Au premier semestre 2025, l’exécution de la loi de finances en République démocratique du Congo révèle de profonds déséquilibres, sur fond d’urgence sécuritaire et de contraintes macroéconomiques. Les données issues des États de Suivi Budgétaire (ESB), mises à jour à la fin juin, montrent une structure de dépenses traversée par des dépassements massifs, particulièrement au sommet de l’exécutif, tandis que plusieurs institutions restent en deçà, voire très loin, des prévisions initiales.
Cette publication intervient dans un contexte marqué par la poursuite du conflit dans l’Est du pays, l’adoption d’une loi de finances rectificative et la fragilité persistante des recettes extérieures. Malgré cela, les recettes mobilisées pour le budget général atteignent 19 040,6 milliards de francs congolais (FC), soit 83,2 % des prévisions linéaires, dont 15 183,5 milliards FC provenant des régies financières. Face à ces recettes, les dépenses s’élèvent à 19 418,2 milliards FC, soit 84,9 % des allocations attendues. Le résultat est un déficit de 377,7 milliards FC, porté principalement par le solde budgétaire intérieur, déficitaire à hauteur de 1 636,1 milliards FC.
Un appareil d’État sous tension budgétaire
L’offensive de l'AFC/M23dans l’Est, marquée par l’occupation de plusieurs grandes villes à partir de janvier 2025, bouleverse l’équilibre financier du pays. Les dépenses sécuritaires, financées essentiellement sur ressources propres, connaissent une sur-exécution chiffrée à 149 % à fin juin. Outre l’effort militaire, les pertes de recettes dans les zones touchées affectent les administrations fiscales : la DGDA n’atteint que 92,2 % de ses prévisions, la DGI 92 %, et la DGRAD 81,2 %.
Les postes les plus exécutés du budget général témoignent de ces priorités urgentes : rémunérations (91,4 %), dette publique (101 %) et fonctionnement des ministères (203 %). À l’inverse, certains secteurs(bourses d’études, subventions aux services déconcentrés, investissements liés au contrat chinois) n’affichent aucune exécution.
Dépassements spectaculaires au sommet de l’exécutif
Le point le plus sensible concerne les dépenses de fonctionnement des institutions. Elles atteignent 1 434,2 milliards FC, pour une prévision de 774,9 milliards FC, soit un taux d’exécution de 185,1 %.
Les dépassements les plus marqués se concentrent dans deux entités :
- La Présidence de la République, avec 850,7 milliards FC exécutés, dépasse ses crédits de 433,7 %.
- La Primature, qui enregistre 94,6 milliards FC de dépenses, atteint un taux d’exécution de 443,8 %.
Ces niveaux, qui pulvérisent les plafonds budgétaires, contrastent avec la situation d’autres institutions. Plusieurs affichent une exécution nulle notamment la CENI, la CNSA ou encore l’Opposition politique. D’autres demeurent très en retrait : 31,4 % au Secrétariat général du gouvernement, 19,4 % à la Commission nationale des droits de l’homme, 48 % à la Cour des comptes. Les deux chambres du Parlement, elles, restent proches des prévisions : 108 % pour l’Assemblée nationale, 110,3 % pour le Sénat.
Ce déséquilibre structurel pose question, alors que les dépenses identifiées concernent notamment le fonds spécial d’intervention en faveur des institutions, les frais de fonctionnement administratifs et les « frais secrets de recherche ».
Ministères : une exécution hors cadre
Le fonctionnement des ministères atteint 3 083,8 milliards FC, pour une prévision linéaire de 1 519,2 milliards FC, soit un taux d’exécution de 203 %. Cette surconsommation, combinée à celle des institutions, contribue largement au déficit intérieur et à la pression croissante sur le marché des titres publics. Le gouvernement a dû recourir massivement aux bons et obligations du Trésor pour couvrir l’écart, accentuant sa dépendance au financement intérieur.
Des chiffres corrigés après une première publication erronée
La mise à jour des tableaux répond également à une anomalie. Le ministère du budget reconnaît que les premiers taux publiés le 30 septembre 2025 reposaient sur les données du seul deuxième trimestre, et non sur l’ensemble du semestre. Un reclassement a également été opéré pour isoler les dépenses sécuritaires par nature et éviter qu’elles ne soient imputées à d’autres sections.
Ces ajustements, explique le ministère, visent à restaurer la cohérence des comptes publics et à renforcer l’exigence de transparence alors que la guerre crée, selon lui, « un risque réel de survenance des faits susceptibles de ne favoriser la bonne gouvernance ».
Une discipline budgétaire relative, mais affichée
Malgré ces dépassements massifs, le gouvernement affirme être resté dans les limites du critère de déficit fixé à 2 000 milliards FC par le Mémorandum des Politiques Économiques et Financières conclu avec le FMI. Une manière de rappeler sa volonté de préserver la crédibilité financière du pays, alors que la conjoncture intérieure et extérieure demeure fragile.
Pour les autorités, plusieurs mesures s’imposent désormais : renforcer la mobilisation des recettes intérieures, améliorer la planification et la priorisation des dépenses, et garantir le respect strict de la chaîne de la dépense. Des recommandations qui prennent un relief particulier à l’heure où l’État doit financer à la fois l’effort de guerre, la stabilité macroéconomique et les besoins sociaux d’une population frappée par un déplacement massif dû aux combats.