Mgr Tharcisse TSHIBANGU:  « Honnête homme »   et  homme   de la foi en l’avenir  (Témoignage de  YOKA  Lye)

Mgr Tshibangu
Mgr Tshibangu

Honnête homme

Tharcisse  Tshibangu    a été un « Honnête homme »,  au sens du 17e siècle, c’est-à-dire   « un être de contrastes et d’équilibre. Il incarne une tension qui résulte de cette recherche d’équilibre entre le corps et l’âme, entre les exigences de la vie, et celles de la pensée, entre les vertus antiques et les vertus chrétiennes. Il lui faut fuir les excès, même dans le bien. En un mot, il est un idéal de modération et d’équilibre dans l’usage de toutes les facultés. » (Lionel Groulx).

Y a-t-il meilleure  description de Tharcisse Tshibangu que celle-là : universitaire engagé, il a été en même temps un prince de l’Eglise catholique angoissé par la marche fulgurante des temps présents. Intellectuel de première force, il a consacré ses réflexions fondamentales à la théologie africaine comme fondement de la foi chrétienne contemporaine (ce qui, en soi, est une révolution dans une Eglise catholique jalouse de ses préceptes conservateurs). Tout en lui semblait contrastes : originaire du Kasai, au   cœur des tribulations pathétiques tout au long de l’histoire  du pays, il a été  néanmoins trempé dès sa naissance et sa jeunesse dans la dynamique et la saga d’un Katanga bousculé et basculé d’enjeu en  enjeu dans la géopolitique nationale et internationale.  Artiste dans l’âme, il s’est cependant affirmé comme un leader et un réformateur rigoureux et rationnel. L’on comprend, après ce parcours de défis,  pourquoi il a décidé de consacrer sa vie à assumer à la fois  le sacerdoce consacré à l’œuvre chrétienne  et le sacrifice dévoué à la promotion de « la diversité des situations  dans l’unité des savoirs » (Crahay) .

L’on comprend aussi pourquoi, vers la fin de sa vie et de sa fulgurante carrière académique et universitaire,   le Recteur magnifique Tshibangu  a semblé manifester quelque appréhension devant l’allure passablement précipitée  prise par  les réformes  de l’après-Unaza. Mais  sans  jamais  perdre  espoir.

S’agissant justement des réformes de l’Université Nationale du Zaire (UNAZA) sous l’impulsion de son Recteur, l’une des faveurs a été  l’intégration des instituts supérieurs techniques, et notamment artistiques, comme notre Institut National des Arts (INA).

L’INA et l’UNAZA

L’opinion, celle qui est la plus avisée,  avait en effet   fini  par mesurer    les avantages  de l’intégration de ces formations techniques et artistiques à l’UNAZA. Non seulement   cette intégration  a standardisé les statuts et les organigrammes institutionnels et académiques  de façon plus ou moins équitable, mais elle a créé une sorte d’émulation entre instituts techniques  et entre instituts et universités,  en termes de recherche  fondamentale et surtout appliquée, en termes de productions artistiques.

La dénomination même de  « Institut National des Arts» , selon la volonté du législateur et la vision maintes fois exprimée par Mgr le Recteur,  était tout un programme à la fois d’enracinement vers les savoirs, les savoir-faire endogènes, et d’ouverture           vers la contemporanéité de la création ainsi  que de la pratique et des médiations culturelles adaptées ; mais aussi vers une sorte d’’’œcuménisme’’ des arts dans leur diversité et leur complexité.

Homme de la foi en l’avenir

Fidèle à sa vision d’artiste et d’intellectuel, vision humaniste, progressiste et citoyenne, celle de la dimension de la culture au service du développement, et en revanche celle du développement au service de la culture, Mgr Tshibangu l’a démontré en mars 1982, lors d’une conférence magistrale au Théâtre du Zoo, dans le cadre  du Centre d’Etudes et de Diffusion des Arts (CEDAR).  Sujet de la conférence : « La crise contemporaine, l’enjeu africain et l’université de l’an 2000 ».

Partant des constats  sur les  tendances fortes de l’époque, celles des années ’80, celles faites d’angoisse physique et métaphysique,      (notamment par rapport à une crise sociopolitique persistante au Zaïre et en Afrique), celles faites également de résistances centrifuges, parfois même irrédentistes, face à la standardisation et à une mondialisation nivellantes  et rouleau-compresseur au service des potentats financiers, Mgr le Recteur a préconisé une plus forte intégration universitaire africaine à l’image de l’intégration concentrique et sous régionale des Etats-Nations ; tout cela, au nom d’une université d’entrepreneurs, de créateurs certes, mais aussi de citoyens engagés et de prospecteurs , de planificateurs ; au nom par ailleurs d’une université interdisciplinaire propice aux innovations intrépides, à une spiritualité lucide et responsable, et comme réponses  opérationnelles aux  urgences de démocratie et de développement (« développement de tout homme et de tout l’homme », selon les dires du Recteur).

Mgr le Recteur est donc  resté égal à lui-même : un homme de courage et un homme de foi en l’avenir.    La foi en l’avenir, a-t-il    écrit,  c’est   sa devise « DUC IN ALTUM », c’est-à-dire appel du grand large, traversée et domptage de la marée haute. Et toujours plus haut, et  toujours plus loin !  Témoin de l’histoire et de lui-même,  le Prince de l’Eglise a  écrit ceci : « … que je n’aie les yeux tournés seulement   vers l’avenir… ,    poursuivant   le  chemin avec et dans le Christ ;  que je dise à la suite de Saint Paul : ‘’je m’élance   pour le saisir, parce que j’ai été saisi’’  ;  mon seul souci est que, oubliant le chemin parcouru et tendu en avant, je m’élance vers le but, en vue du prix attaché à l’appel d’en-haut que Dieu nous adresse en Jésus-Christ »…

Pr  YOKA  Lye (Institut National des Arts)