Après plus de 70 audiences, le procès Sheka s’était enlisé suite à des difficultés d’ordre juridique, sécuritaire, logistique et financier. Grâce à la détermination de la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu et à l’appui des partenaires de la justice congolaise, l’étape des dépositions des témoins à décharge du prévenu NTABO NTABERI a été surmontée. Enfin à la dernière audience tenue le 19 août 2020 la cour a pris l’affaire en délibéré, après la clôture des débats. L’issue du procès est très attendue, car constituant un signal fort à l’encontre des seigneurs de guerre qui déstabilisent l’Est de la République Démocratique du Congo.
Les audiences publiques à la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu, siégeant en matière répressive en premier et dernier ressort dans l’affaire qui oppose l’Auditeur militaire supérieur et les parties civiles aux prévenus NTABO NTABERI dit Sheka, NZITONDA HABIMANA Séraphin dit Lionceau, NDOOLE BATECHI Jean et LUKAMBO Jean-Claude et l’Etat congolais, civilement responsable ont repris le 17 juin 2020, après avoir été suspendues en février de la même année à cause de la crise sanitaire due au coronavirus. La dernière audience avant la reprise datait du 28 février 2020 et celle fixée au 26 mars 2020 n’avait jamais eu lieu à cause de la Covid-19.
NTABO NTABERI, ex-chef de la milice Maï-Maï Sheka et Nduma Défense of Congo (NDC), NZITONDA HABIMANA Séraphin, ex-leader au sein du FDLR (des Forces démocratiques de libération du Rwanda) sont poursuivis pour plusieurs chefs d’accusation : crime contre l’humanité et crime de guerre par meurtre, assassinat, mutilation de cadavre, torture, pillages, viol, enrôlement des enfants, terrorisme, création et participation à un mouvement insurrectionnel… Ces crimes auraient été commis dans la période allant de 2010 à 2014 dans les localités de Luvungi, Tweno et Kembe, dans le territoire de Walikale.
Outre Sheka et Lionçau, d’autres miliciens sont jugés dans le procès: NDOOLE BATECHI Jean pour participation à un mouvement insurrectionnel et association de malfaiteurs et LUKAMBO Jean-Claude, pour participation à un mouvement insurrectionnel, assassinat, mutilation de cadavres, association de malfaiteurs et meurtre.
Ces chefs d’accusations retenus dans la décision de renvoi de l’auditorat Militaire Supérieur, près la Cour Militaire Opérationnelle seront confirmés ou infirmés par la Cour, lorsqu’elle rendra son arrêt.
La Cour tient les audiences à Goma
De novembre 2018 à janvier 2020, le dossier SHEKA avait stagné. Ce n’est que le 17 juin 2020 que les audiences au Palais de Justice militaire du Camp Katindo ont repris par là où elles étaient suspendues : lors de la 76ème audience, le conseil de SHEKA avait déposé devant la cour une requête en vue de la délocalisation des audiences à Walikale afin de permettre aux témoins à décharge de leur client de comparaître. Dans son arrêt avant dire-droit, la cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu avait déclaré la requête recevable, mais non fondée. En réaction, le conseil du prévenu SHEKA quitta la salle d’audience pour ne plus y retourner.
« Un arrêt avant dire droit a été rendu, les avocats de la défense ont estimé que les droits de leur client ont été lésés et ont retiré leurs comparutions. Le prévenu ne pouvant comparaitre seul a sollicité une remise, pour qu’à l’audience de remise ses avocats soient présents pour le défendre», expliquera par la suite Maitre Nadine Saïba, avocate de la partie civile.
Malgré la suspension des audiences, des citations à témoins étaient envoyées aux concernées pour l’audience du 02 juillet 2020.
Parmi les 150 témoins à décharge documentés, seuls 11 ont été auditionnés du 2 au 4 juillet 2020. La Cour a retenu ce nombre par rapport aux 11 témoins qui avaient déposé contre Sheka.
Au moment où la cour émettait des citations à comparaitre, les uns et les autres pensaient que ce ne serait pas facile d’atteindre les témoins à décharge, étant donné qu’ils se seraient dispersés dans tout Walikale.
Au final, c’est cette étape qui complète la liste de toutes les parties au procès auditionnées en vue d’éclairer suffisamment la cour et lui permettre de rendre le verdict après l’étape des plaidoiries.
La sécurité des témoins, une préoccupation
La sécurité des victimes et des témoins est l’une des préoccupations majeure du procès SHEKA. Les miliciens de Sheka étant toujours actifs dans le territoire de Walikale, des victimes et témoins à charge ont reçu des menaces pour ne pas déposer contre leur chef. C’est la raison pour laquelle le procès a été délocalisé à Goma. Les victimes et les témoins ont été codifiés et leurs voix brouillées lors des audiences pour ne pas les exposer.
Des ONG internationales, telles que TRIAL International, ABA et ASF, réunies au sein d’un cadre de concertation animé par la Cellule d’Appui aux poursuites (section Justice de la MONUSCO) ont appuyé la justice militaire congolaise dans ses investigations et les victimes afin de se constituer partie civile. Ces ONG ont également proposées des stratégies pour assurer la protection des victimes et témoins.
Pour rappel, c’est en date du 26 juillet 2018, à Mutongo, au nord de Walikale, que le chef de guerre NTABO s’était rendu aux forces de la MONUSCO, avant d’être transféré à Goma sous arrestation. Il est l’une des personnalités congolaises frappées par des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies : ses actifs sont gelés et il lui est interdit de voyager à travers le monde. L’ouverture de son procès était considérée par la MONUSCO comme une victoire du gouvernement congolais dans la lutte contre l’impunité des crimes de masse commis en RDC. Le chef de bureau de la MONUSCO Goma avait estimé que c’était le moment de mettre fin à l’instabilité qui n’a que trop duré en RDC.
Après l’audition des témoins à charge et à décharge, des victimes et des prévenus, les plaidoiries des avocats des parties civiles, le réquisitoire de l’auditeur militaire supérieur et les plaidoiries des avocats des prévenus, la Cour a clôt les débat et a pris la cause en délibéré. Le verdict dans cette affaire est donc imminent.
Hubert MWIPATAYI