"Est de la RDC : des crimes de guerre commis contre la presse" est le nouveau rapport 2025 de l’ONG Journaliste en Danger (JED), présenté samedi 23 novembre 2025 à l'hôtel Memling à Kinshasa. Ce document révèle que la crise sécuritaire et humanitaire persistante dans l’Est de la RDC n’a pas épargné les journalistes et les médias, pris en étau entre les différents groupes armés.
Présenté par Tuver Wundi, correspondant de JED à Goma et directeur provincial de la RTNC, le rapport accuse la rébellion AFC/M23 de menacer systématiquement la liberté de la presse dans les territoires qu’elle contrôle, notamment par des intimidations, arrestations et menaces contre les journalistes. Il pointe également des abus commis par les autorités gouvernementales, responsables selon l’ONG de pressions administratives, de menaces et d’intimidations portant atteinte à l’exercice indépendant du journalisme.
Pour JED, l’administration Tshisekedi comme la rébellion AFC/M23, appuyée par le Rwanda, portent une responsabilité directe dans la dégradation des conditions de travail des journalistes en RDC, faisant du pays l’un des environnements les plus hostiles du continent pour la liberté d’informer. Alors que se tiennent des pourparlers diplomatiques pour ramener la paix dans l'Est du pays, JED appelle à des actions urgentes pour mettre fin aux violations des droits humains et aux graves atteintes à la liberté de la presse commises dans les zones contrôlées par l’AFC/M23.
Selon l’organisation, seuls des médias libres peuvent accompagner efficacement les dynamiques de paix, à condition que les journalistes exercent leur métier en toute sécurité. JED dénonce également l’enrôlement forcé ou idéologique de certains journalistes dans les rangs de la rébellion, qui marque la fin de l’indépendance des médias et du journalisme professionnel dans ces territoires.
"JED dénonce vigoureusement ce climat général d’insécurité dans lequel travaillent les journalistes congolais dans les zones sous contrôle rebelle et appelle ces forces à respecter le travail et les droits des journalistes. Alors que se tiennent les pourparlers entre la RDC et le Rwanda sous médiation américaine, JED demande instamment que la liberté des médias et la protection des journalistes soient inscrites à l’agenda des négociations pour permettre un engagement conséquent des médias dans les processus de paix", plaide l’organisation.
L'organisation rappelle également une réunion tenue le 23 février 2025 à Bukavu, au Sud-Kivu, où le responsable de la communication du mouvement rebelle a dicté aux médias présents des « directives de bonne communication » dans les territoires dits « libérés ». Toutes ces pressions menaces physiques, contraintes éditoriales, diffusion d’informations contrôlées et enrôlement idéologique violent le droit international relatif à la liberté de la presse et constituent, selon JED, des crimes qui ne doivent pas rester impunis.
À l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, la RDC avait pourtant progressé de plus de 30 places en cinq ans au classement de Reporters sans Frontières (RSF), passant de la 154ᵉ à la 123ᵉ position sur 180 pays évalués. Cette évolution positive s’expliquait notamment par une ouverture envers la presse : tenue des États généraux de la presse en 2022, promulgation de la loi « Muyaya », et engagements personnels du Chef de l’État pour faire de la presse un véritable 4ᵉ pouvoir.
Cependant, le rapport constate qu’avec la guerre à l’Est, les autorités gouvernementales ont elles aussi accentué la pression sur les médias. En avril 2024, le CSAC a interdit aux médias de diffuser des informations sur la rébellion sans se référer aux sources officielles, ou d’animer des émissions interactives concernant les opérations militaires, ou encore d’interviewer les « forces négatives ».
Le 7 janvier 2025, le président du CSAC, Christian Bosembe, a menacé de sanctionner les médias internationaux accusés de relayer des informations jugées favorables aux groupes armés. Une lettre de mise en garde a été adressée notamment à RFI, France 24 et TV5 Monde. Le 8 janvier, lors d’une réunion du Conseil Supérieur de la Défense, le gouvernement a annoncé des mesures supplémentaires contre les médias considérés comme « partisans », suivies du retrait de l’accréditation des journalistes d’Al-Jazeera, accusés de manquements professionnels. Par ailleurs, l’ancien ministre de la Justice Constant Mutamba a publié des menaces de sanctions extrêmes à l’encontre de toute personne, y compris des journalistes, relayant des informations perçues comme favorables aux rebelles. Pour JED, dans ces conditions, exercer le métier de journaliste en RDC demeure dangereux.
Le rapport souligne aussi que l’appauvrissement du secteur médiatique, aggravé par les conflits politiques, affaiblit la capacité des journalistes à résister aux pressions et manipulations, compromettant leur rôle essentiel dans la démocratie : informer librement et permettre au public d’accéder à une information indépendante et professionnelle.
La publication de ce rapport intervient en marge de la 12ᵉ Journée internationale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, instaurée par la résolution de l’ONU adoptée le 2 décembre 2013, en hommage aux journalistes français Ghislaine Dupont et Claude Verlon, assassinés le 2 novembre 2013 à Kidal, au Mali.
Clément MUAMBA