L’organisation Rainforest UK, en partenariat avec l’Action pour la Promotion et la Protection des Peuples et Espèces Menacées (APEM), a procédé ce lundi 13 octobre 2025 à la publication d’un rapport intitulé « La grande ruée vers l’or vert ».
La cérémonie, tenue à Kinshasa, a rassemblé le Directeur général de l’Autorité de Régulation du Marché Carbone (ARMC), des représentants des communautés locales ainsi que plusieurs acteurs de la société civile.
Réalisée sur une période de deux ans, cette recherche visait à mieux comprendre les implications, les défis et les impacts du marché carbone en RDC, notamment les effets des projets déjà en cours sur les communautés locales.
Des projets « douteux » et un cadre légal insuffisant
Prenant la parole, Vittoria Moretti, chargée de campagne à Rainforest UK, est revenue sur les limites observées dans plusieurs initiatives :
« Comme nous avons pu le constater dans la recherche et à travers le film projeté, d’énormes superficies de terres sont engagées dans des projets souvent très douteux, portés par des acteurs n’ayant pas toujours une réelle expérience dans l’industrie de la conservation. Ces projets génèrent fréquemment des impacts négatifs, sans véritables retombées sociales ou économiques pour les communautés. Au contraire, ils favorisent la montée des tensions et conflits fonciers, des frustrations, et même des divisions internes au sein des communautés. De plus, nous avons constaté que le respect des standards et de la législation en vigueur est souvent insuffisant. Il est donc évident que le cadre légal doit être renforcé, tout comme les institutions. »
Elle a ajouté :
« Suite à ces constats, nous avons recommandé d’appliquer un moratoire sur les nouveaux projets volontaires de compensation carbone forestier jusqu’à ce qu’un cadre juridique et institutionnel solide soit mis en place pour réglementer ces programmes et aussi de mener des activités de sensibilisation et de renforcement des capacités auprès des communautés forestières afin qu’elles puissent mieux comprendre et exercer leurs droits. »
Des droits communautaires souvent bafoués
De son côté, Maître Willy Elua, chargé de monitoring au sein de l’APEM, a dénoncé le non-respect des droits des communautés locales dans plusieurs projets carbone.
« En réalité, nous avons constaté sur le terrain que les droits des communautés locales sont largement bafoués. Prenons le cas du CLIP – le consentement libre, informé et préalable – qui est pourtant un principe légalement reconnu, y compris sur le plan international. Ce droit n’est pratiquement pas respecté. Dans les projets visités, il n’existe pas d’outils essentiels comme les mécanismes de gestion des plaintes, qui sont pourtant des instruments de redevabilité et de sauvegarde sociale. »
Des représentants des communautés locales ont également pris la parole pour partager leurs expériences.
« Je suis Léon Soubanka, natif du territoire d’Opala, dans la province de la Tshopo. Nous avons été associés pour donner les informations liées aux projets dans notre territoire. Entre 2020 et 2023, plusieurs projets sont venus dans le cadre du marché carbone. Mais, nous avons constaté de nombreux défis et irrégularités, entre autres manque de sensibilisation, précipitation dans les projets, collecte des signatures sous influence de l’argent dans nos villages. Certaines personnes invitées n’avaient même pas la qualité d’autorité coutumière pour engager les communautés. Devant ces irrégularités, nous avons haussé le ton et appelé à la vigilance. Cela nous a valu d’être arrêtés et détenus 48 heures dans un cachot. »
Un autre représentant, Monsieur Valentin, a insisté sur la nécessité d’impliquer réellement les communautés locales :
« Moi, je dirais que nous avons la grâce et l’amour, mais la situation est compliquée. Chacun cherche ses intérêts personnels, et c’est un problème. Nous devons trouver des solutions ensemble. Si vous m’aimez, soyez avec moi pour qu’on travaille ensemble. Nous sommes dans le village de Boulama, secteur de Delanga, à Pogo. Sans implication des communautés locales, toute démarche sur la forêt est vouée à l’échec. 60 % de la forêt risque d’être détruite. La biodiversité, c’est ce qui fait vivre les écosystèmes. Mais la pauvreté pousse les gens à exploiter la nature sans cadre durable. »
Présent à cette rencontre, le Directeur général de l’Autorité de Régulation du Marché Carbone, Guy Nsimba, a assuré avoir pris en compte toutes les préoccupations exprimées.
« Nous voulons qu’il soit bien compris que la réglementation existe et qu’elle sera appliquée. D’ailleurs, nous allons également plaider au niveau international pour l’uniformisation de nos lois avec les standards mondiaux. Nous avons des contraintes d’agenda liées notamment à la COP30, mais après cette étape, nous pourrons achever le travail commencé. Ce documentaire s’inscrit dans cette dynamique. »
Et de conclure :
« Ce documentaire m’a personnellement fait réfléchir sur le poids de notre responsabilité dans ce processus. Rien n’est impossible si nous sommes déterminés. »
Le moratoire proposé par Rainforest UK et l’APEM intervient donc dans un contexte où la RDC cherche à concilier protection environnementale, développement durable et respect des droits communautaires, avant de s’engager pleinement dans la monétisation de ses ressources forestières.
Divine Mbala