RDC: peut-on rester logique en politique ?

Ph. ACTAULITE.CD

Si le concept de logique contient nécessairement l’idée de cohérence, l’incohérence est par contre le désordre, l’absence de rapport logique, la contradiction dans l’enchainement d’idées, de faits, d’actes. À considérer ce qui se passe sur la scène politique congolaise, il y a moyen de se poser de sérieuses questions sur le rapport que la politique entretient avec la logique et la vérité. La politique est-elle du côté du mensonge ou du côté de la vérité ?

Dans son livre Du mensonge à la violence, Hannah Arendt écrit que « la véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques » (H. ARENDT, Du mensonge à la violence. Essai de politique contemporaine, Paris, Calmann-Lévy, 1972). Parce que la vérité se veut contraignante et absolue, la prétention à la détenir conduit à la dictature de la vérité. C’est pourquoi, il n’y a que dans les systèmes totalitaires où le despote peut encore se permettre de dire la vérité sans craindre d’être exclu du pouvoir parce qu’il croit et fait croire que lui seul a le monopole de la vérité. Mais « en démocratie, la lourde tâche de convaincre implique fatalement de s’abstraire de la vérité, de la transformer en fonction de son audience et au final de ne dire que ce que le peuple veut » (S. LOBISSE, L’exigence de vérité en démocratie est un leurre venu d’ailleurs, dans Politique, n°1080, 2016). Cela veut dire qu’en démocratie, l’homme politique met son savoir au service de son ambition politique. Aussi peut-il facilement tordre la vérité pourvu qu’il ait l’adhésion du plus grand nombre. Ainsi, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, Sabrina Lobisse écrit : « En politique, comme rarement ailleurs, la vérité n’a pas sa place. Contrairement à la croyance populaire, le danger qui guette la démocratie ne provient pas de l’absence de vérité dans le discours politique. À l’inverse de ce que l’on pense communément, le mensonge ne s’oppose pas à la vérité. Ce qui caractérise le mensonge, ce n’est pas tant la transgression de la vérité, mais la mauvaise foi, l’envie d’induire son interlocuteur en erreur, la volonté de lui cacher, avec le plus de vraisemblance possible, ce que l’on pense être, à tort ou à raison, la vérité. Le mensonge s’oppose ainsi, non pas à la vérité, mais à la véracité, qualité reconnue à celui qui tiendra des propos, vrais ou faux, sans aucune intention de duper. Le mensonge est une parole différente de la pensée de celui qui l’énonce ». Il y a donc mensonge quand l’on pense une chose mais que l’on dit autre chose.

Au regard du discours politique que sont en train de tenir actuellement certains acteurs politiques congolais, ce qui est donc plus à déplorer, ce n’est pas tant le manque de vérité que la mauvaise foi et la volonté délibérément affichée d’induire les autres en erreur. Sinon comment qualifier la résurgence de ce « mariage contre nature » auquel on assiste aujourd’hui, mariage que l’on a tant décrié hier et que l’on tend aujourd’hui à légitimer au nom du patriotisme et de l’intérêt supérieur de la nation ? Que l’exigence de la vérité en démocratie soit un leurre implique-t-il que la politique soit un lieu de l’incohérence dépourvu de toute logique ?

Si Hannah Arendt considère que la dichotomie entre vérité et mensonge en politique est insoluble, elle nous invite à fixer notre attention sur ce qui fait, selon elle, l’essence de la politique : l’opinion et l’action, « la parole et l’action étant les deux principales activités de la vie politique » (A. TSHITENDE KALEKA, Politique et violence. Maurice Merleau-Ponty et Hannah Arendt, Paris, L’Harmattan, 2014)  Et l’opinion s’exprime dans les paroles, dans le discours. Celui qui ment dit des paroles qui ne coïncident pas avec ce qu’il pense, et il le fait toujours pour ses intérêts, d’autant plus que la politique est le lieu des intérêts et des passions, et que, à ce titre, il est difficile, sinon impossible, de faire coïncider en pratique politique et raison.

Ce qui est toutefois décevant pour les citoyens, c’est l’incohérence qui caractérise bon nombre d’acteurs politiques congolais qui, dans l’espace d’un matin, ne sont nullement gênés d’affirmer une chose et son contraire. Et pourtant, c’est l’un des principes élémentaires et premiers de la logique qu’une chose ne peut, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être. On l’appelle tout simplement le principe de non-contradiction. Un homme politique qui passe tout son temps à se contredire perd sa crédibilité, quel que soit le combat qu’il prétend mener car, au fond, il n’en a aucun, il est simplement balloté au gré de ses intérêts. Et le peuple sait facilement le remarquer.

Dans un passé récent, un élu qui ne siège pas à l’Assemblée Nationale parce qu’il la juge illégitime a trouvé normal de percevoir ses émoluments au motif qu’il est l’élu du peuple et qu’il travaille pour le peuple. Il a poussé le culot si haut qu’il est allé jusqu’à affirmer qu’il a même le droit d’exiger de toucher plus parce qu’il est le parlementaire du peuple. On juge une institution illégitime, on n’y siège pas, mais on trouve normal de percevoir les émoluments alloués aux membres de cette institution. Quelle logique dans tout cela sinon celle de l’intérêt et de l’argent ? Le plus curieux est non seulement qu’il a eu le mauvais courage de le dire, mais qu’il s’est trouvé des congolais pour l’applaudir ! Vraiment le ridicule ne tue pas ! Bizarrement, les applaudisseurs deviennent responsables des mensonges des politiciens : ils veulent être mentis, on les ment.

En ces jours, un autre acteur politique, après avoir traité le Chef de l’État de « pantin », de « placebo », de quelqu’un qui n’a pas de pouvoir, de marionnette, etc…lève aujourd’hui un front dit patriotique contre « la dictature fatshiste ». De pantin à la dictature, il n’y a pas eu de pas ! Ceux qui avaient violemment critiqué le Chef de l’État l’accusant à longueur des journées d’avoir noué un « mariage contre nature » avec le FCC, s’affichent aujourd’hui publiquement à côté du FCC au nom d’une coalition des forces politiques et sociales contre la dictature pour sauver la République. Par quelle magie le diable d’hier est devenu aujourd’hui un saint fréquentable ? C’est un peu comme une femme jalouse de son amie qui a tant désiré le divorce de cette dernière mais pour se remarier aussitôt au même époux.

Une autre, depuis qu’elle est devenue ministre, a cessé de parler… Jean-Pierre Chevènement n’avait-il pas raison de dire : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne » ? Le fait d’être devenue ministre a légitimé un président non élu que la ministre en question ne reconnaissait pas. Oh ! Incohérence quand tu nous tiens ! Bien sûr que l’on expliquera et que l’on trouvera toujours les justifications de ces incohérences. Mais nous ne les oublions pas ! Le peuple ne les oublie pas surtout grâce à l’internet qui n’oublie rien.

Ces exemples de l’actualité récente sont tirés d’une multitude qui étale au grand jour l’incohérence du discours politique des plusieurs acteurs politiques congolais. Il est vrai que l’on dit qu’en politique les alliances se font et se défont. Il est vrai que vérité et raison ne font pas souvent bon ménage avec la politique. Est-ce pour autant que le champ politique doit être dépourvu de toute éthique ? Parmi les exigences de celle-ci figurent la cohérence des opinions, des actions et du discours. Pour y parvenir, il faut savoir ce que l’on veut et ce que l’on cherche en se lançant dans la politique, il faut structurer sa vie autour d’une idéologie forte et bien définie et qui ne soit pas que démagogie.

Or, à regarder de près la scène politique congolaise, les gens se regroupent non autour des idéologies fortes mais autour des individus. Conséquence : nous détenons le record de la multiplicité des partis politiques dans un même pays, tous à la solde des individus à qui on a trouvé une bonne appellation : « des autorités morales » ! Alors que normalement c’est l’idéologie d’un parti qui devait faire autorité. Par manque d’idéologie, nos politiciens prétendent toujours parler et agir « au nom du peuple congolais » qu’ils n’hésitent pas à prendre à témoin de temps en temps. Ils se lancent ainsi dans un populisme qui ne peut attirer que des naïfs. Heureusement que tout le peuple n’est ni naïf ni dupe : il sait qui travaille pour lui et qui travaille contre lui.

L’absence d’idéologie et de conviction politiques fortes et la poursuite du pouvoir pour des intérêts personnels donnent libre cours à l’incohérence et à l’inconstance de nos politiciens. Ceux qui s’illustrent en ce sens deviennent de moins en moins crédibles. On juge un homme politique par la cohérence et la constance de son discours et de son action traduite dans son combat politique, lequel peut l’emmener jusqu’au sacrifice suprême. C’est ce que nous enseignent nos héros et nos martyrs qui sont morts non pour des individus et des intérêts personnels, mais pour des idéaux nobles : pour la patrie, la nation et la démocratie.

Prof Augustin TSHITENDE KALEKA

Université Pédagogique de Kananga (UPKAN)