Depuis plusieurs années, l’évolution de la dette publique congolaise alimente un débat politique et institutionnel d’une rare intensité. À mesure que l’encours progresse, les diagnostics se multiplient. D’un côté, les autorités assurent que le pays demeure dans des seuils de soutenabilité confortables. De l’autre, des voix, dont celle de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, alertent sur une dynamique jugée dangereuse. Entre ces deux lectures, les données détaillées publiées par la Direction générale de la dette publique (DGDP) et par les services budgétaires permettent de retracer une trajectoire où la hausse, continue depuis 2021, s’accompagne d’un renforcement des engagements extérieurs et d’un élargissement du marché intérieur des titres publics.
Une dette qui a doublé en six ans
À la fin de l’année 2024, alors qu’il intervenait devant l’Assemblée nationale, Augustin Matata Ponyo résumait en quelques phrases la progression de l’endettement : la dette publique, selon lui, aurait « doublé en six ans », passant « d’environ 5 milliards à près de 11 milliards de dollars ». L’ancien chef du gouvernement parlait d’une « dette explosive et nocive », jugée de nature à « hypothéquer l’avenir des citoyens » et à compromettre, si elle se poursuivait, la mise en œuvre de projets structurants.
Lors de cette même intervention, il estimait que la croissance de 5,7 % inscrite dans le budget 2025 constituait un « taux de croissance appauvrissant », en l’absence de réformes structurelles. Il appelait alors l’exécutif à renforcer le suivi budgétaire, rappelant qu’un budget « reste une lettre morte » s’il n’est pas exécuté dans des conditions satisfaisantes.
Une trajectoire ascendante depuis 2010, accélérée après 2021
Les séries publiées par la DGDP sur l’évolution de la dette extérieure et intérieure entre 2010 et 2025 confirment la tendance de long terme.
La dette extérieure, qui s’établissait à 3,26 milliards de dollars fin 2010, augmente régulièrement : 4,65 milliards en 2011, 4,94 milliards en 2012, 5,20 milliards en 2013, 4,92 milliards en 2014, 4,80 milliards en 2015, 4,54 milliards en 2016, 4,59 milliards en 2017. Après un repli à 3,28 milliards en 2018, elle remonte à 3,72 milliards en 2019, 4,25 milliards en 2020 et 4,87 milliards en 2021. La progression s’accélère ensuite : 5,66 milliards en 2022, 6,85 milliards en 2023, 7,61 milliards en 2024. Au 30 juin 2025, elle atteint 9 milliards de dollars, son niveau le plus élevé sur la période observée.
La dette intérieure suit un rythme plus modéré avant 2021, passant de 1,38 milliard de dollars en 2010 à 1,41 milliard en 2011, 1,34 milliard en 2012, 1,40 milliard en 2013, 1,39 milliard en 2014, 1,38 milliard en 2015. Elle progresse ensuite à 1,82 milliard en 2016, 1,87 milliard en 2017, 1,92 milliard en 2018, 1,95 milliard en 2019 et 2,52 milliards en 2021. Là aussi, la montée devient plus marquée à partir de 2022 : 3,84 milliards en 2022, 3,71 milliards en 2023, 5,56 milliards en 2024, puis 5,50 milliards au premier semestre 2025.
Dans ces conditions, l’endettement total s’accroît régulièrement. Il passe de 9,49 milliards en 2022 à 10,55 milliards en 2023, puis 13,16 milliards en 2024. Au deuxième trimestre 2025, il atteint 14,33 milliards de dollars. Rapporté au PIB, le taux d’endettement évolue de 16,02 % en 2022 à 17,02 % en 2025, après un pic à 18,49 % en 2024.
Une structure dominée par les créanciers multilatéraux
Au deuxième trimestre 2025, la dette extérieure de la RDC s’élève à 8,896 milliards de dollars. La structure de cette dette est marquée par la prédominance des créanciers multilatéraux. Ils totalisent 7,394 milliards de dollars, soit 83,11 % du total extérieur, contre 81,24 % en 2024 et 82,51 % au premier trimestre 2025. L’Association internationale de développement (IDA) est le premier d’entre eux, avec 4,435 milliards de dollars, représentant 49,86 % de la dette extérieure. Le Fonds monétaire international (2,411 milliards – 27,10 %) constitue le deuxième créancier. Viennent ensuite le groupe BAD/FAD (383,58 millions – 4,31 %), l’OFID (45,37 millions – 0,51 %), la BADEA (46,52 millions – 0,52 %) et la BEI (33,44 millions – 0,38 %).
Les créanciers bilatéraux représentent 1,171 milliard de dollars au deuxième trimestre 2025, soit 13,17 % du total. Eximbank of China détient 750,43 millions (8,44 %), Eximbank of India 108,70 millions (1,22 %), Abu Dhabi 205,36 millions (2,31 %). Les autres créanciers bilatéraux, dont la Banque de France ou les fonds souverains, ne dépassent pas 1 % individuellement.
Les banques commerciales apparaissent dans la structure seulement au deuxième trimestre 2025, pour 143,25 millions de dollars (1,61 %). Les « autres créanciers » représentent 31,83 millions (0,36 %), tandis que les arriérés techniques s’élèvent à 155,70 millions (1,75 %).
Par devise, 50 % de la dette extérieure courante est libellée en DTS (4,382 milliards) et 46 % en dollars américains (4,012 milliards). L’euro (1 %), le yuan (3 %) et diverses autres devises (1 %) complètent la structure.
Une dette intérieure marquée par les titres publics et les créances de la Banque centrale
La dette intérieure atteint 5,432 milliards de dollars au 30 juin 2025. Elle se répartit entre arriérés certifiés et validés (989,67 millions – 18 %), arriérés certifiés non validés (720,28 millions – 13 %), protocoles d’accords (412,84 millions – 8 %), arriérés envers la Banque centrale (1,416 milliard – 26 %) et titres publics (1,893 milliard – 35 %). La progression de la dette intérieure s’explique, selon la DGDP, par l’extension du marché domestique des titres publics et par la réévaluation des anciennes avances de la Banque centrale au Trésor, ayant donné lieu à un protocole d’accord.
Un endettement qui dépasse le périmètre de l’État central
À cette dette s’ajoutent les engagements de plusieurs entreprises publiques. Neuf d’entre elles (SNEL, Ogefrem, MIBA, Sodimico, RVA, Gécamines, Vodacom RDC, OCPT/SCPT et Regideso) présentent des dettes extérieures et intérieures variées, réparties entre créanciers multilatéraux, bilatéraux, instances financières et dettes commerciales. Les montants diffèrent d’une entreprise à l’autre, mais révèlent un endettement structuré autour des mêmes catégories que celui de l’État, incluant notamment l’IDA, la BAD, Eximbank of China, Eximbank of India ou des créanciers commerciaux.
Un service de la dette concentré sur le remboursement du principal
Selon le rapport d’exécution budgétaire du premier semestre 2025 consulté par ACTUALITE.CD, le gouvernement a exécuté 1 089 milliards de francs congolais de paiements liés à la dette, soit 81,1 % de la prévision linéaire de 1 342,5 milliards. Le remboursement du principal atteint 762 milliards de FC (101 %), dépassant légèrement les 754,8 milliards prévus. La dette extérieure absorbe 249,6 milliards de FC de remboursement du principal, dont 74,1 milliards pour le Club de Kinshasa et 175,5 milliards pour les créanciers multilatéraux. La dette intérieure mobilise 512,5 milliards de FC, répartis entre la dette commerciale (261,1 milliards), la dette sociale (52,6 milliards) et la dette financière (198,7 milliards).
Les frais financiers, en revanche, s’exécutent à un niveau inférieur aux prévisions : 326,9 milliards de FC pour une valeur attendue de 587,7 milliards, soit 55,6 %. Ils couvrent notamment 41,2 milliards de FC d’intérêts sur la dette intérieure envers la Banque centrale et 285,7 milliards sur la dette extérieure.
Un risque jugé modéré mais nécessitant des réformes
Dans ses dernières évaluations, le FMI considère que la RDC demeure exposée à un « risque modéré » de surendettement, extérieur comme global. L’institution note que le faible niveau des recettes publiques et la vulnérabilité du pays aux chocs sur les exportations sont les deux principaux déterminants de ce risque. Elle insiste sur la nécessité d’une discipline budgétaire renforcée, d’une meilleure mobilisation des ressources intérieures, de l’intégration transparente de toutes les recettes dans le budget et du respect rigoureux de la chaîne de la dépense.
Le FMI souligne également les progrès encore incomplets des réformes de gestion des finances publiques, tout en rappelant que le système de suivi de la dette publique repose principalement sur les informations remontées par l’administration centrale, la Banque centrale, les provinces et certaines entreprises publiques. Une ordonnance-loi adoptée en septembre 2023 a d’ailleurs confié à la DGDP la mission d’évaluer les dettes contractées par les entreprises publiques, consolidant le rôle du ministère des finances dans la gestion de la dette extérieure.
Une trajectoire sous étroite observation
Entre les mises en garde des acteurs politiques et les assurances des autorités, la dette congolaise poursuit sa progression. Le niveau actuel, inférieur aux seuils régionaux de référence, ne constitue pas en lui-même un signal d’alerte immédiat. Mais les données publiées montrent un endettement en hausse constante depuis 2021, très majoritairement détenu par des créanciers multilatéraux, et dont la structure, marquée par la montée des titres publics et des engagements extérieurs, exige un suivi étroit.
Les prochaines années diront si le pari d’un recours accru au financement extérieur, d’un marché intérieur élargi et de l’assainissement progressif des arriérés se traduit par un renforcement durable de la soutenabilité, ou si la trajectoire décrite par Augustin Matata Ponyo annonce une fragilité future. Pour l’heure, les chiffres recueillis soulignent surtout l’ampleur des arbitrages à venir dans un contexte de besoins sociaux et sécuritaires toujours plus pressants.