UA : le dossier qui attend le président Félix Antoine Tshilombo

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Tous ceux qui trouvent dans l’avènement de la RDC à la présidence de l’UA au cours de cette année un motif de jubilation s’en féliciteraient un peu moins s’ils connaissaient les contenus des dossiers qui attendent le président congolais. L’un de ces dossiers revêt une importance cruciale et l’issue de son traitement pourra déterminer de la réussite ou de l’échec du mandant du président congolais à l’UA. 

En effet, pour tout observateur objectif, il est évident que l’Union africaine est confrontée depuis sa création à de graves problèmes jusqu’ici presqu’insolubles liés au maintien de la paix et à la lutte contre l’insécurité. Comment le président de la RDC compte-t-il contribuer à la résolution de ces problèmes lorsque dans son propre pays l’insécurité est devenue pandémique depuis plus de deux décennies ? Sans parler des bouleversements politiques difficiles à cerner et à expliquer qui secouent la RDC actuellement et déstabilisent ses institutions.

Il faut se rappeler que l’OUA était fort limitée dans ses prérogatives par le contraignant principe de non-ingérence qui lui imposait des limites dans le domaine de la paix et de l’insécurité. Mais depuis la création de l’UA en 2002, l'article 4 de son Acte constitutif l’a explicitement autorisée à adopter désormais une approche plus interventionniste. 

Cette nouvelle approche s’était concrétisée par l’adoption du Protocole sur la création du Conseil de paix et de sécurité en juillet 2002. Pour conduire à bien son travail, cette architecture de paix et de sécurité africaine repose sur les piliers qui sont des organes de l’UA. Son objectif est de prévenir, gérer et résoudre les conflits en travaillant en collaboration avec les communautés et les mécanismes économiques régionaux. Ainsi, l’architecture de paix et de sécurité a acquis un rôle important à jouer depuis les phases d’alerte rapide et de prévention des conflits jusqu’à celle du développement après les conflits.

Les piliers de l’UA concernés par les problèmes liés à la paix et à l’insécurité sont au nombre de cinq : le Conseil de paix et de sécurité ; le Groupe des sages; le Système continental d'alerte précoce; la Force en attente et le Fonds pour la paix.

Le bilan du fonctionnement de ces organes est assez mitigé, même s’il y a eu un certain nombre de réussites dans lesquelles l'architecture de paix et de sécurité de l’UA a joué un rôle déterminant.

Le principal organe décisionnel est sans nul doute le Conseil de paix et de sécurité habilité à prendre des décisions sur plusieurs fronts. Pour n'en citer que quelques-unes, ces décisions doivent permettre de mettre en œuvre la politique de défense commune de l'UA, d’effectuer des fonctions de paix et de construction, d’autoriser et de superviser les missions de soutien de la paix, de recommander des interventions au titre de l'article 4 (h) pour les situations de crimes de guerre, de génocide et de crimes contre l'humanité et enfin d’imposer des sanctions pour les changements anticonstitutionnels de gouvernement.

On peut affirmer que le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a pris un certain nombre de décisions depuis sa création avec plus ou moins de succès. À titre d’illustration, l’année passée, il a suspendu le Mali de l'Union africaine après le coup d'État qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta.

Cependant, le Conseil ne répond pas toujours, ou tarde parfois à réagir, à l’évolution des situations et des conflits. Le conflit armé au Cameroun s’est avéré être l’une de ces situations où le Conseil est resté largement silencieux au fil des ans. Il y a eu aussi les conflits au Soudan ou encore dans une bonne partie des États du Sahel… Pourquoi ces carences ?

Premièrement, même si le Conseil ne requiert qu'un vote majoritaire, il est soumis à des contraintes politiques qui entravent ses décisions. Ceci en dépit de la disposition qui interdit aux pays impliqués dans les conflits de participer aux réunions du Conseil les concernant. Ces pays ne sont autorisés qu'à faire une déclaration.

Il existe également des contraintes financières et de personnel. Comment rassembler suffisamment de troupes pour remplir un mandat ?  Monter une opération de paix peut être un défi de taille lorsque vient le moment d’évoquer les questions du financement, de la formation et des équipements. C'est un problème courant pour la mission de l' UA en Somalie.

En outre, on a eu à déplorer le poids de la pression et de l’influence des puissances externes ainsi que des atteintes aux tentatives du Conseil de résoudre les conflits. Un exemple marquant en a été l'intervention militaire de l' OTAN en Libye qui s’était opérée au moment même où l’UA déployait des efforts de médiation.

Le deuxième organe est le Panel des sages. Le Groupe des sages est un organe consultatif auprès du Conseil de paix et de sécurité. Il a un rôle de médiation et de diplomatie préventive. Les cinq anciens du panel sont choisis en fonction de leurs contributions à la paix, à la sécurité et au développement. Ils travaillent soit à la demande du Conseil de paix et de sécurité, soit de la propre initiative du groupe.

Le groupe a assumé avec succès divers rôles, y compris lorsqu'il était nécessaire de recourir à une intervention diplomatique neutre et respectée. Des exemples de leur travail incluent des interventions dans la violence post-électorale au Kenya en 2008 et leurs rapports concernant le printemps arabe.

Le troisième organe est le Système d'alerte précoce continental. Le mandat du système continental d'alerte précoce est la prévention des conflits et l'anticipation des événements. Les deux actions sont notoirement difficiles à mener. La prévention et l’anticipation reposent sur des données précises et sur la volonté politique d’agir, mais le Conseil de paix et de sécurité a tendance à réagir davantage aux conflits qu’à les anticiper.

Les rapports du système d’alerte rapide informent le Conseil et demeurent l’une des façons dont il est amené à se réunir. Pour être plus efficace, le système d’alerte rapide est obligé de collaborer plus étroitement avec les organisations non gouvernementales et internationales, les institutions universitaires et les centres de recherche. Malheureusement ce système continue de souffrir de pénuries de personnel et de financement.

Le quatrième organe est la Force africaine en attente. Il y a eu des retards dans son lancement. Malgré la décision prise en 2003 de créer la force, ce n'est qu'en 2016 qu’elle a été officiellement considérée comme ayant obtenu la pleine capacité opérationnelle. Depuis, elle n'a pas encore été déployée. 

Composée de contingents des cinq régions, la mission de la Force africaine en attente est de mettre en œuvre les décisions prises par le Conseil de paix et de sécurité. Ces décisions comprennent les interventions autorisées, la prévention des conflits et des différends, l'observation, la surveillance et tout type de mission de soutien de la paix, l'assistance humanitaire et la consolidation de la paix.

Toutefois, mobiliser une force de réserve de tous les 55 États africains n'a jamais été facile car la volonté et l’intérêt pour la participation aux opérations de soutien de la paix diffèrent d’un pays à l’autre. En outre, il en est de même pour les niveaux de divers états de préparation et de capacités des militaires, de la police et des civils dans les pays et les régions.

Le cinquième et dernier organe, c’est le Fonds pour la paix. C’est l’organe chargé du rôle à la fois énorme et incontournable d'assurer la disponibilité des fonds. Si l’on sait que la grande majorité des membres de l'UA ont du mal à s'acquitter de leurs cotisations, on peut comprendre le fait que l'autofinancement de l'UA n'ait pas encore été possible. Cela signifie que le Fonds pour la paix a du mal à obtenir le soutien des États africains. Il est ainsi financé par le budget de l'UA, la collecte de fonds et les contributions volontaires des membres de l'UA, des individus, de la société civile, des partenaires internationaux et du secteur privé. L’objectif visé consistait à collecter 400 millions de dollars. Seulement 164 millions de dollars ont été recueillis à ce jour. Ils sont bien en deçà de l’objectif.

Le succès du mandat de la RDC - représentée par son président Félix Antoine Tshisekedi - à l’UA dépendra en large partie du succès de l'architecture africaine de paix et de sécurité au cours des deux années qui vont suivre. Il est important d’en avoir conscience et de se préparer sérieusement à assumer de telles responsabilités. Il y va de la réputation de la RDC et de son président.

Nawej Karl