De la célébration du soixante et unième anniversaire de l'accession de la RDC à l'indépendance, aux réponses du président Tshisekedi sur le vaccin AstraZeneca, en passant par les explosions des bombes artisanales à Béni et la prorogation de l'État de siège, l'actualité de cette semaine a été très intense. Rose Kahambu, présidente de la Dyfegou décrypte cette actualité pour le desk femme dActualité.cd
Bonjour Madame Rose Kahambu Tuombeane et merci surtout d’avoir accepté de nous accorder de votre temps. Au cours de cette semaine, la RDC a célébré son soixante et unième anniversaire d’accession à l’indépendance. Quel bilan politique dressez-vous de ces six premières décennies ?
Rose Kahambu : mon bilan est à la fois positif et négatif. Pendant les soixante années depuis l’accession à l’indépendance, le pays a pris un élan de démocratie. Bien que les manifestations soient encore quelques fois étouffées, il y une certaine liberté d’expression. Les critiques sont de plus en plus sévères à l’égard des hommes politiques congolais à travers les médias, chose qui n’existait pas avant. Par rapport à l’organisation des élections, même si nous avons encore des soucis concernant le respect des mandats, nous serons bientôt à la quatrième législature. Nous nous efforçons d'organiser les élections. En termes de négatif, il y a beaucoup de choses sur le domaine diplomatique et politique. La RDC poursuit à un pourcentage encore un peu plus élevé la politique de la main tendue vers l’occident, les colonisateurs, les Ong internationales. Et cela affecte la gouvernance. Le pays ne parvient pas encore à trouver des accords gagnants-gagnants surtout en faveur du retour de la paix à l’Est. Le gouvernement n’a pas encore développé une politique de transformation de nos ressources du sol et du sous-sol.
Au sein des instances institutionnelles, les défis pour l’atteinte de l’égalité des sexes demeurent malgré des avancées en termes de loi. Selon vous, que faudrait-il faire pour relever ces défis ?
Rose Kahambu : j’ai toujours pensé que la question d’égalité des sexes au sein des institutions en RDC trouve sa source dans les partis politiques. Les gens qui gèrent les institutions viennent des partis politiques. Il faudrait amener les femmes congolaises à comprendre que la politique n’est pas l’apanage des hommes uniquement, qu’évoluer en politique ne fait d’elles des femmes aux mœurs légères. Plutôt, les conscientiser à adhérer aux partis politiques, peu importe la tendance, à se former dans tous les secteurs, à se préparer professionnellement. Il faudrait aussi conscientiser les femmes à croire en d’autres femmes, qu’elles apprennent à se voter mutuellement et faire la promotion des compétences des femmes. Lorsqu’elles seront majoritaires au sein du parlement, elles porteront haut leurs voix pour l’intérêt général et pour les droits des autres femmes. Conscientiser les femmes leaders à s’unir avec celles qui évoluent dans d’autres secteurs. En dernier lieu, il faudrait également amener les autorités à appliquer les lois qui existent en faveur de la parité.
En sécurité, un couvre-feu a été décrété par le maire de la ville de Beni, à la suite des explosions des bombes artisanales qui ont occasionné la mort d'au moins deux personnes. Les présumés ADF auraient recouru à cette méthode alors que la province du Nord-Kivu se trouve en plein état de siège. Comment analysez-vous cette situation ?
Rose Kahambu : en tant qu’activiste informée, je ne mettrais pas en lien cette attaque et l’Etat de siège parce qu’il s’agit d’un phénomène dont les racines se sont propagées dans l’armée et dans les communautés. Il est inconcevable que l’ennemi puisse pénétrer dans la ville de Beni et pouvoir placer des bombes artisanales. Nous devons nous unir en tant qu’activistes. Je pense que la vigilance de nos services de sécurité aura également fait défaut. Mais cela nous encourage à maximiser la sensibilisation dans nos communautés, tout en recommandant à nos services de multiplier des stratégies. C’est notamment pour cette raison que nous avons lancé la campagne Surcico (Surveillance intercommunautaire).
Quels mécanismes les Forces armées et policières congolaises devraient-elles mettre en œuvre pour anticiper les potentielles stratégies d’attaques des miliciens?
Rose Kahambu : Premièrement, nos forces devraient être assainies, nous ne le diront jamais assez. L’armée est infiltrée. Tant que l’ennemi sera dans l’armée, occupant de hautes fonctions, nous n’aurons pas la paix. Comment pourra-t-il combattre ses frères, des troupes étrangères ? Il trahit nos forces, livre des secrets militaires, des renseignements. Le Chef de l’Etat devrait songer à assainir nos forces armées. Il faut par exemple les écarter de la zone opérationnelle. Nous avons besoin de militaires patriotes. Nous avons une armée très forte mais infiltrée. A ce premier mécanisme s’ajoute le renforcement de la surveillance sur nos frontières. Il n’y a aucun service qui veille sur la sécurité et la protection de nos frontières. C’est ainsi que l’ennemi entre et recrute. Il faut également attaquer les miliciens. Soit ils répondent à l’appel du gouverneur militaire et déposent les armes, soit on les traque. Que le recours à la force intervienne après avoir assaini l’armée et appelé la population à soutenir les actions de l'armée.
Pendant ce temps, l'État de siège a été prorogé pour la troisième fois. Que faire pour garantir le rétablissement effectif de la paix dans la région Est de la RDC ?
Rose Kahambu : assainir l’armée, impliquer la population dans la surveillance (encourager et protéger ceux qui dénoncent, suivre les cas dénoncés et sanctionner sévèrement les auteurs des massacres).
Dans une interview datant du 01 juillet, le Chef de l’Etat a affirmé ses doutes au sujet du vaccin Astra Zeneca pendant que de nombreuses personnes se sont fait vaccinées contre la Covid-19 grâce aux premières doses de ce même vaccin en RDC. Que faudrait-il faire pour une riposte efficace contre cette pandémie ?
Rose Kahambu : lors du lancement de la campagne de vaccination en RDC, le Chef de l’Etat avait voyagé pour l’étranger. J’avais en ce moment-là compris sa position par rapport au vaccin AstraZeneca. En termes de stratégie efficace, nous devons investir dans la prévention de la maladie par le respect strict des gestes barrières en attendant la venue d’un vaccin fiable et crédible.
Concernant l’homme politique, Vital Kamerhe, le Chef de l’Etat a affirmé qu’il était quelqu'un de « sérieux et de correct (...) et selon sa conviction, Kamerhe jouera de nouveau un rôle dans ce pays ». Avec sa peine déjà réduite de 20 à 13 ans, faudrait-il espérer sa probable remise en liberté ?
Rose Kahambu : oui, il y a de l'espérance après les réponses du Chef de l'État sur cette question. Cependant, si effectivement Vital Kamerhe avait détourné des fonds publics, il devra rester en prison. C'est aussi cela la lutte contre l'impunité.
Félix Tshisekedi veut aussi une relation de « coopération avec les pays voisins », notamment avec le Rwanda. Ce qui justifierait les accords conclus le week-end dernier avec le président rwandais. En ce moment où les organisations de la société civile réclament l’exploitation du rapport Mapping et que les propos négationnistes de Paul Kagame sur les massacres à l’Est de la RDC offensent, est ce opportun de s’engager autant au niveau économique ?
Rose Kahambu : en tant que Dyfegou, nous soutenons la mise en application du rapport Mapping. Je crois que le Chef de l'État, en signant ces accords, est également conscient de la lutte pour l'accès à la justice des victimes des crimes commis notamment par le Rwanda. Ces accords n'excluent pas cela. Le Tribunal international spécial pour les crimes commis en RDC doit être instauré le plus tôt possible pour sanctionner leurs auteurs. Que ces accords ne puissent empiéter sur l'accès à la justice de la RDC.
Pour terminer, quels sont aujourd’hui, 61 ans après l’indépendance, les défis pour garantir aux congolais de meilleures conditions sociales ?
Rose Kahambu : le grand défi, c'est de trouver à la RDC des hommes politiques vraiment altruistes. Sur un effectif actuel de 100 hommes politiques, on peut estimer que seuls 10 sont altruistes alors que tout le reste est composé d'hommes égoïstes. Ceux qui mettent en valeur leurs intérêts. Nous souhaitons que dans les prochaines échéances électorales, les hommes altruistes soient élus majoritairement pour prendre des décisions en faveur de l'intérêt général et que ces derniers puissent améliorer le quotidien de nos populations. Nous avons tout. Il nous suffit d'avoir des politiques hommes et femmes avec volonté de dépasser leurs propres intérêts.
Un dernier mot ?
Rose Kahambu : j'en appelle à tous les congolais à pouvoir tirer des leçons de nos soixante et un an d'indépendance. Dans la tradition africaine, une personne qui atteint cet âge commence à être appelée "vieux". Et la vieillesse fait allusion à la sagesse. Je nous appelle à la prise de conscience en ce qui concerne nos droits, notre rôle dans la gouvernance de ce pays démocratique. Nous devons aussi nous informer sur le choix à faire. Nous devons préparer notre jeunesse à retrouver les valeurs que nous avons perdues.
Présidente de la Dynamique des femmes pour la bonne gouvernance (Dyfegou) lancée en 2014 et consacrée au rétablissement de la paix à l’Est de la RDC ainsi qu'à l'émancipation de la femme, Rose Kahambu est également activiste et militante pour la paix depuis 2009. Elle a aussi été journaliste à la RTNC Butembo-Beni, Collaboratrice de Institute for War & Peace Reporting, et des plusieurs autres organisations.
Propos recueillis par Prisca Lokale