RDC/P-DDRC: la nomination de Tommy Tambwe a plombé les efforts de paix dans l'est (Prof Chober Agenonga)

Des armes déposées par les miliciens auprès de l'armée au Nord-Kivu
Des armes déposées par les miliciens auprès de l'armée au Nord-Kivu

Docteur en Relations Internationales, le professeur Chober Agenonga est expert en sociologie militaire et enseignant à l'Université de Kisangani, dans le nord-est de la RDC. Emmanuel Tommy Tambwe Rudima a pris la tête du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire (P-DDRCS). Certains activistes s’insurgent contre cette nomination à cause du passé rebelle de Tommy Tambwe. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Si la nomination de l'équipe de coordination du P-DDRCS était opportune au regard de l'urgence et la nécessité d'une approche sécuritaire holistique, il n'en reste pas moins vrai que la sélection de ses animateurs n'a été ni cornélienne, ni rigoureuse au regard des enjeux et de la complexité des dynamiques des conflits à l'Est. Cette erreur d'appréciation est aggravée par les faits  suivants:

Primo, sur le plan moral, le coordonnateur de ce programme n'a pas bonne presse aussi bien dans l'opinion publique nationale qu'internationale à cause de son passé litigieux. Il a été un entrepreneur majeur de l'instabilité de l'Est du pays pour avoir appartenu à  des mouvements subversifs successifs qui ont semé la terreur dans les zones où il est appelé à conduire ce plan stratégique dont la stabilité de l'Est demeure largement tributaire. 

Par conséquent, il serait difficile qu'il joue à la fois au pyromane et au pompier auprès d'une population qui souffre encore des stigmates d'une guerre entretenue par des mouvements dont il a fait partie. 

Moralement parlant, il serait révoltant  que celui qui a provoqué le naufrage d'un bateau et qui devrait en répondre devant la justice prétende apporter de l'assistance aux survivants. Ce serait simplement de la raillerie mais surtout une manière de remuer le couteau dans la plaie.

Secundo, sur le plan professionnel, son profil est loin de convenir pour assumer la coordination du P-DDRCS qui requiert de la compétence  et de l'expertise dans le même domaine ou dans un domaine connexe, notamment la planification stratégique, le développement communautaire,  la prévention et la transformation des conflits. 

Or, il n'a jamais joué ni de près, ni de loin, le moindre rôle dans la prévention et la transformation des conflits en RDC.

Pour s'en convaincre, durant les différentes phases du DRR en RDC, il n'a joué aucun rôle en la matière au sein des institutions nationales. 

Au regard de ce paradoxe, la nomination de ce coordinateur a plombé les efforts de paix à l'Est car non seulement elle pourrait être sujette à contestation au sein de l'opinion congolaise, mais aussi elle peut susciter l'atermoiement de la communauté internationale, principal bailleur de ce programme, qui s'est déjà opposée avec véhémence à toute idée de mener des opérations conjointes aux côtés des brigades militaires dont les commandants étaient pointés du doigt dans les crimes à l'Est.

Qu’attendez-vous concrètement de ce nouveau programme P-DDRCS ?

Avec ce coordinateur dont la nomination est controversée ou même sans lui, peut-on s'attendre à  une solution durable à la crise sécuritaire à l'Est de la RDC? La réponse est pour l'instant difficile car, faute d'un plan stratégique de mise en œuvre du P-DDRCS, l'on navigue encore à vue. D'où la difficulté de porter le moindre jugement de valeur. Cependant, quelques indications laissent planer des doutes quant à l'efficacité du P-DDRCS pour des raisons ci-après :

1. Des trafics illicites continus et persistants  des armes légères et de petit calibre qui alimentent l'insécurité à l'Est dont les responsabilités sont partagées entre les services de sécurité congolais et les milieux étrangers. Une telle question requiert une diplomatie proactive pour contrôler les réseaux internationaux y impliqués avec bien évidemment le concours des Nations Unies qui, en vertu de l'article 41 de la Charte, en dispose le pouvoir. Elle requiert aussi  une volonté politique nationale pour dissuader les officiers corrompus et véreux de l'armée impliqués dans cette pratique mafieuse dont le Chef de l'Etat a établi  le diagnostic en juin 2021 en invoquant "la magouille au sein de l'armée";

2. D'un point de la gouvernance politique congolaise, l'instabilité de l'Est est le corollaire de l'instabilité institutionnelle  qui a complètement fragilisé la capacité du pays à imposer l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire national et d'en assurer le fonctionnement efficace (capacité régulatrice). Sur la même lancée, la tentative du rétablissement de l'autorité de l'Etat dans les zones jadis sous le contrôle rebelle a fait des services administratifs et de sécurité les entrepreneurs de violences. Pour autant, sans une prise en charge et contrôle efficaces, ils ont instauré une prédation généralisée au même titre que les mouvements rebelles. D'où la rupture à leur égard de confiance de la population et l'émergence des groupes d'autodéfense communautaire prétendant assurer la protection de leurs communautés face aux abus des services étatiques; 

3. Tous les programmes de stabilisation ont non seulement entraîné la gabegie financière, mais aussi l'enrichissement de certains de leurs gestionnaires au détriment de vrais bénéficiaires. Par conséquent, des projets implémentés en la matière n'ont laissé que des pancartes sans la moindre trace. Pour s'en convaincre,  les anciens démobilisés sont devenus de nouveaux rebelles et de futurs voire d'éternels candidats à la démobilisation. De plus, les déplacés du hier ayant bénéficié de ces projets sont redevenus de nouveaux déplacés. Du coup, il apparaît clairement que le cycle de conflit perdure et n'a jamais été arrêté.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour éviter les erreurs du passé dans le cadre de ce processus DDR ?

Pour rectifier le tir et mettre en place un programme susceptible de planter le havre de paix dans l'Est du pays:

1. Il faut arrêter les trafics transfrontaliers d’armes et sanctionner les responsables qui en sont à la base. Sur ce, il faut le minimum de volonté des membres du Conseil de sécurité de l'ONU qui, en vertu des dispositions de l'article 41 de la Charte, en disposent le pouvoir. Les mêmes efforts devront être fournis par les organisations régionales ;

2. Il faut qu'au niveau de la RDC, les acteurs politiques favorisent la stabilité institutionnelle pour permettre à l'Etat de contrôler efficacement les flux internes et transfrontaliers afin de réduire les risques de subversion;

3. Il faut élaborer un plan de relance économique et de la reconstruction des régions affectées par les conflits depuis longtemps pour permettre une prise en charge socioprofessionnelle  des jeunes d'une jeunesse laissée pour compte et devenue l'acteur majeur de ces conflits afin qu'elle contribue aux activités susceptibles de booster le développement local et de favoriser la réconciliation en milieu où la cohabitation entre certaine communauté a été durement affectée ;

4. "La justice élève une nation", étant la devise du chef de l'Etat, il faut que les responsables passés et actuels des crimes répondent de leurs actes devant la justice pour dissuader tous ceux qui seront tentés de mener des activités criminelles et subversives pour ainsi espérer être gratifiés. Pour cela, la voie la plus indiquée demeure celle de la justice transitionnelle.

Propos recueillis par Claude Sengenya