Covid-19 : réflexions pour une stratégie cohérente de mobilisation de la population en RDC

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Aujourd'hui, la rédaction vous propose cette tribune de Mabiala Ma-Umba, enseignant-chercheur, expert en éducation et en communication pour le changement social et de comportement – Ancien directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation Internationale de la Francophonie)

Le covid-19 met à rude épreuve les systèmes de santé de l’ensemble des pays de la planète. Il y a à peine quelques mois, personne ne pouvait imaginer que des pays comme la France, l’Italie et les USA connaitraient un tel désastre sanitaire, avec plusieurs milliers de morts ! Si des pays qui ont d’énormes ressources matérielles et financières se sont retrouvés dans l’impasse, nous n’osons même pas imaginer ce qu’adviendrait de la République Démocratique du Congo (RDC) si la pandémie touchait des coins reculés de notre pays. Dans une telle hypothèse, il est évident que, médicalement parlant, nous n’aurons pas les moyens de faire face à cette pandémie. L’arme la plus efficace à notre disposition est la prévention, c’est-à-dire, faire en sorte que ce virus ne se répande pas à travers le territoire national. La prévention renvoie essentiellement au comportement de la population, c’est-à-dire la possibilité, pour la population, d’adopter ou non les gestes barrières recommandées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) mais, surtout, la possibilité, pour la population congolaise, de s’approprier ou non cette lutte. C’est à ce niveau qu’interviennent les stratégies de communication visant des changements de comportement. 

Ce que les Congolais « disent, pensent, croient, imaginent »

Une situation de crise comme celle du coronavirus requiert une stratégie cohérente d’engagement communautaire qui doit être basée sur des données de recherche. Ces données devraient nous renseigner sur les perceptions que les Congolais, en particulier les Kinois, se font du coronavirus. Ces perceptions devraient être identifiées et analysées, le plus rapidement possible,  afin d’alimenter la stratégie. On pourrait objecter que le temps presse et que ce n’est plus le moment de faire des recherches. C’est vrai : on aurait dû y penser depuis deux mois, quand la pandémie a commencé à faire des victimes en Chine et dans les pays du Nord, au moment où il n’y avait pas encore de décès en RDC. Mais, même aujourd’hui, il n’est pas tard. Il existe des techniques simples pour faire une évaluation rapide (rapid assessment, comme disent les anglophones) afin de capturer ce que les Congolais « disent, pensent, croient, imaginent » à propos de cette maladie et donc d’apporter des réponses communicationnelles appropriées, notamment pour compléter les messages clefs recommandées par l’OMS.

La prévention concerne évidemment toute la population. C’est chacun de nous qui doit prendre des précautions pour que, collectivement, nous puissions nous mettre à l’abri du coronavirus. Mais nous savons qu’il y a des gens qui ont le pouvoir d’influencer le comportement des autres : c’est sur ces influenceurs et leaders d’opinion que la stratégie de communication devra s’appuyer en priorité. Il y a donc lieu de faire, pour chaque province et chaque commune, une cartographie, aussi précise que possible, de ces influenceurs et leaders d’opinion. Il faudrait également identifier certains « groupes particuliers » qui, dans le cadre de la campagne de prévention du coronavirus, pourraient jouer un rôle déterminant : par exemple, par la nature de leurs occupations, les policiers, les vendeuses et vendeurs des marchés, les conducteurs des « wewa », les chauffeurs de taxi, les conducteurs et receveurs des bus méritent une attention spéciale. Le fait qu’ils soient  constamment en contact avec le public les expose à un plus grand risque et les rend plus vulnérables. Ils sont plus susceptibles d’être vecteurs du coronavirus mais ils pourraient aussi, de manière plus positive, servir de puissants vecteurs des messages de prévention.

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Tant que les Congolais ne « verront pas le problème »…

La cartographie des groupes-cibles devrait apporter des indications sur les caractéristiques spécifiques de chaque groupe, de telle manière que les actions à envisager et les messages à élaborer puissent tenir compte de ces caractéristiques. Les messages standards recommandés par l’OMS (laver régulièrement les mains, tousser ou éternuer dans le creux de son coude, etc.) devraient être complétés par des messages spécifiques à élaborer en tenant compte des résultats de la recherche sur les perceptions des Congolais. A titre d’exemple, on sait que beaucoup de Congolais ne croient pas (encore !) à l’existence du Covid-19 et, pour plusieurs raisons, ne font pas confiance aux pouvoirs publics.  C’est une préoccupation qu’il faudra absolument intégrer dans la stratégie de communication. Elle requiert des messages spécifiques pour que les Congolais, dans leur grande majorité, arrivent à une compréhension commune du danger que représente le coronavirus et s’engagent spontanément à agir, en symbiose avec les pouvoirs publics. Tant que les Congolais, en particulier les Kinois, ne « verront pas que le coronavirus est un problème pour eux », il sera difficile de les mobiliser pour lutter contre  cette pandémie. En effet, pour que nous puissions gagner cette bataille, il faudrait que les efforts et les sacrifices (le confinement en est réellement un !) que nous demandons à la population soient compris, acceptés, voulus et désirés par la population elle-même. C’est dans cette perspective que nous appelons à « l’union sacrée » de la classe politique (toutes tendances confondues) et de toutes les élites (chefs traditionnels, chefs religieux, chefs d’entreprises, etc.). Cette union sacrée serait en elle-même un acte majeur de communication, un message fort envoyé à la population pour lui signifier qu’il y a danger en la demeure et que, par conséquent, toutes les énergies, toutes les ressources doivent être mises à profit pour y faire face.

Une vraie campagne d’engagement communautaire

La nature et la dimension de la crise nous imposent d’envisager une vraie campagne de communication et d’engagement communautaire. Elle doit utiliser tous les moyens nécessaires : les médias traditionnels (radios et télévision, journaux, affiches, dépliants, etc.) mais aussi les réseaux sociaux ainsi que divers canaux communautaires de communication. C’est le moment de faire appel aux enseignants, aux réseaux des religieux (prêtres, pasteurs, imams), aux animateurs des organisations à base communautaire,  pour  qu’ils servent de « relais », sur le terrain, en complément du travail fait par les médecins et agents de santé. Ces relais pourraient contribuer à faire passer les messages clefs dans leurs communautés, tout en respectant, bien évidemment, les gestes barrières ! Pour mobiliser les communautés, on ne doit pas s’imaginer qu’il s’agit simplement de faire passer des messages sur les « gestes barrières ». Il est surtout question d’outiller les relais mentionnés ci-dessus et de renforcer les capacités des animateurs communautaires pour qu’ensemble, ils fassent émerger le consensus dans leurs communautés respectives et qu’ils suscitent des actions individuelles et collectives nécessaires pour endiguer la propagation du coronavirus dans leurs communautés. On peut imaginer par exemple que, dans une commune rurale, ceux qui sont plus fortunés puissent fournir des masques ou des flacons de gel hydro-alcoolique à leurs concitoyens. Mais l’apport le plus important sera l’engagement de chaque résident d’adopter des nouvelles normes de vie, des nouvelles normes de comportement : par exemple, pour la plupart des Congolais, tousser ou éternuer en utilisant le creux de son coude est un « nouveau comportement » ! L’apport le plus important sera aussi, pour chacun d’entre nous,  de faire respecter les nouvelles normes autour de nous afin de prévenir, collectivement, le covid-19.

La population congolaise, en particulier celle de Kinshasa, se pose beaucoup de  questions sur le coronavirus. Elle a le droit d’avoir des réponses pour qu’elle comprenne. Les médias ainsi que les relais mentionnés ci-dessus peuvent aider à apporter ces réponses, à condition qu’ils soient eux-mêmes bien informés et qu’ils disposent d’outils simples auxquels ils peuvent se référer, quand ils sont sur le terrain, pour clarifier certains malentendus, dissiper certaines rumeurs… Les relais communautaires seraient par ailleurs bien placés pour faire un suivi  stratégique, sur le terrain, en faisant remonter à l’équipe de riposte, tout au long de la campagne, les réactions de la population ainsi que l’évolution des perceptions, des attitudes et des pratiques comportementales.

D’autre part, il faut bien rappeler que nous sommes en situation de crise grave. En matière de communication de crise, n’importe qui ne devrait pas s’improviser porte-parole, relai ou « mobilisateur » communautaire. Bien entendu, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues mais toutes les personnes qui souhaiteraient jouer un rôle dans la mobilisation devraient scrupuleusement suivre les orientations et directives émises  par l’équipe nationale de la riposte. Il faut, en effet, une ligne de conduite. L’impulsion doit venir de Kinshasa. Les provinces pourraient apporter des ajustements en fonction des réalités spécifiques, sans cependant s’écarter de la vision commune. 

Ne pas donner la parole aux charlatans

En période de crise, la communication devrait être verrouillée.  C’est ahurissant de voir à quel point, au début de cette crise, des médias respectables ont donné la parole aux charlatans venus faire la promotion des « remèdes miracles », mettant ainsi en danger la vie des autres. A Kinshasa, une famille en a fait les frais, perdant trois enfants à qui la mère, croyant bien faire,  avait donné une « potion magique » pour se prévenir du coronavirus, suivant en cela les recommandations d’un « gourou national» de la télévision! Il est urgent de mettre fin à ces stupidités, en encadrant strictement la diffusion des messages sur le coronavirus et en sanctionnant ceux qui, sur les réseaux sociaux, s’amusent à diffuser des fausses informations, sans se rendre compte du préjudice  que cela risque de causer. Le Chef de l’Etat a proclamé l’état d’urgence dans le pays. Nous devrions profiter de cette opportunité pour que les pouvoirs publics remettent un peu d’ordre dans nos « débats démocratiques » : dans beaucoup de pays, ceux qui répandent des informations susceptibles de mettre la vie des autres en danger sont punissables par la loi… 

Les journalistes et les médias attitrés devraient  jouer le jeu et s’insérer, comme un des éléments du puzzle, dans cette stratégie de mobilisation de la population congolaise.  Plus que jamais, ils doivent jouer leur rôle de « chiens de garde », et mener des investigations pour s’assurer que les ressources mises à la disposition de la riposte soient judicieusement utilisées. Mais, ils doivent aussi, par leur rôle de « relayeurs » d’informations véridiques et exactes, accepter de se mettre au service de l’équipe de la riposte pour contribuer à éclairer la population sur les enjeux de cette maladie et sur les efforts qui sont demandés à chacun de nous ! Les journalistes et les médias attitrés ont l’obligation morale de contribuer à créer cette dynamique qui ferait  en sorte que, dans chaque ville, dans chaque commune, dans chaque quartier, dans chaque village, les gens s’organisent « spontanément » et adoptent des (nouvelles) normes de comportement qui contribuent à freiner la propagation du coronavirus. Nous espérons que nous y arriverons : ce sera un bon indicateur de l’engagement communautaire en faveur de la lutte contre le covid-19, cette terrible pandémie qui risque de nous décimer et de nous appauvrir davantage !

Mabiala Ma-Umba