La mortalité maternelle en RDC reste un enjeu crucial

Photo/ Actualité.cd
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L’Afrique subsaharienne compte à elle seule environ 66% (196.000) des décès maternels mondiaux estimés, selon un rapport conjoint de l'OMS, l'UNICEF, l’UNFPA et le Groupe de la Banque mondiale publié en 2019. La RDC est parmi les pays cités. Pour saisir l’ampleur de la mortalité maternelle, Guy Mukumpuri, responsable de la branche maternité à moindre risque du Programme National de santé de la reproduction (PNSR) a accordé une interview au Desk Femme.

Bonjour Monsieur Guy Mukumpuri et merci de nous accorder de votre temps. Quelles sont les missions assignées à votre division ?

Guy Mukumpuri :  La "Maternité à moindre risque" est la première composante du PNSR en dehors de la Planification familiale, des Groupes spécifiques et autres. Elle s’occupe de la santé de la femme en ce qui concerne les consultations prénatales, les accouchements etc. Elle élabore toutes les normes et directives pour que la femme soit en bonne santé de la conception de la grossesse à l’accouchement.

Comment faites-vous pour atteindre toutes les provinces de la RDC ?

Guy Mukumpuri : nous sommes attachés au secrétariat général du ministère de la santé et nous couvrons toute la République. Notre système de santé a trois attaches :le niveau national (Bureau du PNSR à Kinshasa chargé d’élaborer des normes et directives par rapport à la santé de la mère et du nouveau-né), le niveau intermédiaire (au niveau des provinces, ce programme travaille avec des médecins chefs de projet santé de la reproduction), le niveau périphérique (les zones de santé).

Quand faut-il parler de « décès maternel » ?

Guy Mukumpuri :on appelle décès maternels, la mort d’une femme enceinte dès la conception de la grossesse à l’accouchement, et 42 deux jours après l’accouchement. On détermine qu’il s’agit d’un décès maternel sur base des causes aggravantes liées à la grossesse de cette femme. Les causes de ces décès sont multiples. Notamment parce que les femmes se rendent auprès des prestataires non qualifiés pour accoucher, parce que la prise en charge est faite par des prestataires incompétents.

A quel moment peut-on dire que ces décès sont « évitables » ?

Guy Mukumpuri : on parle des décès maternels évitables, lorsque les causes pour lesquelles les femmes meurent (hémorragies sévères, éclampsie, pré éclampsie, infections…) peuvent être évitées. Pour les hémorragies par exemple, une femme qui va régulièrement aux consultations prénatales (CPN), est déparasitée, elle reçoit le fer, elle a tout l’équipement enzymatique naturel à l’accouchement. Mais si cette hémorragie sévère arrive (il faut souligner que cette hémorragie n’est pas prévisible), le prestataire qui reçoit la femme, s’il a la compétence et est formé sur toutes les techniques qu’il faut pour juguler l’hémorragie sera prêt à répondre à ce problème. Au sujet des éclampsies, une hypertension sur la grossesse, il y a tout un schéma de prise en charge. Il va falloir que tous les médicaments soient disponibles et que les prestataires soient formés et compétents au niveau des formations sanitaires. Les infections signifient que les femmes mettent au monde dans des conditions calamiteuses. Il faut prendre des précautions universelles par rapport aux soins de la femme. Il faut aussi des médicaments disponibles pour pallier ce problème.

Y a-t-il d’autres facteurs qui contribuent aux décès maternels ?

Guy Mukumpuri : à propos des facteurs, selon un jargon propre en matière de santé de la reproduction, les femmes meurent des 3 « trop » et des 3 « retards ». Le premier trop consiste à avoir des grossesses trop tôt (éviter des grossesses à l’âge pubertaire ou à moins de 20 ans), deuxième trop, des grossesses très rapprochées (il faut espacer les naissances à au moins 2 ans pour permettre à l’utérus de se reconstituer), troisième trop, des grossesses trop tard (éviter les grossesses au-delà de 35 ans).  Le premier retard est dans la prise de décision de consulter les services, après le constat des signes de danger. Le deuxième retard dans le transport vers les services. Troisième retard au niveau de la prise de décision par les services de santé, du type de prise en charge des femmes.

Il y a donc des causes inévitables ?

Guy Mukumpuri : le risque 0 n’existe pas, parce que la mort est inévitable. Elle peut vous surprendre à tout moment. Néanmoins, si les prestataires sont bien formés, il y a moyen d’éviter ces décès. Même les facteurs cités  précédemment peuvent être évités, si la femme a l’information, si les formations sanitaires sont accessibles, et si les prestataires sont formés.

Quelle est la situation des décès maternels en RDC ?

Guy Mukumpuri : il s’agit d’un grand fléau, un grand défi qui  ternit l’image du pays. La RDC est comptée au niveau mondial comme l’un des grands pays pourvoyeurs des décès maternels. Les études fiables dans lesquelles le monde nous classe par rapport aux décès maternels s’appellent les Enquêtes de démographie et de santé (EDS). Elles se font généralement tous les cinq ans. Jusque-là, notre pays est classé à 846 décès maternels sur 100.000 naissances ( EDS 2012 -2013). Compte tenu des difficultés rencontrées au cours de ces années, nous sommes dans l’élaboration d’une nouvelle édition de l’EDS 2022. Mais, nous avons d’autres sources qui nous rapportent des données. Il s’agit des agences des Nations Unies. La dernière indication nous rapporte à 473 décès maternels sur 100.000 naissances. Pour illustrer cela, je prendrais l'exemple des crash d'avion. En RDC, ces décès représentent deux ou trois Boeings pleins de femmes enceintes qui se crash chaque mois.Si on devait parler en termes de bus, ces décès représentent six bus Trans Rénové pleins de femmes enceintes qui connaissent un accident de circulation routière, sans aucun rescapé. 

Pour rappel, l’ODD 3 a parmi les objectifs à atteindre d’ici à 2030, de faire passer le taux mondial de mortalité maternelle en-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes.

Prisca Lokale