Décès maternels en RDC : que fait le gouvernement congolais pour faire passer le taux de trois à deux chiffres d’ici à 2030 ?

Une table d'accouchement du Centre Mère et Enfant de Barumbu à Kinshasa
Une table d'accouchement du Centre Mère et Enfant de Barumbu à Kinshasa

La RDC est l’un des pays ayant le ratio de la mortalité maternelle parmi les plus élevées au monde. Pour avoir souscrit aux objectifs de développement durables, elle doit consentir d’ici à 2030, au moins six fois plus d’efforts dans la réduction du taux. Soit, passer de 473 sur 100.000 naissances vivantes à 70. Dans l’objectif de connaître les moyens mis à profit dans cette bataille, j’ai réalisé une série de descentes auprès des services impliqués. 

Des chiffres alarmants 

Selon les données chiffrées contenues dans le Système national d’information sanitaire, en abrégé SNIS, pour l’année 2017, le pays a enregistré un total de 8449 décès maternels (soit 2.827 répertoriés dans les institutions hospitalières et 5.622 signalés dans la communauté) dont 350 pour la capitale Kinshasa. En 2018, 6.517 décès maternels (soit 2.701 au niveau des formations sanitaires et 3.816 dans la communauté) dont 362 à Kinshasa. En 2019, 11.856 (2.816 au niveau des formations sanitaires et 9.040 dans la communauté) dont 253 à Kinshasa. En 2020, 6.607 décès maternels (soit 2.938 pour les formations sanitaires et 3.669 dans la communauté) dont 324 à Kinshasa. En 2021, 6.503 (soit 2.664 dans les établissements des soins et 3.839 dans la communauté) dont 240 à Kinshasa.

A la célébration officielle de la JM de la santé 2022 au mois d’octobre, un rapport synthèse des interventions du Programme national de santé de la reproduction (PNSR) a été publié. Le PNSR constitue la principale structure de l’Etat congolais chargée de la mise en œuvre de la Politique nationale de la santé de la reproduction.

Selon les chiffres présentés dans ledit rapport d’interventions, 10.665 décès maternels ont été notifiés et 1795 décès ont été revus en 2017. En 2018, 6688 décès ont été notifiés contre 1825 revus. En 2019, 5.945 ont été notifiés contre 1.937 revus. En 2020, 6.642 décès ont été notifiés contre 2036 revus. En 2021, 6.504 décès ont été notifiés contre 2.265 revus.

Dans une interview avec le Docteur Guy Mukumpuri, responsable de la branche maternité à moindre risque du PNSR au mois d'août, il soulignait déjà que la mortalité maternelle en RDC reste un enjeu crucial.

Quelles sont les causes de ces décès maternels ? 

Une parturiente dans une salle de travail assistée par une sage-femme
Une parturiente dans une salle de travail assistée par une sage-femme

Au SNIS, les données démontrent que la plupart des décès sont rapportés par les infirmiers titulaires, au niveau de la communauté car près de 50 % de la population ne fréquentent pas les formations sanitaires. « Les femmes enceintes font recours aux matrones (car il n’y a pas suffisamment de sage-femmes), aux marabouts, à l’automédication et/ou se trouvent dans les camps des déplacés (dans un contexte où les formations sanitaires se situent dans les milieux impactés par les conflits armés ou communautaires ».

En 2018, dans une étude intitulée « Facteurs explicatifs des Décès Maternels en Milieu Hospitalier : au niveau de six zones de Santé dans l’est de la République Démocratique du Congo », il a été prouvé que les hémorragies ont constitué la première cause de décès (63,4% des cas), suivies des éclampsies (8,5%) et des infections (7%). Les causes indirectes sont incriminées dans moins de 6% des cas.

A niveau national du PNSR, pour la seule année 2021, le rapport synthèse mentionne que 61% de décès étaient dus à l’hémorragie, 23 % de décès dus aux avortements, 11% aux infections ainsi que 5% aux éclampsies (hypertension durant la grossesse).

J’ai également interrogé des kinoises. Elles n’ont pas hésité à donner leurs points de vue dans cet article RDC : pourquoi les femmes meurent-elles encore pendant l'accouchement ? 

Dans une interview réalisée au mois de novembre avec la responsable d’une ONG locale, elle a souligné le fait que parmi les causes des Décès maternels en RDC : « dans certains milieux, les filles accouchent très tôt et enchaînent les naissances », Anny Modi

Les réalités sur terrain 

Les installations sanitaires du Centre Mère et Enfant à Barumbu
Les installations sanitaires du Centre Mère et Enfant à Barumbu

Le système de santé de la RDC est réparti en trois niveaux ; opérationnel (comprend les Zones de santé : Hôpitaux généraux de référence et centres de santé), intermédiaire (notamment la Division provinciale et l’inspection provinciale de la santé), central (le cabinet du ministre mais aussi l’Inspection générale de la santé).

Nous avons premièrement effectué des descentes au niveau des établissements hospitaliers au mois d'août et septembre, qui ont pour mission la mise en œuvre de la stratégie des soins de santé primaires. Notamment, à l’hôpital général de référence de N’djili (district de la Tshangu), l’hôpital général de référence et centre mère et Enfant de Ngaba (district de Mont-Amba), Centre mère et enfant de Barumbu (district de Lukunga), ainsi que des hôpitaux privés, l’un situé à Limete et deux autres à Masina et à Makala (District de la Funa).

Sur place, des soignants se sont confiés sur le manque et la vétusté du matériel. Le centre Mère et Enfant Barumbu par exemple, reçoit plus ou moins 1020 parturientes par an avec une fréquence d’environ 3.792 femmes enceintes qui consultent en prénatale. Cependant, « l’infrastructure actuelle ne nous permet pas d’offrir un service de qualité. Lorsqu’il y a urgence par exemple, nous sommes obligés d’exploiter des stratégies développées par le centre pour opérer, nous réalisons des interventions chirurgicales (césariennes) sur du matériel de transport d’urgence », avait dit un personnel.

En 2021, un rapport co-réalisé par l’UNFPA, l’OMS, l’ICM (Confédération internationale des sages-femmes), avait démontré qu’en investissant pleinement en faveur des sages-femmes d’ici à 2035, « on pourrait éviter deux tiers environ des décès maternels » . Au cours de nos reportages, des sages-femmes ont également parlé des difficiles conditions de travail. « L’accouchement en soi coûte 5.000 francs congolais (2.5 $). Avec les frais connexes, on atteint 58.000 Fc (un équivalent de 30$). Ces frais sont parfois répartis à tous les personnels de l’hôpital. Dans ce quartier, des centres de santé proposent des services de maternité à 10.000 Fc. Les femmes y vont et lorsqu’il y a des complications, elles sont envoyées vers nous » , disaient Elisée, Marthe, Thérèse et Chantal qui travaillent depuis plus de 10 ans.

Dans quels secteurs le gouvernement congolais ses partenaires investissent-ils pour réduire le taux de décès ? 

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Siège du PNSR à Kinshasa

Au cours de ces cinq dernières années, le gouvernement Congolais a agi avec des partenaires pour réduire le taux des décès maternels. Cap vers la Division provinciale de la santé, la Coordination de la santé de la reproduction, le PNSR, l’Inspection provinciale et générale de la santé. A chaque degré, nous avons cherché à comprendre quelles sont les innovations ou mécanismes développés ces dernières années pour réduire la mortalité maternelle évitable en RDC.

Au niveau central du système de santé de la RDC, la réforme de l’Administration publique a conduit à la mise en place officielle de l’Inspection Générale de la santé en 2018. Elle a pour mission l’encadrement, le contrôle, l’enquête et les sanctions. « Nous intervenons lorsqu’il y a dénonciations, rumeurs ou plaintes concernant un cas de décès maternel dans une structure de santé. L’IGS travaille en collaboration avec l’Inspection provinciale de la santé pour effectuer une enquête et proposer des sanctions aux ministres de la santé », ont-ils expliqué.

Depuis environs une année, une ligne verte de redevabilité 45001 a été lancée et propose déjà dans 9/26 provinces de la RDC, la possibilité de dénoncer tous les cas d’abus et de fraudes commis dans le secteur de santé pour permettre aux inspecteurs d’effectuer des enquêtes notamment en matière des décès maternels. « Au Kasaï-central et dans la Lomami, nous avons travaillé dans la phase pilote du Projet de santé intégré (PROSANI avec le partenaire USAID), ensuite nous avons lancé dans le Haut-Katanga, Haut-Lomami, Lualaba, Sankuru, Sud-Kivu, Tanganyika, le Sankuru, A l’aide du numéro vert, des orientations sont données à chaque personne anonyme qui dénonce, la possibilité d’expliquer en audio le type d’abus qui a été commis », a expliqué Baroani Kikuni Joseph, inspecteur Chef de Pool à l’Inspection des services médicaux techniques explique.

Après une compilation de données faite sur place le 03 novembre 2022 à 13h26 à partir d’un téléphone connecté au système, au total, 82.403 tickets ont été enregistrés (nombre général de dénonciations). 26% d’abus concernent les établissements hospitaliers et 22% des centres de santé, 18% dans les divisions provinciales de santé, 17% dans la communauté, ainsi que 5% pour autres niveaux. Les cas de décès maternels font partie de la rubrique soins de santé et ont déjà été signalés 92 fois.

Dans le cadre de ses missions régaliennes, l’Inspection provinciale de la Santé (IPS/Kinshasa planifie trimestriellement « des Missions d’Audit des Revues des décès maternel réalisées par la Division Provinciale de la Santé et les structures de soins ciblées, des Missions de contrôle sur l’utilisation correcte des partogrammes (protocoles de prise en charge de la femme à l’accouchement) et de l’existence des kits d’accouchement et des 13 médicaments qui sauvent la femme dans les maternités de la ville. Des missions effectuées depuis 2017, il se trouve que les causes principales des décès audités sont la mauvaise prise en charge des parturientes, 20% de décès maternels audités sont dus à la mauvaise surveillance du post-partum immédiat (l’hémorragie du post-partum), Transfert tardif des parturientes. Kinshasa compte environ 4.500 structures sanitaires toutes catégories confondues. Durant les cinq dernières années, nous avons procédé aux états des lieux et sanctions à l’endroit des pharmacies. Dès 2023, nous allons passer à la fermeture des formations sanitaires qui ne répondent pas aux normes. », nous ont révélé Dr, Gode Mona, Médecin Inspecteur Provincial soutenu par Simon Nkashama, Inspecteur Chef du bureau médico-technique.

En termes des réalisations liées à la santé de la reproduction de la mère et du nouveau-né (SMRN), le PNSR note dans son rapport synthèse, « le décaissement des fonds par le gouvernement pour l’achat des contraceptifs, la mobilisation des ressources additionnelles en faveur de la Planification familiale auprès des bailleurs des fonds et du secteur privé, ainsi que la proclamation de la gratuité de tous les soins autour de la maternité prôné par le Chef de l’Etat. (Des états des lieux et une phase pilote sont en cours pour une mise en œuvre effective) ». Il faut également ajouter la publication du nouveau plan stratégique national de Planification Familiale 2021-2025. « Sa mise en œuvre va garantir aux femmes et aux filles de la RDC un choix libre et informé en améliorant l’accès aux programmes de planification familiale volontaire et fondés sur les droits car il s’est fixé comme objectif d’améliorer la prévalence contraceptive à au moins 30% à l’horizon 2030 » avait dit le ministre de la santé Jean-Jacques Mbungani.

Eugène Kongnyuy, représentant des partenaires en planification familiale de la RDC et représentant-résident de l’UNFPA a à cette occasion lancé l’appel à une mobilisation collective pour sa mise en œuvre.

Lire aussi : Décès maternels : investir dans la contraception, une autre voie pour réduire le taux important de la mortalité maternelle en RDC

En outre, dans l’atteinte de ses trois résultats transformateurs ; zéro décès maternel évitable, zéro besoin non satisfait en planification familiale et zéro violence basée sur le genre ainsi que les pratiques traditionnelles néfastes comme le mariage précoce, l’UNFPA « l’un des partenaires clés du gouvernement dans la lutte contre les décès maternels » a précisé Mme Vicky Mbutu, a choisi de contribuer au développement de la profession sages-femmes. L’UNFPA appuie notamment la Société Congolaise de la pratique Sage-femme (SCOSAF), le PNSR, à travers l’implémentation des approches innovantes. Notamment, en offrant le mentorat clinique en Soins obstétricaux essentiels (SOE), soins obstétricaux néonataux d’urgence (SONU) ainsi qu’en surveillance des décès maternels, périnatales et riposte (SDMPR) aux divisions provinciales de santé (DPS).

Il faut également noter que l’une des réalisations phares pour l’année 2022 de l’UNFPA sera l’engagement des leaders coutumiers et religieux lors du forum national des leaders traditionnels et religieux pour mettre fin aux violences basées sur le genre en RDC. Il a rassemblé plus de 150 leaders religieux et chefs coutumiers en provenance de l’ensemble des 26 provinces du pays.

Prisca LOKALE