Nick Elebe (OSISA) : « La démocratie ne peut s’accommoder d’un espace médiatique fermé ou persécuté»

Allocution de Nick Elebe, Directeur-pays d’Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA), à l’occasion de l’an 1 d’ACTUALITE.CD « Face à ce postulat, la conscience de l’acteur politique et des institutions doit être interpellée. En effet, la démocratie ne peut s’accommoder d’un espace médiatique fermé, persécuté ou brimé. Ces derniers jours, nous avons été les témoins d’atteintes graves à la liberté de la presse qu’il convient de condamner de la façon la plus énergique. Dans ce contexte de crise politique, la carte de presse doit être respectée, le matériel du journaliste protégé et la salle de rédaction sanctuarisée. »

Quel rôle pour un média d’information en ligne dans un contexte de crise politique ?

Nick Elebe, Directeur-pays d’Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA), à l’occasion de l’an 1 d’ACTUALITE.CD Kinshasa, Hôtel Sultani, le 05 août 2017 Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, Je tiens de prime abord à remercier actualité.cd pour cette invitation. Je félicite de même cet organe de presse pour le professionnalisme, la créativité et l’engagement dont il a fait montre durant cette première année d’exercice. Dans un contexte de crise de modèles, votre succès et votre potentiel de progrès constituent une source d’encouragement à l’excellence, au sens du travail bien fait et au volontarisme nécessaires pour relever ce pays et son secteur des médias. Il est incontestable que le secteur médiatique congolais a fait un boom sans précédent dans les années 90. La démocratisation aidant, un nombre impressionnant d’organes de presse écrite, audio et télévisuelle ont vu le jour avec des fortunes diverses. Toutefois, le secteur des médias congolais n’a jamais réussi à s’élever au rang d’une véritable industrie. La raison de cette déconfiture est à trouver dans le modèle économique choisi par les maisons de presse. Elle est également à trouver dans le contexte ambiant de crise économique. Ceci notamment à cause du coût exorbitant des intrants, de l’absence d’imprimeries appartenant aux médias, mais aussi par la situation économique et financière des clients. Le Congolais moyen préfère vivement acheter son foufou plutôt que dépenser 2500 à 3500 FC pour un journal. Le résultat de cette situation est bien évidemment la clochardisation progressive des médias congolais. L’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) offre néanmoins des opportunités que les médias ont pu saisir. Pour les uns en développant un espace électronique (portail en ligne) permettant un accès en ligne en sus du support imprimé, pour d’autres, comme actualité.cd, en levant l’option de développer un organe de presse en ligne uniquement. Les médias en ligne présentent des avantages que les médias traditionnels ne possèdent pas. Il s’agit notamment :

  • Du coût de la production : pas besoin d’intrants, d’imprimerie ou de circuit de vente sur terrain ; quelques clics suffisent à diffuser l’information, la rendant accessible en temps réel à des millions de lecteurs.
  • Les réseaux sociaux : ils offrent aux médias en ligne des canaux de transmission de l’information plus importants. Avec eux, les médias peuvent aller à la pêche aux abonnés via leurs téléphones mobiles, sur WhatsApp, sur Twitter, sur Facebook, etc.
  • L’accessibilité de l’information aux abonnés : plus besoin de chercher, de demander ou d’attendre le journal de 20h00', une application téléphonique vous permet d’être informés, en temps réels, des dernières nouvelles.

Mais ces avantages sont également talonnés par des inconvénients. A l’aune des nouvelles technologies de l’information et de la communication :

  • La recherche, la production et la diffusion de l’information cessent d’être l’apanage exclusif des journalistes professionnels. N’importe qui peut produire un blog, diffuser une information sur son compte Facebook, Twitter ou sa chaîne YouTube. Ce qui est fantastique pour l’utilisateur, ne l’est pas nécessairement pour le journaliste classique qui doit nécessairement s’adapter.
  • Il n’existe pas ou très peu de filtres sur la toile. Ainsi, personne n’est juge de la véracité de l’information produite et à l’heure du « Fake news » même un journaliste chevronné peut se prendre les pieds dans le filet.

Par ailleurs, les médias en ligne font également face à des risques majeurs :

  • Etre victimes des mêmes causes qui ont détruit les capacités des médias classiques, à savoir l’inadéquation de leur modèle économique. En effet, comment garantir à moyen et long terme le professionnalisme, le maintien, voire l’amélioration du matériel de travail, ainsi que des ressources humaines, sans un plan de viabilité du média dont l’accès est à ce jour gratuit ?
  • Souffrir de l’inadaptation de la législation avec la particularité du fonctionnement du média en ligne. En France, par exemple, il était posé la question de l’implication de l’«exploitation de l’œuvre du journaliste» sur la protection du droit d’auteur ou encore la protection de l’éditeur en ligne face aux poursuites pénales inhérentes à l’utilisation inappropriée de sa plateforme de discussion par des abonnés. Ceci a bien évidemment été couvert par la loi.

Pour revenir à notre questionnement de ce jour « Quel rôle pour les médias d’information en ligne dans un contexte de crise politique » ? Il ne me semble pas que le rôle du média en ligne doit être différent du rôle du média ordinaire. La crise politique actuelle est le résultat direct de la non-organisation des élections en décembre 2016. Elle se caractérise aujourd’hui par une polarisation de l’espace politique. Dans ce contexte particulier le média en ligne est souvent exposé à deux choix :

  • D’amplifier la crise en prenant le flambeau. Devenant un instrument « engagé », dont le but serait de prendre position devenant lui-même acteur de la polarisation de l’espace politique ou un outil de propagande.
  • D’atténuer la crise en diffusant un message ronflant, sous-forme de Coca-light, ne voulant affecter aucune susceptibilité et sensibilité.

A mon sens le média peut et doit transcender ces deux choix et lever l’option d’être un œil, une voix, un témoin qui, avec professionnalisme et intégrité, cherche l’information, traite l’information et la partage en âme et conscience. Face à ce postulat, la conscience de l’acteur politique et des institutions doit être interpellée. En effet, la démocratie ne peut s’accommoder d’un espace médiatique fermé, persécuté ou brimé. Ces derniers jours, nous avons été les témoins d’atteintes graves à la liberté de la presse qu’il convient de condamner de la façon la plus énergique. Dans ce contexte de crise politique, la carte de presse doit être respectée, le matériel du journaliste protégé et la salle de rédaction sanctuarisée. Ceci vaut d’autant plus pour la presse en ligne qui est la seule bénéficiant de l’infrastructure et de l’audience nécessaires pour taire au plus vite la psychose, produire au plus tôt l’information et la mettre à disposition du public. Enfin, je termine en disant que les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont offert aux médias un nouveau terrain de jeux, un nouvel espace d’expansion, une opportunité de toucher un public plus large ; mais les nouvelles technologies de l’information et de la communication ne feront jamais le journalisme ou le journaliste. Sans une formation adéquate, sans les valeurs nécessaires, sans les ressources et les conditions de travail optimales, ce postulat est rendu difficile. La force d’un média réside dans sa crédibilité. Pour ce faire, il doit avoir convaincu son public par les faits, de la fiabilité de ses sources, sans pour autant les révéler. Il doit avoir démontré qu’il n’est pas dans sa ligne éditoriale sous influence, ni de puissances financières, ni des opinions politiques. La force du journaliste réside dans sa conscience :

  • Conscience de ses rôles et responsabilités.
  • Une conscience libre.
  • Conscience de son apport pour la promotion de la pratique et la culture démocratique.

C’est tout le bien que je peux souhaiter à actualite.cd. Je vous remercie.