Dans la Rome antique, la dictature était une magistrature d’exception autorisée dans des circonstances particulières. Le dictateur était un magistrat nommé par le Sénat et investi par les Consuls pour les remplacer et gouverner dans une situation de crise. Il était ainsi muni de pleins pouvoirs pour un mandat qui, à l’origine, ne dépassait pas six mois. L’histoire a retenu les noms des quatre dictateurs romains qui se sont distingués par leur conquête du pouvoir : Marius, Pompée, Sylla et César. Partant de cette origine romaine, le terme a connu une évolution qui l’a fait coïncider avec la tyrannie de l’Antiquité ou le despotisme des Temps Modernes. Ces trois termes (dictature, tyrannie, despotisme) qui donnent à penser des phénomènes variés si on les réfère à leur origine respective, désignent usuellement « un pouvoir de domination sans limite, concentré dans ses conditions, fortement personnalisé dans un chef, et violent dans ses modes d’expression » (T. MENISSIER : 2005). Selon leDictionnaire de la politique (Hatier) : « La dictature se définit comme un régime arbitraire et coercitif, incompatible avec la liberté politique, le gouvernement constitutionnel et le principe de l’égalité devant la loi. » Les définitions de la dictature abondent et l’on ne peut les évoquer toutes. Mais ce qui caractérise fondamentalement la dictature c’est l’exercice absolu du pouvoir qui à son tour se fait voir par l’absence de séparation de pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et le non-respect de l’État de droit (violation des lois et libertés).
Notre pays a eu le malheur de connaître une des dictatures les plus ignobles du XXe siècle, la dictature de Mobutu Sese Seko de triste mémoire. Elle naît d’un coup d’État militaire que Mobutu lui-même ne nomme pas ainsi. En effet, face aux journalistes réunis autour de lui le lendemain du putsch, il déclarera : « Il ne s’agit pas d’un coup d’État militaire ». Ironisant, il ajoutera : « Ce n’était plus un coup d’État, mais une élection triomphale ! », faisant ainsi allusion au sentiment général qui règne au matin du putsch. Cet événement allait enfanter de longues années d’une dictature sanglante, et l’exécution des quatre anciens ministres qui a lieu publiquement le jour de Pentecôte 1966 est le moment fondateur de la IIe République de Mobutu qui, désormais président autoproclamé, va créer le 20 mai 1967 un parti unique pour asseoir sa dictature et assurer l’unité du pays, un parti-État dont tous les zaïrois sont membres de droit dès leur naissance. Lecteur de Machiavel, Mobutu va utiliser le pragmatisme et la ruse pour mettre en scène plusieurs faux complots suivis de procès en haute trahison. Et le sang coule à flot : celui des mutins de 1960, celui des étudiants révoltés en 1965, celui des chrétiens de la « marche de l’espoir » en 1992.
Du début à la fin du régime de Mobutu, le sang n’a fait que couler. On y trouve tous les éléments des régimes totalitaires : le culte de la personnalité, le vocable révolutionnaire, le totémisme traditionnel. La corruption et le népotisme se développent à grande échelle. Pendant plus de vingt ans, le clan Mobutu pille, vide le trésor public et les caisses de l’État au vu et au su de tout le monde pour se construire une fortune qui n’a cure de la pauvreté et de la misère d’une population clochardisée et affamée. Cette dictature d’une trentaine d’années a pris fin le jour où le président vieillissant, humilié parce que forcé à la négociation avec Kabila, haï et vomi par la population, fuit le Zaïre pour aller mourir à Rabat au Maroc.
Sans faire œuvre d’historien ni prétendre être exhaustifs, nous avons peint à grands traits le régime auquel on compare aujourd’hui celui de Félix Tshisekedi accusé d’entretenir une dictature qui dépasse celle de Mobutu. Fayulu a ouvert le bal en parlant de la « dictature fatshiste ». À lui une seule question suffit : « Comment un pantin, un placebo, une marionnette, est-il soudain devenu dictateur ? ». « De pantin à dictateur », tel est donc le titre du livre que nous proposons à Martin Fayulu pour nous expliquer cet exploit. Lors de la récente marche du bloc dit patriotique, une revendication parmi tant d’autres a été exprimée clairement : « nous voulons barrer la route à la dictature de Tshisekedi ». Le secrétaire permanent du PPRD a été très clair et est même allé plus loin car il a affirmé pinces sans rire « une dictature qui dépasse celle de Mobutu ». Reprenons in extenso ses propos : « Nous marchons pour un changement fondamental. Ça signifie que nous ne voulons pas que les incompétents continuent à marcher sur la population. […] Nous marchons donc pour que la dictature de Tshisekedi s’arrête, une vraie dictature qui dépasse celle que nous avons connue à l’époque de Mobutu ».
Quand on entend ce genre de propos, une foule de questions montent à l’esprit de toute personne critique : En quoi Tshisekedi est-il dictateur ? Quels sont les traits de sa dictature ? En quoi et comment le régime de Tshisekedi (qui n’a qu’à peine 3 ans) est-il pire que celui de Mobutu (32 ans) ? Il n’y a que Shadarri lui-même qui peut répondre à ces questions. Mais nous, nous en posons une autre : Comment les acteurs politiques en viennent-ils à de telles déclarations et affirmations ? Quand il prononce ces mots, Shadarri est-il sérieux et sincère ? Nous le savons : l’objet du discours politique est de persuader. Entre les acteurs politiques et les citoyens par médias interposés, circule le discours politique dont l’objectif est la persuasion et l’imposition de sens. Et l’acteur politique, pour atteindre cette fin, recoure facilement à la propagande, à la communication politique ou à la manipulation. Scientifiquement parlant, ces termes ne sont pas pourtant équivalents comme pourrait le faire croire l’usage ordinaire. Il y a entre la « communication politique » et la « propagande » une tension « qui se cristallise autour de la notion de manipulation, c’est-à-dire de la potentialité d’influencer et de transformer (to spin) les idées ou les comportements des citoyens sans qu’ils en aient conscience, en s’adressant à leurs émotions plutôt qu’à leur raison ou encore en faisant usage du mensonge ou de la désinformation » (Caroline Ollivier-Yaniv : 2010).
En parlant de la dictature de Tshisekedi qui dépasse celle de Mobutu, le secrétaire permanent du PPRD use du mensonge ; il ment et il sait qu’il ment, mais il le fait sciemment pour persuader ceux qui l’écoutent et ceux qui sont avec lui dans la marche. En d’autres termes, il « manipule » ses auditeurs. Tout discours politique étant par ailleurs surdéterminé par le contexte historique, social et culturel dans lequel il se tient, il est facile de comprendre pourquoi les opposants au régime actuel affectionnent le mot « dictature ». C’est ce qu’on leur a reproché quand ils étaient au pouvoir. Ayant perdu ce dernier de la manière que l’on connait (les élections de 2018 et la fin de la coalition FCC-CACH), ils en gardent un souvenir amer et cela leur tient comme un crapaud dans la gorge. Par un procédé bien connu des psychologues et psychanalystes, le bourreau d’hier se dit aujourd’hui victime. Le PPRD réclame au régime en place de réaliser en trois ans ce qu’ils n’ont pas pu réaliser en 18 ans de pouvoir. Et il a le culot de s’ériger en donneur de leçons. L’ancien ministre de l’intérieur se plaint de l’insécurité mais on ne voit pas trop bien ce qu’l a fait en son temps pour y mettre fin à l’Est du pays ou au Kasaï quand sévissait le phénomène « Kamuina Nsapu ». L’on notera avec attention que, dans ses propos, Shadarri parle des « incompétents ». C’est sciemment qu’il a évité d’utiliser le terme « médiocres » : il mesure la portée, le sens et le passé que ce dernier charrie.
Parce qu’elle s’adresse plus à l’émotionnel (le pathos) qu’au rationnel, la manipulation est un discours qui n’a pas besoin d’argumentation et qui se contente souvent des affirmations gratuites, dans le seul but de persuader en touchant sur les cordes sensibles. Sur un plan plus strictement linguistique, la manipulation est distinguée de l’argumentation en ce qu’elle pratique l’amalgame ou, pour reprendre l’expression d’Aristote, « le parler hors de la cause » (Breton, 2003). Et l’amalgame, il y en a dans les propos du secrétaire permanent du PPRD qui a parlé de tout : du RAM, de l’insécurité, de la CENI et même de la cours constitutionnelle, mais qui a manqué d’argumenter pour démontrer en quoi la dictature de Tshisekedi dépasse celle de Mobutu.
Le peuple congolais garde un très mauvais souvenir de 32 ans de la dictature de Mobutu, et il sait ce qu’il pense des 18 ans du règne de Kabila. Au total, 50 ans de gâchis ! Résultat : sous-développement, pauvreté et misère généralisées. Mais ce peuple ne baisse pas les bras, il lutte et il espère. Il aspire à la démocratie et à l’avènement d’un véritable État de droit. Il s’agit bien d’un combat, et le chemin à parcourir est encore long et parsemé de beaucoup d’obstacles et embûches. Le régime au pouvoir n’est pas parfait, il a ses failles et ses faiblesses. Il mérite pour cela des reproches. Mais aller jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’une dictature qui dépasse celle de Mobutu relève tout simplement de la manipulation et ne peut être prouvé par une argumentation rationnelle solide.
Prof Augustin TSHITENDE KALEKA
Université Pédagogique de Kananga (UPKAN)