RDC-Rwanda : "Si en apparence, l'accord semble se baser sur le respect de l'intégrité territoriale, diverses dispositions montrent que les graines de la prolongation du conflit sont déjà plantées" (Dénis Mukwege)

Denis Mukwege
Denis Mukwege

L'accord de paix signé par la République Démocratique du Congo et le Rwanda sous la médiation américaine continue de susciter des réactions dans l'environnement sociopolitique congolais. Si du côté gouvernement l'on se montre optimiste quant à sa mise en œuvre, d'autres acteurs par contre se montrent pessimistes au regard de certaines dispositions qui ne sont pas avantageuses pour la RDC.

Pour le prix Nobel de la paix Dénis Mukwege en signant cet accord avec le Rwanda, le régime de Kinshasa a abandonné sa souveraineté aux mains des forces d’agression et légitime l’occupation d’une armée responsable de millions de morts et de déplacés.

"Nos craintes semblent avoir été fondées car cet accord ne se base pas sur la reconnaissance par le médiateur américain qu'il y a un État agresseur, le Rwanda, qui défie chaque jour le droit international en totale impunité, et un pays agressé, la RDC qui subit de plein fouet les effets néfastes d'une géopolitique cynique. Si, en apparence, l'accord de paix signé aujourd'hui semble se baser sur le respect de l'intégrité territoriale et prévoit la cessation des hostilités entre la RDC et le Rwanda, et que les deux parties au conflit sont amenées à s'engager à ne plus soutenir les groupes armés - les FDLR du côté congolais et le M23 du côté rwandais - diverses dispositions montrent que les graines de la prolongation du conflit sont déjà plantées", a fustigé le prix Nobel de la paix dans sa déclaration lors de la soirée concert pour la paix en RDC en Belgique.

Pour Dénis Mukwege, retrait de l'armée rwandaise du territoire congolais qui devrait être immédiat et sans condition selon les prescrits de la résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée le 21 février 2025 semble dorénavant être conditionné à la neutralisation des FDLR, par le truchement d'un mécanisme conjoint de sécurité (RDC/Rwanda) qui autorise l'armée rwandaise à opérer sur le sol congolais. À l'en croire, l'agresseur non sanctionné pourra donc poursuivre ses opérations dans les Kivus, avec l'aval du gouvernement congolais.

"Le démantèlement du M23 dépendra des négociations parallèles à Doha dont l'issue est incertaine car dépendant largement du bon vouloir du Rwanda, qui tirent les ficelles de ce groupe armé, même s'il n'a jamais reconnu son soutien, alors que des preuves accablantes démontrent son contrôle direct sur ces rebelles. Ainsi, nous pouvons dire qu'en signant cet accord, le régime de Kinshasa a abandonné sa souveraineté aux mains des forces d'agression, et légitimise l'occupation et les opérations d'une armée à la base de millions de morts, de centaines de milliers de femmes violées et du déplacement de millions de congolais", a-t-il ajouté.

L'accord de Washington comporte aussi des dispositions pour accélérer une intégration économique régionale. Dénis Mukwege ne digère pas le fait qu'"un État agresseur à la base du pillage systématique des ressources minières depuis 30 ans puisse bénéficier d'une cogestion des ressources naturelles de la RDC.

"Ainsi, sous couvert de coopération économique, de sécurisation des chaînes d'approvisionnement en minerais et de création de chaînes de valeur intégrées et transparentes pour reprendre les termes de l'accord signé aujourd'hui, les minerais congolais seront exportés pour ne pas dire « bradés » à l'état brut vers le Rwanda, qui procédera à la transformation et à l'exportation de produits semi-finis ou finis vers le reste du monde. L'État rwandais agresseur-pilleur bénéficiera donc, avec le blanc-seing de Kinshasa, des bénéfices de la valeur ajoutée des minerais congolais, dans une logique extractiviste néocoloniale qui fera perdurer le sous-développement en RDC", a regretté le Docteur Dénis Mukwege.

Face à cette situation, le prix Nobel de la paix mobilise la population détentrice de la légitimité de se lever contre cet accord. Il a aussi interpellé les institutions de la République de leurs obligations à ne privilégier que l'intérêt général.

"Comment accepter d'abandonner notre souveraineté ? Comment accepter de légitimer l'occupation d'un pays agresseur ? Comment accepter le bradage de nos ressources minières? Comment sacrifier la justice sur l'autel d'une paix qui ne pourra qu'être fragile car l'accord de paix plante les graines de la répétition des conflits et des atrocités de masse. Nous appelons donc en dernier recours à une prise de conscience du peuple congolais, à qui appartient la souveraineté nationale, et à un appel à la responsabilité dans le chef du gouvernement et du Président de la République, gardien de notre Constitution. En vertu de notre loi fondamentale (art 214), le règlement de conflits internationaux ne peut être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi, et doit donc être préalablement soumis aux élus de l'Assemblée Nationale congolaise. Je rappelle aussi que tout accord qui aurait pour conséquence de priver la Nation de tout ou partie de ses propres moyens d'existence tirée notamment de ses richesses naturelles est érigé en infraction de pillage et que ces actes ou leurs tentatives sont punis comme infraction de trahison (art.56 et 57)", a fait remarquer le Prix Nobel de la paix.

Obtenu sous les auspices de l'administration Trump, cet accord comprend des dispositions sur le respect de l'intégrité territoriale et l'interdiction des hostilités ; le désengagement, le désarmement et l'intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques ; la mise en place d'un Mécanisme conjoint de coordination de la sécurité intégrant le CONOPS du 31 octobre 2024 ; la facilitation du retour des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur du pays, ainsi que l'accès humanitaire ; et un cadre d'intégration économique régionale.

Dans le cadre de la coordination continue entre les efforts de facilitation des États-Unis d'Amérique et de l'État du Qatar, ce dernier a participé à ces discussions afin d'assurer la complémentarité et l'harmonisation des initiatives des deux pays visant le dialogue et la paix dans la région.

Clément MUAMBA