Michel Lafleur & Tom Bogaert, un improbable duo haïtien-belge globalise l’amour du Congo à travers l’art contemporain

La Fleur et Bogaert Kolwezi
La Fleur et Bogaert Kolwezi

D’une inspiration dans les rues de Lubumbashi à la présentation mondiale, entre New York, la Belgique et la Pologne, de leur projet « J’aime la RDC », les artistes visuels Michel Lafleur (Haïti) et Tom Bogaert (Belgique), questionnent au quotidien et dans leurs œuvres d’art plastique ce qu’implique ce sentiment pour les habitants de la RDC. Entre sentiment patriotique et expression libre de la vie brute, ce projet parti d’une réflexion du duo a pris de l’ampleur au point d’intéresser de plus en plus du monde dans le paysage mondial de l’art contemporain. Rencontre avec l’un des membres pour comprendre les ressorts d’une création qui ne cesse d’étonner, à commencer par les artistes eux-mêmes. Interview 

Présentez-nous votre duo

Je suis Tom Bogaert, je suis Belge et depuis 2013, je travaille avec Michel Lafleur qui est Haïtien. Nous nous sommes rencontrés lors de la Ghetto Biennale organisée par le collectif Artistes Résistants (Haïti). Au départ, nous voulions travailler sur un projet, mais petit à petit, nous avons tissé un lien devenant collègue et amis. En 2022, nous avons été invités à la Documenta 15 à Kassel (Allemagne) et ça a été immense pour nous. Sur place, nous avions présenté un projet et cela nous a lancé dans une autre dimension en termes d’attention, de ventes, etc. 

Je parle de ventes parce que nous sommes un duo artistique avec des connotations commerciales, nous vendons ce que nous réalisons. J’ai développé cette approche lors de mon séjour aux États-Unis où j’ai appris que non seulement on doit créer, mais encore plus, survivre.

Venons-en à votre projet j’aime la RD Congo. Vous me racontiez qu’il est né lors de votre séjour à Lubumbashi lors de la Biennale qu’organise Picha. Comment ça s’est passé ?

Je suis venu à Lubumbashi en décembre 2023 et avec Michel, nous projetions de travailler sur un projet en lien avec mon passé comme Belge avec le Congo, où j’ai vécu dans les années 90, et Michel avec son passé lié au pays via le lien historique enraciné entre Haïti et l’Afrique. On se promène dans la ville, au grand marché en particulier, et on remarque que les gens font usage des sacs en plastique avec la mention « J’aime la RDC ». La beauté brutale de ces sacs nous a frappés et nous avons décidé de les prendre comme point de départ de notre nouveau projet, abandonnant tout ce qui avait été préparé. 

Au départ, nous avons acheté des sacs, qui ont été transformés d’objet d’utilité quotidienne en objet d’art. Avec Jenny Munyongamayi, un artiste et slameuse lushoise, nous sommes descendus dans la rue demandant aux gens « Qu’est-ce que vous aimez ? ». Une dame a dit « J’aime mon mari », d’autres disaient « J’aime l’argent », un peu comme tout le monde, les vieux semblaient un peu nostalgiques « J’aime Lumumba », « J’aime Mobutu », J’aime Katanga », « J’aime le foot », etc. Nous avons eu plus d’une centaine de slogans. Et nous avons lancé une série. Les sacs ont été choisis comme les tote bag (sacs officiels) de l’édition 2024 de la Biennale de Lubumbashi.

Vous avez également réalisé des sacs avec mention « J’aime Mudimbe ». Quand vous regardez rétrospectivement, après la récente disparition du prof Yves Mudimbe, que ressentez-vous ?

Le prof Mudimbe, dont j’ai lu The Invention of Africa, était la figure centrale en termes de théorie et de la philosophie de la 8e Biennale de Lubumbashi. Avec Michel, nous nous sommes dits que pour les prototypes de œuvres, qui étaient expérimentales ne sachant pas quelle forme finale nos réalisations auraient. Nous avons proposé à Picha qui organise la Biennale de Lubumbashi, des modèles avec « J’aime la Biennale de Lubumbashi » d’un côté et « J’aime Mudimbe » de l’autre. Nous sommes redescendus dans la rue pour, à l’image d’un prédicateur, envahir l’espace public par les pensées philosophiques de Mudimbe.

Ce projet a pris une ampleur depuis. Vous revenez de Kolwezi au Festival Sauti ya Macho, qu’y avez-vous présenté ?

Après la Biennale Lubumbashi, l’équipe Picha nous a sollicités pour lancer un projet de suivi. C’est ainsi qu’est né « J’aime RD Congo : le Grand Tour », qui va d’Est en Ouest avec l’ambition de traverser Lubumbashi, Kolwezi, Lusanga ensuite faire une halte à Mbuji-Mayi avant de finir à Kinshasa. Nous avons fini la première halte dans la ville minière de Kolwezi. Nous créons avec ce projet un contexte dans lequel le hasard joue un rôle position. 

Lorsque nous avons appris qu’il se tiendrait un festival d’art contemporain, nous avons trouvé un accord avec les organisateurs pour présenter le projet conçu à Lubumbashi, mais avec des nouveautés accentuant la thématique minière de Kolwezi. Là aussi, nous avons demandé aux gens ce qu’ils aimaient et nous avons imprimé ces slogans sur les sacs. Cependant, la forme de présentation était nouvelle. À Lubumbashi, nous avions un grand collage de 4m, à Kolwezi une banderole de 25m avec tous les sacs en horizontal. Nous finalisons un système mécanique pour rouler comme un film toutes les œuvres qui vont devenir de sorte de diapositive de film. Nous ne savons pas encore comme ce sera à Mbuji-Mayi, mais là aussi, nous laissons le champ au hasard créatif.

Image retirée.

Comment envisagez-vous la suite de ce « Grand Tour » ?

Michel Lafleur et moi avons reçu une invitation du Cercle d’Art des Travailleurs de Plantation Congolaise (CATPC), qui ont une renommée mondiale pour avoir rempli le pavillon des Pays-Bas lors de la dernière Biennale de Venise. Ce sera un honneur de présenter le projet à Lusanga à la White Cube, au courant de 2026. À Mbuji-Mayi, nous cherchons encore de partenaires.

Quand nous sommes venus en décembre, l’atmosphère autour de « J’aime la RDC » était légère, mais avec la situation dans certains coins du pays, le slogan est devenu plus chargé de sens. Avec l’Histoire congolaise, il nous a paru censé que le projet voyage d’Est en Ouest en suivant le parcours de Inga par exemple. Visuellement, le ruban de notre brochure va dans le sens inverse de celui du drapeau congolais et c’est là notre touche d’artiste visuel.

Ce projet sera présenté en Belgique et plus tard à New York. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Après octobre 2024 à Lubumbashi, nous avons reçu l’invitation de la Fondation Verbeeck en Belgique pour présenter notre travail, en plus d’une rétrospective de notre travail Michel Lafleur et Tom Bogaert depuis 2013, qui a reçu un bel accueil public. C’était la première fois que nous avons présenté le projet « J’aime la RDC » en Belgique et cela a entraîné une curiosité. À New York, une galerie Frosch & Company (Manhattan) nous invite pour montrer le projet aux États-Unis. Nous allons le présenter, grand collage, banderole de Kolwezi et les restants des présentations. En même temps, je suis heureux que nous allons présenter, sur invitation, le projet à la Triennale de Textile en Pologne. C’est important pour nous. Cela traduit un intérêt certain pour la Biennale de Lubumbashi et sa réputation dans le monde. 

Malgré ces réussites, quelles sont les difficultés dans les coulisses ?

Nous devons nous battre pour chaque projet. Nous envoyons beaucoup d’emails, de WhatsApp et devons gérer énormément des démarches administratives pour chaque réalisation. 

Que vous apporte ce projet, en tant qu’homme et artiste, tout au long de ce processus.

Ce qui m’étonne toujours, c’est la flexibilité de gens avec qui je travaille ici. Je trouve que les artistes et le milieu de l’art en RDC s’adaptent d’une façon surprenante. Michel et moi avions un concept qui a vite trouvé écho avec les Congolais. J’ai appris que même dans des conditions difficiles, la vie chère, le manque de certaines infrastructures de base ou de nécessité, les artistes et nous-mêmes arrivons à réaliser des choses tout à fait incroyables en RDC. Chaque fois que c’est presque un miracle qui vient d’une femme au marché, d’un jeune dans la rue, etc. il y a des possibilités.

Un dernier mot ?

Michel Lafleur et moi sommes ravis d’explorer la RDC et nous sommes convaincus que cela nous mènera vers d’autres projets incroyables. Nous restons positifs et croyons que rester positif c’est la seule option.

Elisha IRAGI