La RDC : « La communauté internationale se doit d'agir pour mettre fin aux souffrances du peuple congolais » (Tribune collectif)

Les habitants de Sake fuyant vers Goma (Illustration)
Les habitants de Sake fuyant vers Goma (Illustration)

Depuis trente ans, la République démocratique du Congo n'a connu aucun répit. Dans une tribune au « Monde », 75 Prix Nobel appellent à un sursaut international, à l'invitation de Denis Mukwege, le gynécologue congolais « qui répare les femmes », prix Nobel de la paix en 2018 et auteur de ce texte.

Il faut mettre fin à la tragédie congolaise : trois décennies de conflits armés, de guerres répétées, de catastrophes humanitaires et de violations systématiques des droits humains et du droit international.

Il y a quinze ans, le rapport Mapping, publié en 2010 par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, documentait les crimes internationaux commis en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. Les exactions n'ont pas cessé depuis, et aucune action significative, ni au niveau national ni au niveau international, n'a été entreprise pour enfin les endiguer.

Les crises qui ravagent la RDC depuis plus de trente ans sont entretenues par une impunité enracinée et un silence mondial persistant, menant au conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale, que l'on peut estimer à 6 millions de vies perdues.

La RDC regorge de minéraux stratégiques, essentiels pour la révolution numérique et la transition énergétique mondiale. Pourtant, la région reste pauvre et instable, en raison de l'exploitation violente et illégale de ses ressources naturelles. Celles-ci sont pillées par des groupes armés soutenus par l'étranger et blanchies par l'intermédiaire des réseaux opaques du Rwanda vers les marchés mondiaux, ce qui alimente la guerre et sape l'intégrité de la chaîne d'approvisionnement internationale.

En dépit de multiples accords, plus de cent groupes armés et plusieurs armées étrangères opèrent toujours sur le sol congolais en toute impunité. La résurgence du groupe rebelle M23 en novembre 2021, soutenu par le régime de Kigali, a intensifié la crise. Environ 4 000 soldats rwandais auraient envahi les provinces du Nord et du Sud-Kivu, s'emparant de vastes territoires riches en minerais et provoquant le déplacement de millions de personnes. En 2025, plus de 10 millions de Congolais - soit quasiment la population de la Belgique - vivent désormais dans la peur, sous occupation.

Selon les Nations unies, le bilan humain est accablant : plus de 26 millions de personnes font face à une faim sévère ; 7,8 millions sont déplacées à l'intérieur du pays ; 1,6 million d'enfants sont privés d'accès à l'éducation en raison de la destruction ou la fermeture des écoles. Les violences sexuelles contre les enfants atteignent un niveau sans précédent : entre janvier et février, les enfants représentent entre 35% et 45% des cas signalés de viols et violences sexuelles - soit près de 10 000 victimes, ou une victime toutes les trente minutes. A la fin du mois de mars, le Plan de réponse humanitaire des Nations unies de 2025 n'était financé qu'à 8,2 %, privant ainsi des millions de personnes d'une aide vitale, et place la RDC en tête des crises les plus négligées au monde.

Malgré ces conditions catastrophiques, la réponse diplomatique reste au mieux timide. Tandis que la communauté internationale a mobilisé sanctions et suspensions d'aides dans d'autres contextes de conflit, elle continue de tolérer l'agression illégale du Rwanda au Congo, qui constitue une violation manifeste de la Charte des Nations unies. La nature des actions du Rwanda en RDC ne diffère pas fondamentalement de celles de la Russie en Ukraine, ce qui pose de lourdes questions sur les doubles standards mondiaux et sur la valeur accordée à la vie des Africains.

Les problèmes causés par l'homme nécessitent des solutions portées par l'homme. Aucun pays n'est au-dessus des lois. La communauté internationale se doit d'agir, de manière décisive et sans délai, pour mettre fin aux souffrances du peuple congolais, faire respecter la justice internationale et protéger le droit de chaque nation à la souveraineté et à la paix.

Il faut enfin appliquer la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies, datée du 21 février, ce qui inclut un cessez-le-feu immédiat et sans condition, le retrait des forces rwandaises du territoire congolais et la cessation de leur soutien au M23 sans condition préalable, et le démantèlement des administrations parallèles établies dans les zones occupées.

Nous appelons à l'organisation d'une conférence internationale sur la paix afin de placer ce conflit oublié et négligé au sommet de l'agenda de la communauté internationale, en créant une plateforme de haut niveau pour un dialogue vers une paix globale, juste et durable en RDC.

L'accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération d' Addis-Abeba, signé en 2013, reste également un outil essentiel pour traiter les causes profondes de la violence. Sa pleine mise en œuvre, avec une volonté politique renouvelée aux niveaux national, régional et international, est urgente et doit garantir la participation effective des femmes et des jeunes. Enfin, la justice doit être au cœur de toute paix durable, ce que seul un tribunal international peut apporter en RDC, en s'appuyant notamment sur le rapport Mapping comme fondement.

Il ne s'agit pas uniquement d'une question congolaise. C'est une question mondiale. Chaque smartphone, ordinateur portable ou véhicule électrique contient probablement des minerais venus de RDC. Nous avons tous un bout du Congo dans nos poches. Donc une responsabilité.

Parmi les signataires : Yuan T. Lee, Nobel de chimie 1986 ; David MacMillan, Nobel de chimie 2021 ; Oleksandra Matviitchouk, Nobel de la paix 2022 ; Patrick Modiano, Nobel de littérature 2014 ; Herta Müller, Nobel de littérature 2009 ; Nadia Murad, Nobel de la paix 2018 ; John C. Polanyi, Nobel de chimie 1986 ; Richard J. Roberts, Nobel de médecine 1993 ; Jean-Pierre Sauvage, Nobel de chimie 2016 ; Jody Williams, Nobel de la paix 1997.