Ecole et COVID 19 en RDC: "Mon école à la maison, sauver l’éducation"

Clareine N’LAMBI NZEZA,  Ambassadrice de l’éducation, Ph. Droits tiers

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Aujourd'hui la rédaction vous propose cette tribune de Clareine N’LAMBI NZEZA, Ambassadrice de l’éducation, Chercheure en Administration et Leadership de l’éducation à St Cloud State University (Etats-Unis).

La scolarité de millions d’enfants congolais est mise en danger à cause du COVID-19. Ces enfants se trouvent privés d'apprentissage, ainsi que de leur environnement scolaire habituel.  L’expansion du COVID-19, a mis à mal plusieurs secteurs dont l’éducation. En réponse à la crise sanitaire, la fermeture des écoles et universités a été systématiquement préconisée, le but étant d’éviter des contaminations. Cependant, cette fermeture affecte fortement les enfants. En plus de creuser davantage les inégalités sociales, elle constitue également un facteur de risque pour les enfants, en particulier les filles, qui sont exposées aux abus tels que les grossesses non désirées et les mariages précoces, qui constitueront des obstacles à leur retour physique à l’école au moment venu. Une étude de l’UNICEF a notamment alerté sur ce sujet, en notant que les gouvernements doivent prendre des mesures préventives, en tenant compte des différentes formes de violences et dangers auxquels les enfants vulnérables et les filles sont exposées à cause des perturbations socioéconomiques, afin d’éviter une crise de la protection de l’enfance[1]. Ces risques réduiraient les efforts déjà fournis pour promouvoir l’accès de tous les enfants à l’école.

Si dans les pays occidentaux, les mécanismes en place ont permis d’assurer une continuité à distance de la scolarité des enfants, ce n’est pas le cas en RDC, où ces derniers ont été majoritairement renvoyés à la maison sans un plan de continuité clair, soutenu par une communication de qualité. Les premières tentatives d’organisation de l’éducation à distance ont été butées à la fracture numérique, ainsi qu’à l’impréparation des enfants, des écoles, des enseignants et des parents. Selon l’UNESCO, « en Afrique subsaharienne, 89% des apprenants n'ont pas accès aux ordinateurs familiaux et 82% n'ont pas l’internet. En outre, alors que les téléphones mobiles peuvent permettre aux apprenants d'accéder à l'information, de se connecter entre eux et avec leurs enseignants, environ 56 millions d'apprenants vivent en des lieux non desservis par les réseaux mobiles, dont près de la moitié en Afrique subsaharienne »[2].

Le Gouvernement congolais, à travers le Ministère de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel (EPSP) a certes été réactif. Le lancement en partenariat avec Vodacom RDC de la plateforme « vodaeduc.vodacom.cd », le 26 mars 2020, soit sept jours après l’annonce de la fermeture des écoles par le Président de la République, ainsi que les cours télédiffusés sur la chaine nationale en sont les illustrations. Cela constitue une avancée considérable vers les solutions potentielles, mais cette action comporte des défis majeurs comme le manque d’électricité, les difficultés de suivi rapproché des écoles, le manque de moyens d’évaluation des apprenants à distance etc.

Il sera opportun que le Gouvernement de la RDC et ses partenaires assortissent ces initiatives d’un système de suivi régulier, pour évaluer leur efficacité. Cette évaluation devra impérativement impliquer les bénéficiaires finaux, à savoir : les écoles, les enseignants, les apprenants et les parents. En outre, la mise en œuvre des propositions suivantes, susceptibles de contribuer à la continuité de l’école pendant la crise actuelle et au-delà, est à considérer. Premièrement, la radio restant le média le plus accessible en RDC, une utilisation judicieuse de ce moyen s’avère nécessaire. Le Gouvernement national pourrait le cas échéant se rapprocher d’organisations comme la Fédération des radios de proximité de la RDC (FRPC) ou la Fondation Hirondelle ayant l’expérience de la coordination des radios communautaires, pour faciliter le dialogue et l’interaction avec celles-ci. Outre la distribution des manuels scolaires, le Ministère de l’EPSP et ses partenaires pourraient envisager la distribution des radios aux familles les plus défavorisées. Deuxièmement, les autorités compétentes pourraient instruire les responsables d’écoles à opter pour des systèmes d’évaluation des apprenants qui suivent les enseignements télédiffusés et leur demander d’inviter les parents à soutenir de plus près l’apprentissage des enfants à la maison. Ces systèmes existent déjà avec la plupart des plateformes digitales d’apprentissage à distance à l’instar de Google Classroom ou Class Dojo etc. Cependant, là où l’accès à l’internet n’est pas possible, il est nécessaire d’inventer des solutions plus idoines. Troisièmement, il faut encourager les parents à participer pleinement au plan de continuité scolaire, notamment en faisant usage des téléphones portables, livres, cahiers, ou de tout moyens à leur disposition pour parfaire leur rôle d’accompagnateurs à la maison. Ceci créerait une synergie forte de gestion de crise entre le Gouvernement, les écoles et les parents.

La crise sanitaire actuelle nous aura rappelé les limites des méthodes d’enseignement classiques. Les acteurs du système éducatif congolais, notamment les écoles, devraient s’engager dans une réflexion de fond, afin de développer des plans de modernisation et de résilience de l’enseignement. Ces plans, doivent nécessairement inclure la mise à niveau du personnel enseignent dans l’usage des TIC, la modernisation de l’apprentissage et l’évaluation des apprenants.

Enfin, cette crise offre une opportunité pour les autorités congolaises d’investir dans le digital pro-éducation en subventionnant ou créant des partenariats avec des startups locales dans l’éducation et ainsi booster l’entreprenariat national. Nous devons quitter le Congo des impossibles, vers le Congo des possibles. Il y a des scientifiques congolais compétents et talentueux qui créent des solutions digitales pour l’amélioration de la résilience du système éducatif congolais. Tel est le cas de Eteyelo Services qui aide les écoles à avoir du contenu scolaire à distance.

Tout ceci serait possible avec un budget adéquat, une traçabilité des financements et une bonne gouvernance.

Clareine N’LAMBI NZEZA,

Ambassadrice de l’éducation

Chercheure en Administration et Leadership de l’éducation à St Cloud State University (Etats-Unis).

[1] https://www.unicef.org/fr/coronavirus/proteger-les-enfants-les-plus-vulnerables-des-effets-de-la-maladie-a-coronavirus-covid-19

[2] https://news.un.org/fr/story/2020/04/1067162