Espace observé : une trentaine d’œuvres d’art titille la société, l’exposition ouverte jusqu’au 1er février

Foto
Cérémonie de vernissage de l'exposition "Espace observé"

A première idée, l’exposition Espace observé repousse la limite de l’espace, du lieu où se tient son exposition, sa manifestation de l’art contemporain sous le travail de 7 artistes pour une trentaine d'œuvres qui racontent chacune la société de manière singulière, au propre de l’art contemporain. Les organisateurs ont trouvé mieux de ramener cette créativité très à l’est de Kinshasa, dans la commune de la N’sele, au site touristique la Sablière.

A plus de 50 Km des lieux de travail et d’exposition habituels, l’Espace observé propose un voyage dans l’espace et dans les arts, dans les styles et dans les courants, dans les mouvements et dans les messages. Céramique, sculpture et peinture ont rempli la tour de la Sablière à différents niveaux de la construction où les murs portent une certaine matière aussi inhabituelle qu’attirante.

Du balcon au rez-de-chaussée, chaque artiste a bien trouvé son espace d’expression dans les œuvres et dans la discussion avec les invités venus faire ce voyage artistique ensemble. Le vernissage a eu lieu ce samedi 18 janvier pour le grand bonheur de Rodrigo Gukwikila, artiste exposant et un des porteurs du projet. Autour de lui, la manager du projet, le directeur qui a permis que l’espace puisse être occupé, des critiques d’art, des journalistes et son père qui n’a pas tari d’éloges sur son fils.

Syntyche Mbembo est céramiste. Il présente, comme à son habitude, des œuvres hybrides mêlant art utilitaire et réflexion philosophique, où se côtoient des architectures intrigantes et des personnages mi humains, mi animaux, évoluant dans des univers complexes et saisissants. Parmi elles, une céramique à la forme d’une cuvette toilette pas comme les autres. En plus de ses taches noires, rouges et jaunes ; elle laisse apparaitre des cercles avec des visages et des symboles qui rappelant le Zaïre de Mobutu.

Une œuvre provocante exprimant un objet intime associé à la réalité qui faisait la loi à une époque précise de la RDC mais dont le temps a laissé passer derrière. Une nostalgie d’une société de consommation qui ne voit pas venir l’usure du temps et qui ne reste plus qu’un pan de l’histoire, rejoignant la citation de Confucius “Celui qui ne progresse pas chaque jour, recule chaque jour”.

Pour sa part Naguy Kusibula est sculptrice métallière qui produit ses œuvres avec du cuivre. Métal conducteur d’énergie électrique, l’artiste s’en sert pour conduire les messages à la jeunesse de conserver son identité, plus largement à une société en voie de dénaturation selon qu’elle conçoit le concept de culture des peuples.

“A travers mes œuvres, je veux réveiller la jeunesse congolaise pour pouvoir garder son identité. Un peuple sans identité, c’est un peuple mort. Qu’elle arrête de copier quoi que ce soit par-ci par-là. Si on ne sait pas mettre en avant notre culture et nos valeurs, on est rien”, indique Naguy.

Un de ses impressionnants tableaux s’intitule “Une de mes forces”. Elle présente une figure humaine en détresse, un visage déformé par la douleur ou la rage. La tête du personnage semble littéralement éclater en morceaux, suggérant une souffrance intérieure intense. Les fragments de cuivre, éparpillés autour du visage, renforcent cette impression de désintégration.

Cependant la force de Naguy s’en tient au fait d’ouvrir la bouche pour s’exprimer pour faire savoir ce qu’elle vit, ce qu’elle veut et ce qu’elle conseille.

“Cette force, c’est de pouvoir m’exprimer. Dans cette œuvre, je veux dire que j’ouvre ma bouche pour parler et m’exprimer. Cela donne l’accès à pouvoir couper des liens, à réclamer mes droits, à montrer mon identité au monde entier”, explique l’artiste.

L'utilisation de matériaux et de techniques spécifiques, notamment celle du cuivre, un matériau dur et froid, permet à Naguy de créer une œuvre à la fois esthétique et émouvante.

Le peintre Bahati Mwalimu est dans une démarche de préservation de la culture et des valeurs originelles qui font la spécialité d’un peuple face à d’autres. Dans un contexte de mondialisation générale, son art contemporain tient la baraque des spécificités d’une époque qu’il ne souhaite pas voir disparaître aussi facilement. Sa toile “Crocoqueen” en est une preuve parlante.

Il représente un trône sur lequel est assise une femme noire, avec un regard fixe, en robe rouge qui flotte, dans un désert, entourée des crocodiles, et sous un soleil doux. Un mélange de situations et de personnages qui fait nager dans un surréalisme modéré. Le personnage de la femme, le principal de l’oeuvre, dégage une séreinité à faire réfléchir les visiteurs, malgré une agitation des crocodile autour d’elle et un lieu pas propice pour installer une dignité.

“Cette femme vient réveiller le pourvoir de la femme que plusieurs ont oublié, meme les femmes actuelles, il y en a qui ne connaissent pas vraiment leur valeur. Une femme qui connait sa valeur est un socle pour la société. C’est un pouvoir qui lui a été donné par Dieu, c’est irremplaçable, ça ne peut pas être compensé par autre chose ”, a expliqué Bahati Mwalimu, artiste peintre.

Le crocodile, espèce aquatiques se retrouvent dans un milieu qui ne lui est pas naturel mais n’en meurt pas pourtant. Dans la douceur dégagée par le choix des couleurs en arrière-plan, l’artiste a voulu épingler une capacité des femmes à contenir des situations difficiles dans la société. Etant la pierre angulaire d’une famille, Bahati met la femme sur un trône que la société ne lui donne pas forcément à travers son traitement mais qu’elle occupe de par son apport.

“Le rôle de la femme est celui d’amener la joie là où il n’y en avait pas. La femme tient la société. L’éduquer, c’est éduquer toute une nation”, a ajouté Bahati.

William Mosete, artiste visuel explore le médium de la peinture pour cette exposition à l’Espace observé. Il extériorise un traumatisme de l’enfant qui vit encore en lui à travers des toiles interpellatrices pour la situation de tous les enfants du monde et particulièrement ceux de la RDC dont un bon nombre, dans partie Est ne connaît pas une enfance selon les règles de l’art, suite à la situation sécuritaire. Il touche un mal profond, non sans conséquence pour l’avenir de toute la nation, qui désoriente les rêves des dirigeants de demain.

“Je pense qu’il faut renforcer le côté mental des enfants, il faut les accompagner, accomplir leurs rêves, être à leur côté”, soutient William Mosete.

Son tableau “la discipline est la mère des armées” résume bien une anomalie avec la formation des enfants. Certains tiennent des armes dans une telle innocence qu’ils sont prêts à tirer, d’autres sont ancrés dans une insouciance qui influence leur habillement et gestes dans un contexte qui ne leur est pourtant pas donné favorable.

Cependant, M. Mosete utilise le collage et la récupération, travaillant avec des tissus recyclés. Un message clair pour exprimer le fait qu'il soit possible de recycler les plus apparemment perdus dans la société, en ce qui concerne les enfants.

“C’est une façon de dire à ma communauté qu’on peut récupérer ce qu’on jette pour en donner une valeur esthétique et crée même une main d'œuvre. C'est pareil pour les kuluna qu’on peut réintégrer dans la société”, indique l’artiste.

Rodrigo Gukukwila, artiste exposant et directeur artistique de l'événement, souligne une volonté de rester perpétuel dans cet « Espace Observé », un concept qui va bien au-delà de cette première édition. Avec des ambitions affirmées pour des éditions futures à Moanda et ailleurs, il s'agit de créer un rendez-vous culturel durable, ancré dans les réalités locales tout en ouvrant les portes à une pluralité de regards.

Au cœur de cette exposition se trouve une réflexion profonde sur l'espace comme lieu physique et mental, habitat et territoire existentiel. L'objectif est de réconcilier les êtres humains avec leur environnement, en explorant des questions telles que : Comment rendre la vie agréable tout en préservant l'équilibre naturel ? Comment concevoir des espaces qui harmonisent architecture et environnement ? 

Espace Observé ne se limite pas à une exposition. En partenariat avec des orphelinats de la région, un atelier créatif a été organisé avec des enfants du village Kindobo, le quartier du site touristique la Sablière. Ces derniers ont réalisé des œuvres explorant leur imaginaire autour de l'observation de l'espace. Ces créations seront présentées lors du vernissage, et les fonds réalisés grâce à leur œuvre collective seront reversés aux orphelinats pour améliorer les conditions de vie des enfants.

Kuzamba Mbuangu