Révision de la constitution et nécessité de moraliser la vie publique en RDC (Par Professeur Camille Ngoma Khuabi)

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Dans notre première Tribune nous avons montré qu’au-delà de tout discours populiste et de toute la passion engendrée par le débat actuel sur la révision et/ou le changement de la Loi-mère ; indépendamment des circonstances de temps, des régimes, actuel ou à venir, la Constitution de 2006, comporte des faiblesses conceptuelles qu’il convient de corriger. Au nombre des dispositions ou articles susceptibles de révision, nous avons identifié plus d’une trentaine. La révision des premiers, qui ont fait l’objet de notre tribune précédente, permettrait de rationaliser le fonctionnement de l’État ; en revanche, des impératifs d’ordres éthique et moral rendent nécessaire la révision d’un certain nombre d’autres encore. La révision proposée permettrait de moraliser la vie publique dans notre pays.

En effet, comme d’aucuns ne l’ignorent, l’environnement politique dans notre pays reste marqué par des scandales, qui questionnent les fondements même de nos valeurs, nos us et coutumes, et remettent en cause notre capacité en tant qu’État démocratique et en tant que Nation, à fixer des seuils et à réagir avec fermeté sur un certain nombre des pratiques avilissantes, qui tendent à banaliser toutes les règles d’éthique et de moralité à observer, en particulier par les personnes appelées à gérer la res publica et à décider sur le sort des autres et sur le destin de toute la Nation.     

Depuis un certain temps, dans notre société, la fonction politique a perdu tout son sens, celui de rendre service. Elle est réduite à une simple entreprise par laquelle les acteurs politiques profitent de la vie en s’enrichissant à un temps record, au détriment de la communauté. Il s’ensuit que, même si l’accès aux fonctions politiques est théoriquement conditionné au suffrage du peuple, en pratique, les joutes électorales deviennent chaque fois le théâtre des pratiques de corruption à ciel ouvert, qui se manifestent de manière la plus concrète dans l’élection des gouverneurs des provinces et des sénateurs. En vue de vite amortir l’investissement engagé dans la corruption, les politiques s’attribuent des émoluments et d’autres avantages faramineux au mépris de toute les règles d’éthique. 

Ces pratiques ont fini par s’ancrer dans les mœurs et touchent actuellement toute la classe politique à chaque époque de la vie politique du pays. Grâce aux jeux des immunités, les dirigeants sont difficilement poursuivables pendant tout leur règne. La faiblesse du régime juridique de la responsabilité pénale des dirigeants immunise ces derniers même après la fin de leurs fonctions. 

S’il est difficile d’y mettre fin à ces pratiques, il est possible de réduire leurs proportions et de limiter leurs dégâts en renforçant les dispositions constitutionnelles consacrées l’élection des Gouverneurs des provinces (A), aux émoluments des dirigeants politiques (B), ainsi qu’au régime de responsabilité pénale du Président de la République, du Premier ministre et des ministres, pendant et après leurs fonctions (C). La dimension éthique qu’elles comportent et la perception de la majorité de congolais sur ces questions appellent des réformes qui plaident que la Constitution fixe les limites. Cela permettrait de moraliser la vie publique et renforcerait la confiance des citoyens en leurs dirigeants.   

Réviser l’art. 198 et mettre fin à la corruption entourant l’élection des gouverneurs des provinces en instaurant leur élection au suffrage universel

L’article 198.2 de la Constitution prévoit que le Gouverneur et les Vice-gouverneurs des provinces soient élus au suffrage indirect. Malgré l’avantage de ce système électoral, la pratique montre qu’en RDC, l’élection des Gouverneurs des provinces constitue un moment de marchandages divers, qui offrent chaque fois aux députés provinciaux, l’occasion de se faire corrompre en échangeant leurs voix avec des sommes considérables d’argent ou des biens matériels. La vitesse qu’a acquis la circulation de l’information grâce aux réseaux sociaux expose et met à chaque fois à nu des pratiques d’une corruption généralisée touchant toutes les provinces du pays. 

Dans le but de moraliser la vie publique, il est possible de changer ce mode d’élection des gouverneurs de provinces en passant du système de suffrage indirect au suffrage direct. Cela ne peut s’obtenir qu’en modifiant l’article 198 actuel de la Constitution. L’élection des sénateurs fait également l’objet de mêmes pratiques, mais ayant proposé la suppression du Sénat, la corruption qui émaille leur élection disparaitrait avec la disparition de cette institution.        

Réviser les art. 95 et 109 en vue de fixer des taux planchers et maximum des émoluments des responsables politiques 

Dans un système démocratique, la transparence constitue un facteur de renforcement de la confiance des gouvernés envers les gouvernants. Et, l’un des aspects de cette transparence concerne le taux des salaires ou émoluments payés aux responsables politiques. Dans notre pays, il semble que c’est le côté le plus opaque d’une gouvernance voulue démocratique au cours des soixante dernières années, la première expérience en cette matière, tentée par la Constitution de Luluabourg du 1er août 1964, n’ayant pas été capitalisée dans les Constitutions successives. 

En effet, l’on doit se souvenir que la Constitution de Luluabourg du 1er août 1964, avait institué une Commission paritaire spéciale fixant les indemnités et traitements des dirigeants politiques. Et, aux termes de l’article 136 de cette constitution, cette Commission paritaire spéciale reçut pour mission de « fixer, à charge des finances publiques le montant maximum des indemnités et traitements des membres du Parlement, des assemblées provinciales, du gouvernement central et des gouvernements provinciaux ». 

La constitution du 18 février 2006, reste laconique sur cette question. L’article 95, traite de la question des émoluments des ministres, mais se limite à dire : « Les émoluments des membres du Gouvernement sont fixés par la loi de finances. Le Premier ministre bénéficie, en outre, d’une dotation ». De même, bien que l’article 109 déclare que « les députés nationaux et les sénateurs « ont droit à une indemnité équitable qui assure leur indépendance et leur dignité, et que « celle-ci est prévue dans la loi de finances », le taux de ces émoluments soulèvent chaque fois des controverses, les députés de l’opposition ne s’accordant toujours pas avec ceux de la majorité sur la hauteur exacte de ce salaire. 

Mais, au-delà de l’opposition sur la vérité des chiffres, qui rime moins avec les idéaux d’une société démocratique, les révélations faites sur les émoluments des responsables politiques posent des réelles questions d’éthique, dans la mesure où, comparés à ceux versés à leurs collègues des pays plus nantis, ou même à d’autres catégories sociales du pays, les leurs se situent à des proportions incroyablement bien plus élevées. Dans le cadre d’une politique générale de moralisation de la vie publique, l’on réduirait sensiblement le train de vie des institutions, en fixant clairement les émoluments des responsables politiques à tous les niveaux. 

En ce sens, les articles 95 et 109 devraient être révisés en y insérant les éléments nécessaires au renforcement de la confiance des gouvernés dans leurs dirigeants. La Commission paritaire spéciale prévue à l’article 136 de la Constitution du 1er août 1964, devrait être remise en selle. Elle se chargerait de fixer des taux planchers et maximas du barème salarial applicable aux membres du personnel politique. Cela permettrait de moraliser la vie publique gangrénée actuellement par plusieurs antivaleurs décriées.

Réviser les articles 163, 164, 166 et 167 et clarifier le régime juridique de la responsabilité pénale du Président de la République, du Premier ministre, des ministres et des parlementaires, pendant et après leurs fonctions 

L’actualité judiciaire du pays a été pendant un moment, dominé par le procès Bukanga-Lonzo, impliquant un ancien Premier ministre, initiateur du projet de parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo. L’opinion attendait que la débâcle de ce projet révélée par un rapport de l’IGF aboutisse par la poursuite et la condamnation de l’ancien Premier ministre, cité dans ladite affaire. Ce qui est apparu comme un déni de justice, trouve, contre toute vraisemblance sa justification dans la mauvaise rédaction des dispositions de la Constitution censées organiser le régime de responsabilité pénale des responsables politiques aussi bien pendant qu’après leurs fonctions. 

Schématiquement, les articles 163, 164 fixent le régime juridique de la responsabilité pénale du Président de la République et du Premier ministre en fonction et désignent expressément la Cour constitutionnelle comme leur juge naturel. Ces articles restent muets aussi bien sur le juge naturel des autres membres du gouvernement que sur le juge compétent de toutes ces personnalités pour ces faits commis à l’occasion de leurs fonctions, une fois leurs fonctions finies. 

Voici ce que dit l’art. 163 : « la Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’État et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution ». L’article 164 précise que  

« La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ».

L’article 165 définit les différentes infractions prévues à l’article précédent. L’article 166 détermine la procédure de mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre, mais pose un problème de légistique. En effet, alors même qu’aucune autre disposition ne précise préalablement le juge naturel des ministres, membres du gouvernement, un alinéa 2 ajouté à l’art. 166 organise la mise en accusation de ces derniers. Aux termes de l’art. 166 : 

« 1. La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur ». L’alinéa 2 ajoute que « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur ». 

Comme on le voit, l’article 166 al.1, qui prévoit la procédure de mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre, est une suite logique des articles 163, 164 et 165. En l’absence de toute précision sur le juge naturel des ministres, l’insertion de l’alinéa 2 concernant la procédure de mise en accusation des ministres est une erreur de légistique qu’il faut corriger en révisant l’article 166. Par ailleurs, une analyse rigoureuse montre que la procédure prévue à l’article 166.1 est à la fois inutilement complexe et même, fantaisiste ; puisque, dans le contexte constitutionnel actuel de notre pays, où le Président de la République doit toujours être majoritaire à l’Assemblée nationale, avec possible de dissoudre cette assemblée dans le cas contraire, la procédure de sa mise en accusation est un leurre, une hypothèse qui ne peut aboutir que très difficilement. 

Réunir deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès n’est imaginable que dans un contexte d’une cohabitation, toujours possible certes, mais difficilement réalisable dans la mesure où le Président peut y mettre fin en dissolvant l’Assemblée nationale, une année seulement après son installation. 

Il en découle que le Président de la République et le Premier Ministre sont protégés ad vitam aeternam pour des actes qu’ils auraient commis dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions. Et, comme nous l’avons vu avec le procès Bukanga-Lonzo, ni l’article 164, ni aucune autre disposition de la Constitution ne donne la compétence à la Cour constitutionnelle de poursuivre un ancien Premier ministre pour des actes commis dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions. 

En revanche, l’article167, qui offre la possibilité de poursuivre le Président de la République et le Premier ministre après leurs fonctions ne prévoit cette hypothèse que pour les infractions que ces derniers auraient commises en dehors de l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, il ne précise pas devant quelle juridiction déférer les deux personnalités. L’article 167 dispose :

[…] Pour les infractions commises en dehors de l’exercice de leurs fonctions, les poursuites contre le Président de la République et le Premier ministre sont suspendues jusqu’à l’expiration de leurs mandats. Pendant ce temps, la prescription est suspendue ».

En vue de mettre fin à cette cacophonie juridique, qui consacre un régime d’impunité totale, et qui frise l’immoralité, les articles 163, 164, 166 et 167 de la Constitution doivent être révisés ou abrogés. La constitution serait ainsi révisée et intégrerait un Titre intitulé : « De la responsabilité pénale du Président de la République et des membres du Gouvernement ». Une disposition unique pourrait reprendre l’essentiel du régime juridique de responsabilité pénale du Président de la République et des membres du gouvernement. Inspirée de la Constitution révisée du Burkina Faso du 30 décembre 2023, cette disposition unique reprendrait intégralement l’article 137 de la constitution burkinabé, et serait formulée comme suit :

 « Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en sa qualité de Chef de l’État sauf pour des faits constitutifs de haute trahison ou de détournement des deniers publics ».

« Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des crimes et délits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ».

« L’action publique pour la répression des infractions contre le Président de la République et les membres du gouvernement prévue aux alinéas 1 et 2 ci-dessus ne peut être mise en mouvement qu’à la fin de leurs fonctions. Dans ce cas, les délais de prescription ou de forclusion sont suspendus ».

« Le Président de la République et les membres du gouvernement sont jugés par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Kinshasa Gombe, spécialement composé des trois juges professionnels et quatre juges parlementaires ».

Réviser l’art. 107 et revoir le régime juridique des immunités des parlementaires 

Dans tous les systèmes démocratiques les parlementaires bénéficient d’un régime d’immunités de poursuite nécessité par sa qualité de représentant du peuple. L’article 107 qui règle cette question dispose : 

« Aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Aucun parlementaire ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat, selon le cas. En dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. La détention ou la poursuite d’un parlementaire est suspendue si la Chambre dont il est membre le requiert. La suspension ne peut excéder la durée de la session en cours ».

Si, juridiquement les parlementaires bénéficient d’une immunité de poursuite, ces immunités ne s’attachent, ne jouent que pour les opinions ou votes émis par eux, dans l’exercice de leurs fonctions. Or, la formulation de cette disposition tend à immuniser les parlementaires pour tous les actes qu’ils commettent durant leur mandat. Cela soulève bien des questions dans l’opinion publique, qui constate que, la plupart d’anciens dirigeants épinglés dans des affaires de corruption ou de détournement des deniers publics finissent par passer la plus grande partie de leurs temps au Parlement, bénéficiant ainsi d’une immunité perpétuelle pour tous les faits qu’ils auraient commis. 

Il est possible de mettre fin à ce régime d’immunité des parlementaires en élaguant de l’article 107 un certain nombre de paragraphes qui frisent l’impunité totale de ces derniers.   

Réviser l’art. 10 et consacrer la double nationalité en mettant fin à l’hypocrisie entourant le statut des Congolais de la diaspora ayant acquis des nationalités étrangères  

Le dernier aspect nécessitant une révision de la Constitution concerne la nationalité, en particulier celle des Congolais d’origine, qui, pour des raisons diverses ont choisi de vivre à l’étranger en optant pour la nationalité des pays de leur résidence, pour autant que ces pays leur offrent la possibilité de cumuler leur nationalité d’origine aux leurs. 

Si le problème de la double nationalité est bien réglé dans ces pays-là, qui tirent profit de la présence des Congolais en tant que force de production dans ces pays d’accueil, le Congo dont les fils et filles s’expatrient et acquièrent différentes expertise maintient le principe de l’unicité et de l’exclusivité de la nationalité congolaise, au point de considérer comme étrangers, tous les Congolais d’origine vivant à l’étranger et ayant acquis d’autres nationalités du fait des possibilités légales leur offertes. Aux termes de l’article 10 de la Constitution, « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ».

Or, sur le plan économique, les statistiques montrent que les transferts financiers des expatriés de la diaspora dans leurs pays d’origine dépassent de loin l’aide publique au développement. De même, dans le discours politique, il n’est pas rare que les dirigeants en appellent au sens patriotique de tous ces congolais de la diaspora à qui l’on demande de venir investir au Congo. Mais, en quelle qualité et au nom de quoi ? Puisque, au regard de la Constitution, ces derniers ont perdu leur nationalité congolaise et sont donc des étrangers. 

Par ailleurs, la question de la double nationalité de plusieurs responsables politiques, qui a été au cœur des débats devant l’Assemblée nationale, a été considérée comme une boîte à pandore qu’il n’était pas prudent d’ouvrir. Au lieu de la vider, la représentation nationale a préféré de la geler en décrétant un moratoire qui, me semble-t-il, court encore à ce jour. 

Le moment est donc venu de vider définitivement cette question en consacrant la double nationalité des congolais d’origine ayant acquis une ou plusieurs nationalités étrangères pour des raisons diverses. L’article 10 de la Constitution devrait ainsi être révisé en y insérant une clause de binationalité pour cette catégorie des Congolais bien identifiés. 

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