La République des inconscients (Une chronique du Pr VOTO)

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Aujourd'hui, on vous propose cette chronique du professeur Adolphe Voto.

"RDC, la République des inconscients". Le titre n'est pas de moi. Il est de Modeste Mutinga, journaliste de profession, patron du quotidien Le Potentiel paraissant à Kinshasa, converti depuis en homme politique.

L'auteur procédait ainsi sous ce titre provocateur à un réquisitoire de la classe dirigeante congolaise qui ne prend pas la mesure des enjeux auxquels le pays est confronté. "Ceux qui nous dirigent sont-ils des hommes d'État ou des politiciens" ? Telle est le questionnement qu'il soulève dans ce livre. Une tentative de réponse est donnée par un autre aîné, le professeur Yoka Lye : un politicien rêve de la prochaine élection, un homme d'État rêve de la prochaine génération.

Mais s'agit-il d'une inconscience des seuls dirigeants ou d'une inconscience collective ? Chaque peuple mérite ses dirigeants, dit-on.

"INCONSCIENT", c'est le mot qui a failli plonger le pays dans une guerre civile la semaine dernière. Il a fallu de si peu. Il aurait suffi qu'il y ait un mort dans l'un ou l'autre camp, pour que ça déborda. A voir la parade des jeunes de l'Udps et du Pprd à Kinshasa et à Lubumbashi ; ces milices préparées depuis des années à la violence et à la confrontation, aucun d'eux n'aurait accepté la "défaite". La police serait débordée et le pays aurait pris feu.

Dieu merci, les choses se sont calmées. L’auteur des propos ayant fait débordé le vase a pris son courage pour demander pardon au Président de la République qu’il a traité d’inconscient devant l’Assemblée nationale. Mais cet incident devrait  interpeler les Congolais par rapport aux responsabilités des uns et des autres vis-à-vis de la nation. Sommes-nous vraiment conscients de nos actes, de nos propos et de notre devoir, de notre responsabilité, dirigeants comme citoyens, vis-à-vis de la patrie ?

Pendant la transition 1+4, Monsieur Azarias Ruberwa, Vice-président en fonction, a qualifié la RDC d’un Etat voyou. Qu’un cadre au sommet de l’Etat traite son pays d’un Etat voyou alors qu’il est lui-même au gouvernement, cela ne devrait nous laisser indifférent. Il faut ajouter à cela la perception des Congolais par l’étranger, notamment certains voisins qui nous qualifient de BMW, attendez,  Beer, Music and Women. Le Congolais est donc quelqu’un qui adore la bière, la musique, les femmes et oublie le reste.

La question mérite d’être posée : Sommes-nous effectivement un Etat voyou ? Sommes-nous des BMW ? Sommes-nous, Congolais effectivement, dirigeants et citoyens compris, des inconscients ?

Nous avons souvent  des réactions épidermiques lorsque nous sommes ainsi traités. Mais de fois, ça vaut la peine de s’interroger soi-même sur ce que nous sommes réellement. 

Lorsqu’un député traite le Chef de l’Etat d’inconscient devant une Assemblée Nationale, au point de soulever une vive réaction de la base du parti présidentiel, ne sommes-nous pas inconscients ?

Lorsque la Présidente de l’Assemblée nationale laisse libre cours au débat sur une ordonnance présidentielle alors que le Président de la République est irresponsable devant le parlement, lorsqu’elle va jusqu’à demander la non-exécution d’une ordonnance présidentielle par le gouvernement, ne sommes-nous pas inconscients ?

Lorsque les partisans du Président de la République envahissent le siège inviolable du parlement, agressant n'importe quel député au passage, n’est-ce pas que nous sommes inconscients ?

Lorsque nous avons tout politisé et tout tribalisé : armée, administration, universités, entreprises publiques, etc. n’est-ce pas là une preuve d’inconscience ?

Lorsque nous avons dépecé la Gécamines, la poule aux œufs d’or qui finançait  le gros du budget de l’Etat pour créer nos entreprises privées, vendre des parts et brader le reste, ne sommes-nous pas inconscients ?

Lorsque nous avons détruit la SNCC pour la remplacer par nos véhicules remorques pour transporter les minerais, alors que la SNCC faisait vivre des millions des Congolais qui profitaient du train pour se déplacer et vendre leurs  marchandises ; alors que Stanley qui a créé ce pays a déclaré : ‘’sans le chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny’’, n’est-ce pas que nous sommes inconscients ?

Lorsque nous avons racheté à vil prix toutes les maisons de l’Etat à la Gombe pour les revendre dix fois plus cher au lendemain à des étrangers au point que les institutions de l’Etat se retrouvent locataires à la Gombe auprès des privés, ne sommes-nous pas inconscients ?

Lorsque nous modifions les lois de la Républiques pour les adapter à notre propre condition, pourvu que nous en tirions le maximum de bénéfice, n’est-ce pas que nous sommes inconscients ?

Lorsque nous avons marchandé les mandats des députés et sénateurs au grand jour pour placer au parlement des personnes qui n’ont pas été élus et qui n’ont aucune confiance de la population au nom de qui ils parlent, n’est-ce pas que nous sommes inconscients ?

Lorsque le monde crie à la corruption des dirigeants et des juges mais que les procureurs congolais ne voient rien, n'est ce pas que nous sommes inconscients?

Lorsque la haute cour invalide les députés de l’opposition, permute ceux de la majorité par un verdict inique, exposant ainsi le pays à une instabilité politique après des élections qui ont coûté du sang et de l’argent au pays, ne sommes-nous pas inconscients ?

Lorsque des élèves droguent et violent leur condisciple de 13 ans et que les juges les acquittent tout simplement parce que le commentaire appartient à une certaine famille, n'est ce pas que nous sommes plus qu'inconscients ?

Nous avons atteint, dirigeants et citoyens, un degré d’inconscience et de d'échéance morale tel que le monde nous regarde, étonné de ce que nous sommes en train de faire de ce beau pays que Dieu nous a donné, au point de dire que les Congolais ne méritent pas ce pays.

Léopold II a volé le caoutchouc aux Congolais en leur coupant les mains, les Belges ont vendu l’uranium du Congo aux Américains, les Rwandais pillent le coltan, les Chinois s’accaparent gratuitement du cobalt, le Tchad attend prendre l’eau du fleuve Congo de gré ou de force, le monde s’organise pour s’accaparer de nos forêts et de nos terres arables, certains pays voisins ne cachent pas leur ambition d’annexer une partie du territoire congolais. Pendant ce temps, nous sommes inconscients de ce qui nous attend demain. Notre inconscience et notre insensibilité a atteint un degré tel que nous ne nous soucions même pas de l’avenir de nos enfants. Ce qui nous importe, c’est aujourd’hui. Nous ne nous préoccupons pas de ce que nous allons léguer comme pays à nos enfants. Nous ne nous soucions pas s’ils seront chassés de la terre de leurs ancêtres. C’est cela justement de l’inconscience congolaise.