Les sages-femmes sont les principales prestataires de soins auprès des femmes et de leurs nouveau-nés au cours de la grossesse, de l’accouchement et de la période post-partum, rappelait l’UNFPA en 2018. A Kinshasa, elles plaident pour l’amélioration de leur environnement de travail. Reportage
Il est 10 heures passées dans la salle de travail du centre Mère et enfant de Barumbu. Ce jour-là,trois sages-femmes, deux infirmières et deux médecins entourent un lit. "Sauvez-moi, aidez-moi s’il vous plaît ! Je suis là depuis 4 heures du matin… ", lâche une femme enceinte en souffrance. Hélène, sexagénaire, la plus ancienne des sages-femmes, donne quelques indications pour soulager la patiente. L’équipe dresse tout de suite la liste des soins à prodiguer.
Une vocation nourrie par le décès d’un proche
"Enfant, j’admirais le travail des accoucheuses. Mais mon désir de m’engager est né lorsque j’ai perdu l’une de mes sœurs, des suites des complications liées à l’accouchement. J’ai pris la décision de devenir sage-femme pour sauver la vie aux femmes et leurs nouveau-nés", se rappelle Hélène, graduée à l’Institut Supérieur des Sciences de santé de la Croix-Rouge.
Quelques minutes plus tôt, elle a pris à crédit des beignets et des cacahuètes auprès d’un vendeur qui circule dans les bâtiments du centre. C’est son premier repas depuis qu'elle est arrivée à 7heures du matin. Hélène est sage-femme depuis 15 ans.
" Aucune femme ne devrait mourir en donnant la vie et aucun bébé ne devrait mourir en venant au monde. Ces deux principes guident tout mon travail. Je sais, à travers toutes les connaissances acquises lors de mes études et différentes formations, décider du type d’accouchement voie haute (césarienne) ou voie basse. Cet établissement réalise en moyenne 30 accouchements par semaine, je reçois des grossesses avec VIH Sida et celles des femmes anémiques. Je sais traiter chaque femme avec dignité", se vante-t-elle.
S'agissant de la formation des sages-femmes, au-delà des établissements universitaires, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) appuie le ministère de la santé et la société congolaise de la pratique sage-femme (SCOSAF) dans ce domaine.
Garantir la maternité gratuite et la prise en charge du personnel sage-femme
D’ici à 2030, l’une des cibles de l’objectif de développement durable 3(ODD3) est de faire passer le taux mondial de mortalité maternelle en dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes.
En 2021, un rapport co réalisé par l’UNFPA, l’OMS, l’ICM (Confédération internationale des sages-femmes), a démontré qu’en investissant pleinement en faveur des sages-femmes d’ici à 2035, "on pourrait éviter deux tiers environ des décès maternels, des décès néonatals et des mortinaissances, sauver ainsi 4,3 millions de vies par an".
Le gouvernement congolais et ses partenaires estiment que dans le pays, au moins 4 femmes meurent chaque heure, des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement.
Le 30 juin dernier, le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi a annoncé que bientôt, "le programme d’accès gratuit aux soins de santé pour la femme enceinte, les accouchements, et les soins au nouveau-né sera effectif dans l’ensemble des zones de santé de Kinshasa".
Elisée, Marthe, Thérèse et Chantal travaillent au centre mère et enfant de Ngaba. Elles viennent de participer à un accouchement par césarienne d’une femme enceinte transférée. Si la gratuité des services de maternité fera augmenter la demande, ces sages-femmes souhaitent également que leurs préoccupations soient prises en compte.
"De quoi allons nous pouvoir bénéficier à travers cette gratuité ? Allons-nous survivre ?", s’interroge l’une d’entre elles. A une autre de renchérir, "L’accouchement en soi coûte 5.000 francs congolais (2.5 $). Avec les frais connexes, on atteint 58.000 Fc (un équivalent de 30$). Ces frais sont parfois répartis à tous les personnels de l’hôpital. Si la gratuité s’impose, quelle garantie aurons-nous ? Dans ce quartier, des centres de santé proposent des services de maternité à 10.000 Fc. Les femmes y vont et lorsqu’il y a des complications, elles sont envoyées vers nous".
A une autre de compléter, "j’ai exercé en tant que sage-femme dans les villages de Mai-Ndombe. La famille de l’accouchée apportait des vivres aux sages-femmes. Ici, ce n’est pas le cas. Il est parfois difficile de trouver au moins 2.000 FC (l'équivalent de 1$) par jour. C’est déjà très dur !". La dernière d’entre elles a confié qu’elles perçoivent toutes, un salaire mensuel de 150.000 Fc (l'équivalent de 75$ par mois) et la prime de risque est fixée au même montant.
A l’hôpital général de référence de N’djili, une sage-femme a également plaidé pour l’amélioration de leurs conditions de travail.
"Nous soutenons la gratuité de la maternité, nous plaidons aussi pour que nos préoccupations soient prises en compte par les autorités. En ce moment, les médecins sont en grève parce que les autorités ne tiennent pas compte des revendications. Si les sages-femmes décident d’aller également en grève, quelle sera la situation de la mortalité maternelle et néonatale ?" s'interroge Mathilde.
Hélène du Centre mère et enfant de Barumbu a également insisté sur le fait que, "la Covid-19 est venue avec tous les risques pour les personnels soignants, mais nous avons été là. Est ce que le gouvernement pense à nous? Nous vivons des pourboires et un salaire de moins de 150 $".
Par ailleurs, contactée par le Desk Femme, l’un des membres de la SCOSAF a fait un plaidoyer pour la reconnaissance du métier des sages-femmes en RDC. A l’en croire, les travaux ont été lancés depuis plus de deux ans et le texte se trouve actuellement au niveau de l’Assemblée nationale.
*les noms des personnes interviewées ont été modifiés suite à leur demande
Prisca Lokale