". Chacun de nous fait prévaloir ses droits et ses libertés individuels garantis par la constitution, et son libre choix de les exercer avec d’autres Congolaises et Congolais qui partagent la même vision et la même lutte.
  • Nous menons des actions non-violentes de terrain et organisons des séances d’éducation citoyennes. Notre action est essentiellement pédagogique.
  1. Comment la LUCHA est-elle organisée et comment devient-on membre?

R/ Les 53 sections éparpillées dans le pays et dans la diaspora constituent les unités fonctionnelles de la LUCHA. Chaque section a 5 cellules, qui sont: Communication, Documentation, Luchologie, Opération et Solidarité. Chaque section a aussi un foyer local composé de 7 personnes.  Au niveau national, nous avons un Foyer Stratégique composé de 11 personnes issues des toutes les cellules nationales. Nous avons également un comité des gardiens composés des initiateurs du mouvement et de ceux qui finissent honorablement leur mandats au sein du Foyer Stratégique. Pour devenir membre de la Lucha, il faut suivre la Luchologie d’initiation pendant au moins 6 mois puis décider de signer son acte d’engagement en adhérant sans relâche à notre charte.

  1. Comment nos actions sont-elles financées?

R/  Par des cotisations des militants, des dons inconditionnels des sympathisants ou alliés. Des ONG qui soutiennent les défenseurs des droits de l'homme nous viennent en aide lorsque nous avons des cas des militants arrêtés. Nous bénéficions donc de leur part de l’assistance judiciaire et substantielle. Pour certaines campagnes spécifiques nous mobilisons de l’argent auprès des alliés et amis de la Lucha, notamment à travers des canaux des NTIC sur Internet. Il faut dire que pour raisons d’indépendance et de pédagogie, nous menons nos actions avec nos moyens des bord.

  1. Quelles est la signification de nos coalitions?

R/ Chaque fois qu’il y a des congolais qui s’expriment ou agissent à la faveur des questions d’intérêt général, en tant que mouvement citoyen, nous ne nous retranchons pas de ces genre d’initiatives. Nous luttons en synergie avec les autres mouvements, des organisations de la société civile ou des groupes de confessions religieuse. Mais également avec des partis politiques comme par exemple lorsqu’il fallait empêcher à Joseph Kabila de briguer un 3e mandat.

  1. À quels défis la Lucha est-elle confrontée?

R/

  • La LUCHA est confrontée au fatalisme qui caractérise beaucoup de congolais qui ne croient pas au changement. Ils disent que Le Congo est mort et il n'y a pas moyen de changer la donne.
  • Un autre défi que nous avons c'est la méfiance que certains ont envers nous tout simplement parce que nous sommes jeunes. "Ils sont jeunes, que peuvent-ils apporter comme changement face aux problèmes gigantesques du pays? Se demandent-ils.
  • La répression est aussi un de nos grands défis. Il y a pas mal des personnes qui voudraient adhérer à notre lutte mais ont peur d'être arrêté, emprisonné, ou de mourir.
  1. Que deviendra la Lucha dans l’avenir?

R/ Dans l'avenir, il faudra que la Lucha soit ce qu'elle est avant tout, c'est-à-dire: Un état d'esprit. Pour cela il faut que nous nous investissions dans l'Education Populaire et cela doit se faire de façon intentionnelle.