Alors que nous entrons de plain-pied dans la saison des pluies, l’inquiétude monte dans la capitale congolaise. Médecins et habitants alertent sur l’état critique des caniveaux, obstrués par des déchets plastiques, organiques et industriels. Une situation qui fait craindre une nouvelle vague d’inondations et le retour d’épidémies évitables.
Dans de nombreuses communes de Kinshasa, les rigoles, censées évacuer les eaux de pluie, se sont transformées en véritables dépotoirs à ciel ouvert. Devant leurs parcelles, les habitants assistent impuissants à l’amoncellement de bouteilles plastiques, sachets ou autres déchets.
« Nos caniveaux sont dans un état critique, avec un niveau de pollution très inquiétant. On assiste à une dérive où ces voies d’évacuation sont détournées de leur fonction initiale, devenant de véritables poubelles, ce qui bloque complètement le système de canalisation », déplore Arnold, habitant de la commune de Kinshasa.
Même son de cloche chez maman Clarisse, résidente de Matete. « Nous sommes envahis par les immondices, et dès que la pluie tombe, c’est nous qui en payons le prix ». Elle explique aussi qu’entre voisins, ils tentent parfois de nettoyer ensemble, mais les efforts sont vains. « Dès que les pluies commencent, tout revient. Et lorsque l’eau déborde, ce sont nos maisons qui sont inondées ».
Joseph, un autre riverain, redoute la répétition des scènes habituelles. « Chaque année, c’est la même chose. Nous passons des nuits blanches à écoper l’eau avec des seaux pour éviter que tout ne soit submergé ».
« L’enfer c’est l’autre »
Un fossé persiste entre la population et les autorités quant à la gestion des déchets à Kinshasa. Tandis que les uns pointent du doigt l’inaction des services publics, les autres dénoncent l’incivisme et l’irresponsabilité des citoyens. Chacun rejette la faute sur l’autre, alors que l’assainissement urbain devrait être une responsabilité collective.
Les autorités locales affirment pourtant avoir lancé des opérations de curage. « Des brigades d’assainissement sont bel et bien déployées dans plusieurs communes », affirme Guélord Mbusa, un des responsables au niveau de la coordination du projet "Kinshasa ezo bonga". « Quoi qu'on puisse balayer, quoiqu'on puisse curer, si la population ne sait pas gérer, chacun à son niveau les déchets qu'il produit, on sera en train de faire un travail sans utilité », poursuit-il.
Mais sur le terrain, les habitants constatent peu de changements. « Ils disent qu’ils sont en train de curer les caniveaux ? Mais après, si c’est pour les laisser dans la rue et ne pas les évacuer, à quoi ça sert ? », se questionne Fred, résident de Ngaba.
Et d’ajouter :
« Ils ont le même discours et les mêmes promesses chaque année. Mais dès les premières pluies, on patauge littéralement dans les eaux sales ».
Ce manque de coordination de part et d’autre freine toute avancée vers une solution durable. Sans une réelle prise de conscience collective et une gestion administrative rigoureuse, Kinshasa risque de rester vulnérable, livrée aux inondations et aux dégâts qu’elles entraînent, à chaque retour de la saison des pluies.
« Un écho communicationnel »
En août 2024, le gouverneur Daniel Bumba annonçait, en présence des 24 bourgmestres des différentes communes de la ville, le lancement de l’opération "Coup de poing", censée débarrasser Kinshasa des déchets et immondices qui jonchent ses rues. Plus d’un an après, de nombreux habitants jugent cette initiative largement insuffisante, allant jusqu’à le qualifier, d’un simple « écho communicationnel ».
« Cette histoire de coup de poing, c’est un autre épisode de leur théâtre pour les caméras. On voit les équipes une ou deux fois avec les médias, puis plus rien. Les poubelles débordent toujours et les caniveaux sont à chaque fois bouchés », déplore Junior, un jeune de la commune de Kinshasa.
Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, cette opération ressemble davantage à « une vitrine politique qu’à une réponse structurelle à la crise sanitaire et environnementale que connaît la capitale ». Il dit « attendre des actes concrets et durables ».
Guélord Mbusa a tout de même avoué que les autorités ne communiquent pas assez pour sensibiliser la population. « La communication ? Nous y travaillons. Il faut aussi avouer qu’on ne communique pas comme il se doit. Là, on y travaille ». « Mais il y a assez de projets qui sont en train de se mettre en place. Il y a aujourd'hui des contrats qui sont en train de se préparer, avec des écologistes, dans l'éducation environnementale, dans la sensibilisation, etc. », confie-t-il.
Des risques sanitaires bien concrets
Les médecins alertent sur les dangers sanitaires liés à l’insalubrité croissante. « Les eaux stagnantes chargées de déchets deviennent un terrain fertile pour des maladies comme le choléra, la typhoïde ou encore les diarrhées. Sans oublier les moustiques qui prolifèrent et aggravent les cas de paludisme », prévient Béni Makonda, médecin au centre hospitalier Monkole.
Face à cette situation, il plaide pour des mesures préventives immédiates : le curage régulier des caniveaux, des campagnes de sensibilisation à l’hygiène, et un meilleur accès à l’eau potable pour limiter les risques de contamination.
À la veille des premières grandes averses, Kinshasa demeure dans une situation précaire. Entre manques de planification urbaine, incivisme de certains habitants ou encore l’inefficacité des systèmes de collecte des déchets efficaces, les risques d’inondations et d’épidémies restent très élevés.
James Mutuba