Tribune: Prof. Christian-Jr KABANGE NKONGOLO (Faculté de droit/Université de Kinshasa)
Des commentaires fusent dans tous les sens après la récente sortie médiatique du Président du Conseil d’Administration de la GECAMINES sur France 24. Comme à l’accoutumé, tous les violons s’accordent sur le constat amer selon lequel la manne minière du pays n’a profité ni aux zaïrois d'hier, ni aux congolais d'aujourd’hui. Cette triste réalité n’est sans doute plus à démontrer, mais les questions qui taraudent l’esprit sont tout autant celle de la chaîne de responsabilité que celle des perspectives futures.
Dans un premier temps, c’est à se demander s’il est rationnel d’imputer toute la charge exclusivement au FMI, la Banque Mondiale et les investisseurs étrangers? Pareil réquisitoire qui tend à absoudre les causes endogènes, entendez dans ce contexte celles qui incombent au leadership congolais, est on ne peut plus sévère et exorbitant. D’abord parce qu’en avant plan, le FMI et la Banque Mondiale ne sont jamais eux-mêmes signataires des contrats miniers, quoique leur politique de conditionnalité reste une arme redoutable de persuasion ou de dissuasion selon le cas (voir par exemple l’ajustement des contrats chinois SICOMINES ou même le préalable lié à la publication des contrats miniers SOKIMO/MIBA).
Ensuite, il suffit de revisiter l’histoire, tout au moins à partir de l’indépendance, pour se rendre compte que la part la plus belle dans cette chaîne de responsabilité revient essentiellement aux décideurs congolais et à l’environnement politique et économique chaotique dans lequel le secteur minier s’est déployé jusqu’ici. Sans oublier bien sûr l’ “économie de guerre” qui s’est incrustée à l’est du pays au fil du temps, et dont les prétextes servent de fonds de commerce à l’exploitation illicite et au pillage des ressources minières.
Le discours d’aujourd’hui se rapproche bien de celui d’hier. Au lendemain de l’indépendance, le nouvel État qui entend récupérer tous les leviers et affirmer tout autant son indépendance économique, commence par reprendre en 1966 (loi Bakajika) tous les droits miniers cédés ou concédés avant le 30 juin 1960. L’année suivant, en 1967, c’est au tour de l’Union Minière du Haut Katanga, qui devient par la suite GECAMINES (1972), d’être nationalisée. Depuis lors, et plus particulièrement lorsque la SOZACOM reprend la main à la SOGEMIN en 1974, les bénéfices générés sont alors détournés dans des proportions qui ne cessent de grandir, empêchant ainsi le renouvellement de l’outil de production, l’acquisition des nouvelles technologies et le réinvestissement en vue d’une diversification de l’économie. Cette descente aux enfers entretenue par une oligarchie prédatrice est ponctuée notamment par la chute des cours du cuivre en 1974. Trente ans plus tard, c’est l’effondrement de la production qui passe de 46500 à 4860 tones entre 1988 et 1993. Le discours d’aujourd’hui malheureusement se complait encore à encenser les performances de la «Mangeuse de cuivre» entre les décennies 60-80, dressant son réquisitoire contre les forces exogènes, sans vraiment faire une introspection des causes endogènes ayant conduit à sa chute et au bradage des ressources minières.
A la charge des décideurs congolais, il faut bien mettre cette perpétuation d’un environnement politique et économique très tôt asservi à un régime dictatorial à la faveur duquel s’est mis progressivement en place une patrimonialisation des entreprises minières, en ce compris la GECAMINES. Clientélisme, corruption et opacité, toutes ces tares sont autant présentes dans la dégringolade des autres sociétés minières, notamment la MIBA qui s’effondre à son tour après avoir “contribué” à l’effort de guerre entre la fin de la décennie 90 et le début de celle 2000. Les politiques d’ajustement structurel qui se sont intensifiées, appellent au changement de paradigme, non plus axé sur le contrôle et la mise en valeur des ressources minières par un Etat-entrepreneur, mais plutôt sur une libéralisation tous azimuts visant à élargir aux investisseurs étrangers l’entrée dans le secteur. Le Code Miner adopté en 2002 réussi le pari d’accroître significativement le nombre d’investisseurs miniers, mais sans apporter à l’Etat les dividendes escomptés. La résilience de la corruption et l’opacité conduit sans surprise a la conclusion de multiples contrats léonins. Le besoin de liquidité à des fins personnelles ou politiques est la cause majeure qui poussent les représentants de l’Etat à brader les ressources minières, très souvent sans respecter les procédures d’appel d’offre édictées dans le code. La tentative de revisitation de ces contrats entre 2007 et 2009 ne permettra pas de compenser ou récupérer les gains perdus. D’où, la révision du Code Miner en 2018.
Les causes endogènes sont tellement nombreuses qu’il serait difficile d’être exhaustif ici. Sur le fait que certains miniers financent leurs opérations avec des emprunts gagés d’actifs de gisements miniers, là encore la responsabilité de l’Etat congolais et celle de ses services compétents est engagée. En effet, le code minier impose au Cadastre minier l’obligation de vérifier la capacité financière des demandeurs ainsi que les types de financement disponibles avant l’octroie des permis (articles 12, 35al. 1er, 56, 58, 71, 73, 143 al. 1er et 185). Le contentieux de 2018 entre la Gécamines, Glencore, KCC et Mutanda Mining concernant les cessions d’actifs, prises de participation et royalités sont l’exemple récent de l’opacité qui jonche encore le secteur minier. Si le FMI, la Banque Mondiale et les investisseurs étrangers sont d’une certaine manière à mettre sur le banc des accusés, il serait paradoxal et malhonnête d’ignorer sciemment les causes endogènes entretenues par des «réseaux d’élite » congolais (responsables politiques, hommes en arme et hommes d’affaires...).
Pour ce qui est des perspectives, on ne va certainement pas réinventer la roue. Le gouvernement doit veiller au strict respect de la législation minière autant en amont qu’en aval, créer les conditions pour plus de transparence dans le recouvrement des redevances minières, faire un suivi minutieux des obligations sociales des entreprises minières à l’égard des communautés locales. Tout ceci passe par des choix judicieux à tous les niveaux de décision, notamment dans le processus de négociation des contrats. Le secteur minier est très spécialisé, il a horreur des approches et méthodes généralisantes.
A bon entendeur !