Chronique droits des femmes : Que faire pour porter plainte et se protéger en cas de violences conjugales en RDC ?

Illustration/Ph. ACTUALITE.CD

La chronique droits des femmes examine hebdomadairement une problématique juridique touchant les femmes en République démocratique du Congo. Cette semaine, l’édition est consacrée à la question : quelles démarches une victime de violences conjugales peut-elle entreprendre pour porter plainte, et quels mécanismes de protection la loi congolaise lui offre-t-elle actuellement ?

Porter plainte : un parcours balisé mais complexe

Pour mieux comprendre la démarche légale à entreprendre, nous nous sommes entretenu avec Me Aïcha Nsasi, spécialisée en droit pénal et en droits des femmes depuis plus de 5 ans. Elle accompagne régulièrement des victimes de violences basées sur le genre devant les juridictions civiles et pénales.

Elle souligne qu’en République démocratique du Congo, toute victime de violences conjugales peut légalement porter plainte. La première démarche consiste à se rendre au poste de police le plus proche ou, en fonction de la gravité des faits, directement au parquet de grande instance. Cette possibilité est ouverte aussi bien à la victime elle-même qu’à un tiers : proche, voisin ou ONG; si la victime est empêchée physiquement ou psychologiquement.

« Le commissariat de police est souvent le point d’entrée, mais dans les cas graves, certaines victimes préfèrent s’adresser directement au parquet afin d’éviter des tentatives de médiation informelle », précise Me Aïcha Nsasi.

Une fois la plainte déposée, l’enquête peut être déclenchée par le ministère public, même sur simple dénonciation, conformément à l’article 48 du Code de procédure pénale. Toutefois, pour garantir des suites judiciaires solides, l’avocate souligne qu’il est recommandé de fournir des éléments de preuve tels que :

- Un certificat médical décrivant les blessures ;
- ⁠Des photos ou vidéos ;
- ⁠Des témoignages de tiers ;
- ⁠Un procès-verbal d’intervention policière.

Quels recours pour se protéger ?

Bien qu’aucune loi spécifique sur les violences conjugales n’existe à ce jour en RDC, explique Me Aïcha Nsasi, plusieurs dispositions du Code pénal (notamment les articles 46, 170 et suivants) permettent d’instruire des poursuites pour coups et blessures, menaces ou violences aggravées.

Les peines prévues varient de 6 mois à 20 ans d’emprisonnement selon la gravité des faits.
Des mesures de protection peuvent être décidées par le magistrat instructeur, telles que :

- L’éloignement de l’agresseur ;
- ⁠L’interdiction de contact avec la victime.

Cependant, dans la pratique poursuit-elle, ces mesures sont rarement appliquées, en raison d’un manque de formation des magistrats, de ressources logistiques et de structures d’hébergement pour les femmes en danger.

« En principe, la victime peut bénéficier d’une aide juridique gratuite grâce au Fonds d’assistance judiciaire mis en place par l’État. Mais ce dispositif reste largement théorique : Le fonds existe, mais sa mise en œuvre est quasiment inexistante sur le terrain. Ce sont essentiellement les cliniques juridiques, ONG féminines et la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) qui assurent l’assistance des victimes, souvent à leurs propres frais. »

Les obstacles restent avant tout sociaux et culturels

Au-delà des contraintes juridiques, les principaux freins à l’accès à la justice pour les victimes des violences conjugales restent d’ordre social, souligne l’avocate  :

- La pression familiale pour « préserver l’honneur du couple » ;
- ⁠La dépendance économique de nombreuses femmes, notamment dans les mariages coutumiers ;
- ⁠La rétractation fréquente des plaintes sous influence sociale ou financière ;
- ⁠La banalisation des violences par certains agents publics ou policiers.

« Le témoignage d’une victime suffit légalement à engager des poursuites, mais les retraits de plainte, souvent encouragés par l’entourage ou certains agents, entraînent l’abandon des procédures », déplore Me Nsasi.

Pour renforcer la protection des victimes et garantir une justice effective, l’avocate recommande plusieurs mesures notamment:

- L’adoption d’une loi spécifique sur les violences conjugales ;
- ⁠La création de tribunaux spécialisés ;
- ⁠Le renforcement de la formation des acteurs judiciaires et sanitaires ;
- ⁠La mise en place de centres d’accueil pour femmes et enfants en danger ;
- ⁠L’allocation effective du budget au Fonds d’assistance judiciaire.

Par ailleurs Me Nsasi insiste sur le rôle central de l’évolution des mentalités :

« Tant que les violences conjugales seront perçues comme des affaires privées ou excusables au nom de la tradition, les lois resteront lettre morte. Il faut une prise de conscience collective, une réforme juridique et un changement culturel profond. »

Nancy Clémence Tshimueneka