Par :
Joseph CIHUNDA HENGELELA*,
Jean-Jacques KAHUNGA MAPELA** &
Clément SHAMASHANGA MINGA***
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Chercheurs au Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique
(CREEDA)(www.creeda-rdc.org)
INTRODUCTION
La 7ème session de la Conférence des Gouverneurs de province (CGP) en République Démocratique du Congo (RDC) s’est tenue du 28 au 29 décembre 2020 sous le thème : « La gouvernance des provinces dans l’environnement démocratique actuel : défis et opportunités » et dans un contexte marqué par une crise générale à la fois politique, économique, sociale et sanitaire tant aux niveaux national que provincial. Du point de vue politique, il est constaté des crises politiques récurrentes et persistantes dont la forme la plus aigüe est la frénésie avec laquelle les motions de censure ou de défiance sont adoptées contre les Gouverneurs de province et les interférences du Gouvernement central notamment dans la fermeture de certaines Assemblées provinciales et l’anéantissement des effets de certaines motions adoptées par les députés provinciaux. L’intervention de la Cour constitutionnelle (CC), en tant que juge du règlement des conflits entre les institutions provinciales (crises politiques intra-provinciales) n’est pas encore pleine et efficiente.
Sur le plan économique, les provinces manquent les moyens de leurs politiques et revendiquent l’application des articles 175 et 181 de la Constitution relatifs respectivement à la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national et à la Caisse nationale de péréquation (CNP). Au niveau social, la majorité de provinces n’a pas encore commencé à impulser le développement à la base pour espérer réduire la pauvreté et offrir ainsi aux populations les meilleures conditions de vie qu’avant. C’est ce qui justifie des frustrations sociales allant même jusqu’à recommander la suppression de certaines institutions provinciales.
Dans un tel contexte, l’on peut logiquement se poser la question de savoir à quoi sert la Conférence des Gouverneurs de province. Quelle est sa mission ? Comment est-elle organisée et comment fonctionne-t-elle ? Quelle appréciation peut-on faire de son fonctionnement ? Qu’est-ce qui doit être fait pour que cette institution puisse contribuer à la stabilité des institutions provinciales et, partant, à promouvoir une gouvernance responsable et durable au niveau des provinces conformément à la volonté du constituant relative à la création des centres d’impulsion et de développement à la base.
Le présent papier a pour objectif de présenter cette institution en expliquant sa mission, son organisation et de faire un état des lieux de son fonctionnement en vue de proposer des pistes de solutions pour sa redynamisation.
A. MISSION, COMPOSITION, ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA CGP
L’article 200 de la Constitution du 18 février 2006 telle que révisée le 20 janvier 2011 dispose :
Il est institué une Conférence des Gouverneurs de province.
Elle a pour mission d’émettre des avis et de formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République.
La Conférence des Gouverneurs de province est composée, outre les Gouverneurs de province, du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’intérieur. Tout autre membre du Gouvernement peut y être invité.
Elle est présidée par le Président de la République.
Elle se réunit au moins deux fois par an sur convocation de son Président.
Elle se tient à tour de rôle dans chaque province.
Une loi organique en détermine les modalités d’organisation et de fonctionnement.
C’est pour déterminer les modalités pratiques de l'organisation et du fonctionnement de la CGP que le législateur a voté la Loi organique n° 08/015 du 07 octobre 2008 (ci-dessous LOCGP) en vue de compléter la disposition constitutionnelle qui l’a consacré. Cette loi de 17 articles seulement a été focalisée sur l’organisation et le fonctionnement de la CGP. La composition est restée intacte avec la possibilité d’inviter les autres autorités. Lors de la 6ème session de la CGP, tenue à Goma en décembre 2017, en plus des autres Ministres non membres de cette CGP qui avaient été invités, en l’occurrence, les Ministres de la décentralisation et réformes institutionnelles, du plan, du budget, de l’économie, des finances, de la défense et des anciens combattants, le Président de la CENI y avait aussi été convié.
La présence de ces invités montre que la CGP est susceptible d’être élargie à d’autres personnes. La présence d’un Vice-gouverneur en est illustrative. Il y prend part en cas d’empêchement du Gouverneur de province. Et, tel que disposée, cette représentation n’est limitée qu’au Vice-gouverneur et à nulle personne d’autre. Le législateur organique établit, à cet effet, que « le Gouverneur de province empêché pour motifs jugés valables ne peut être représenté que par le Vice-gouverneur ». A ce titre, les Vice-gouverneurs qui jouent l’intérim de leurs Gouverneurs, empêchés notamment pour cause de démission volontaire, décès ou pour déchéance par l’Assemblée provinciale sont de droit conviés à ces assises. Dans le cas où l’intérim à la tête de la province est assumé par le Ministre de l’intérieur, celui-ci est appelé à y participer. Il en est de même de Gouverneurs militaires et Vice-gouverneurs policiers nommés à la suite de la proclamation de l’état de siège. Une telle participation n’enfreint en rien les dispositions constitutionnelle et légale en la matière. Au contraire, elle participe de la légalité du fonctionnement de cette institution.
Du point de vue structurel, la CGP est dotée de trois organes. Il s’agit de l’Assemblée plénière, du Bureau et des Commissions. L’Assemblée plénière en est l’organe suprême. Elle comprend l’ensemble des membres qui composent CGP, à savoir le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre de l’intérieur et les Gouverneurs de province. Elle est notamment compétente pour adopter le Règlement intérieur (RI) ; orienter le fonctionnement général de la CGP ; examiner et adopter les rapports des commissions ; examiner et adopter le projet du budget de la CGP ainsi que pour décider des avis et suggestions à émettre.
Le Bureau qui est constitué d’un Président (Président de la République), d’un Vice-président (Premier ministre), d’un Rapporteur (Ministre de l’intérieur), d’un Premier-rapporteur adjoint (Gouverneur de la province hôte) et d’un Deuxième- Rapporteur adjoint (Gouverneur de la province hôte de la prochaine CGP). Il a pour la mission de préparer les travaux de la CGP, de veiller à son bon fonctionnement, d’élaborer le projet du budget et d’assurer le suivi des actes de la CGP. La surreprésentation des autorités nationales peut heurter une certaine opinion qui verrait en cela un accaparement d’une institution de concertation entre les niveaux national et provincial. Cependant, elle peut se justifier par le souci d’assurer l’égalité de traitement entre les Gouverneurs de province et d’affirmer le rôle de coordination du Gouvernement central. Les Commissions sont des groupes techniques de travail de la CGP. Leur nombre et les modalités de création sont déterminés par le RI de la CGP.
Il est clair que la conception de ces trois organes est la résultante de la compétence du Président de la République qui est non seulement de présider la CGP, mais aussi et surtout de la convoquer. Et, lorsqu’elle se réunit ainsi, elle est assistée par un Secrétariat permanent. L’organisation et le fonctionnement de ce Secrétariat sont fixés par le son RI de la CGP. Notons également qu’à l’issue de chaque session, le rapporteur en fait le compte rendu public et un rapport ad hoc est adressé aux institutions nationales et provinciales. Au nom de la transparence et de la redevabilité, ce rapport devait faire l’objet d’une large diffusion auprès de l’opinion publique et être publié au Journal officiel.
Sur la convocation de la CGP, si seul son Président est compétent pour le faire et, nulle personne d’autre, la LOCGP n’a pas déterminé les modalités de cette convocation. Mais, étant donné que le Président de la CGP est en même temps Président de la République, le bon droit voudrait qu’il la convoque par voie d’ordonnance conformément à l’alinéa 3 de l’article 79 de la Constitution du 18 février 2006.
La tenue de la CGP vise à atteindre des objectifs assignés à cette institution. Ainsi, en tant que cadre de concertation et d’échange entre l’exécutif national et les exécutifs provinciaux sur la marche des affaires de l’Etat, elle a pour mission constitutionnelle et légale d’émettre des avis et de formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République. Elle contribue ainsi à la consolidation de l’unité nationale et à l’harmonie entre les deux niveaux des pouvoirs d’Etat. La CGP présente aussi un avantage pratique, celui résidant dans le fait que ses membres parviennent à la même compréhension sur la situation politique, économique, sociale et sécuritaire du pays en général, et celle de chacune des provinces, en particulier.
Concrètement, c’est à travers les communications du Président de la République, le cas échéant, du Premier ministre et du Ministre de l’Intérieur ainsi que de la présentation de l’état des lieux de sa province par les gouverneurs que la situation générale du pays est appréhendée par les membres de la CGP. C’est à la suite de cette présentation que les avis sont émis et suggestions faites. C’est à ce titre que la CGP est considérée comme jouant le rôle de régulation des relations entre le pouvoir central et les provinces, d’une part, et, entre les provinces elles-mêmes, d’autre part. Le rappel du cadre organisationnel de cette instance permet d’en venir à l’état des lieux de son fonctionnement depuis 2009.
B. ETAT DES LIEUX DU FONCTIONNEMENT DE LA CGP
Il revient, dans un premier temps, de retracer brièvement l’historique des sessions de la CGP avant d’apprécier et dans un second temps, la tenue de ces différentes sessions de la CGP et de chercher, dans un troisième temps, l’enjeu de la tenue de la 7ème session de la CGP.
I. Historique des sessions de la CGP
Depuis la promulgation de la Constitution du 18 février 2006, la CGP a tenu sept sessions. La première session s’est tenue à Kisangani, du 24 au 25 juin 2009. Outre le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministre de l’intérieur et sécurité, la première session de la CGP a connu la participation des Gouverneurs de onze provinces et de plusieurs invités dont les Ministres de la défense et anciens combattants, de la décentralisation et aménagement du territoire, des finances et du budget.
L’ordre du jour de cette première session portait notamment sur la validation des mandats, l’adoption du RI de la CGP, la constitution des commissions, la présentation des états des lieux des provinces et l’adoption du budget de la CGP. Comme résultats de cette première session, l’on peut mentionner l’adoption du RI de la CGP et la mise en place de trois Commissions dont la Commission politique, administrative, culturelle, juridique et sécurité (CPACJS), la Commission sociale, économique et financière (CSEF) et, la Commission reconstruction et développement (CRD).
Parmi les résolutions issues de cette première session de la CGP, il y a lieu de mentionner la nécessité de renforcer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national, de lutter contre l’impunité, la corruption et toutes sortes d’antivaleurs notamment les viols et les violences faites à la femme, la fille et l’enfant ; la suppression des barrières et toutes formes de tracasseries sur les voies de communication ; l’accélération de la mise en œuvre de la décentralisation, l’institution d’un ordre de paiement permanent auprès des succursales de la Banque centrale pour les dotations au profit des provinces ; l’accompagnement des provinces dans la mobilisation des recettes publiques ; la concertation permanente entre les Gouvernements central et provinciaux sur la gestion du Budget d’Investissement ; L’organisation régulière des itinérances par les Gouverneurs de province dans leurs entités respectives ; le maintien des bons rapports entre, d’une part, les Gouverneurs de province et leurs collaborateurs et, d’autre part, entre les gouvernements provinciaux et les Assemblées provinciales.
Il faut indiquer que la première session de la CGP avait choisi la ville de Mbandaka pour abriter les travaux de la deuxième session qui devrait avoir lieu au mois de décembre de la même année (2009). Il importe de signaler tout de suite que cette résolution n’a pas été suivie d’effet. C’est le début de la violation de l’article 200 de la Constitution, plus particulièrement en ce qui concerne le nombre de sessions de la CGP à organiser chaque année.
La deuxième session de la CGP s’est tenue à Kinshasa, du 26 au 27 aout 2011, alors qu’elle devrait se tenir à Mbandaka selon la décision de la première session. Le choix d’un autre lieu que celui arrêté par la première session a été justifié par les impératifs liés au fonctionnement de l’Etat. Convoquée par l’Ordonnance n°11/056 du 25 août 2011, la deuxième session de la CGP avait connu la participation du Président de la République, du Premier Ministre, du Vice-premier Ministre, Ministre de l’intérieur, des Gouverneurs des provinces et de plusieurs invités dont les Ministres des finances, des infrastructures, travaux publics et reconstruction (IPTR), de l’Energie, de la Santé publique, de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU) et du Vice-ministre du Budget.
Son ordre du jour comportait six points constitués notamment l’état des lieux des provinces, l’évaluation de l’exécution des recommandations de la première session, l’avis de la CGP sur l’avant-projet de loi sur la nomenclature des impôts, droits et taxes des provinces et des entités territoriales décentralisées (ETD) et ; les dispositions à prendre pour les élections de 2011. Abordant l’état des lieux des provinces, la deuxième session de la CGP a fait ressortir les avancées réalisées dans les onze provinces du pays grâce au programme des cinq chantiers initiés par le Président de la République.
Tout en saluant les efforts fournis par le Gouvernement central dans le paiement aux provinces des recettes rétrocédées, la CGP a recommandé au Gouvernement central de fournir un effort supplémentaire en vue d’examiner les voies et moyens de revoir à la hausse le niveau de l’enveloppe des recettes publiques rétrocédées.
Elle a, par ailleurs, recommandé à toutes les Institutions de prendre des dispositions utiles en vue de l'organisation des élections générales de 2011, dans un climat apaisé. La CGP a encore recommandé aux institutions concernées de prendre les dispositions en vue de rendre opérationnelle les tribunaux de paix dans la perspective de la prise en charge du contentieux électoral au niveau local. Elle a recommandé également au Gouvernement d’examiner les voies et moyens d’encourager l’approvisionnement du pays en intrants agricoles, en équipements médicaux et produits pharmaceutiques utilitaires, à travers notamment les mécanismes d’octroi des exonérations et autres avantages fiscaux.
Pour ce qui est de la troisième session de la CGP, il y a lieu de noter que c’est par l’Ordonnance n°13/005 du 13 mars 2013 qu’elle a été convoquée pour être tenue à Kananga, du 18 au 19 mars 2013. Elle avait été placée sous le thème : « la cohésion nationale dans l’unité ». Elle a connu la participation de tous ses membres et de plusieurs invités dont le Vice-premier, Ministre du budget, le Ministre des infrastructures, travaux publics et reconstruction (ITPR), le Ministre de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel (EPSP), le Ministre des ressources hydrauliques et électricité, le Ministre de l’agriculture et développement rural, le Ministre des affaires sociales, action humanitaire et solidarité nationale, le Ministre de l’industrie et petites et moyennes entreprises et, le Ministre délégué aux finances.
Plusieurs points avaient figurés à l’ordre du jour de cette troisième session notamment la communication du Président de la République, l’évaluation de l’exécution des recommandations de la deuxième session, la communication des membres du Gouvernement, l’état des lieux des provinces et avis de la CGP sur la politique du Gouvernement.
En ce qui concerne l’exécution des recommandations de la deuxième session, la CGP, tout en reconnaissant les efforts fournis par le Gouvernement central dans le paiement aux provinces, des recettes publiques rétrocédées, avait recommandé néanmoins au Gouvernement de fournir un effort supplémentaire en vue de corriger les distorsions constatées entre les budgets votés en provinces et les crédits effectivement alloués par la loi des finances portant le budget de l’Etat 2013.
Elle s’était également félicitée de l’exécution annoncée de ses précédentes recommandations tenant à l’augmentation de l’enveloppe de la rétrocession des ressources aux provinces, tenant compte de la tendance à l’augmentation des recettes budgétaires propres. Il avait été recommandé aux provinces de faire le même effort dans la rétrocession des ressources dues aux ETD.
Concernant la communication des membres du Gouvernement, il avait été noté qu’elle avait permis aux participants à la CGP d’apprécier les efforts fournis par le Gouvernement dans différents domaines et de dégager les perspectives , ainsi que les défis restant à relever.
En ce qui concerne l’état des lieux des provinces, il avait été signalé la stabilité de la situation sécuritaire sauf dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et une partie de la Province-Orientale et du Katanga, où des groupes armés se signalaient par leur activisme. Des cas de braconnage et de criminalité transfrontalière avaient été également signalés dans les provinces du Bas-Congo et du Bandundu. Au plan social, il avait été noté que la situation demeurait encore préoccupante, mais cependant, la population bénéficiait progressivement des effets de la croissance annoncée par le Gouvernement.
S’agissant de la politique du Gouvernement, la CGP avait été appelée à se prononcer notamment sur l’initiative du Président de la République tendant à la convocation des concertations nationales en vue de conforter la cohésion. Tout en appréciant cette initiative, la CGP avait recommandé l’inclusivité, dans la mesure du possible, le format réduit, l’exclusion de toute tentative de modification de l’ordre institutionnel ou de partage du pouvoir et la recherche des voies et moyens de renforcer le système de défense et de sécurité du pays contre toute forme d’agression.
La troisième session de la CGP avait, en outre, recommandé la permutation des agents publics de l’Etat, cadres de commandement, au sein ou en dehors de leurs provinces d’origine, de manière à réduire le clientélisme qui affaiblit leur rendement. Elle avait également recommandé la finalisation du Projet de loi organique sur la CNP. La ville de Mbandaka avait encore, une fois de plus, été choisie pour recevoir la quatrième session de la CGP au mois de septembre 2013.
L’édition des quatrième et cinquième sessions s’est tenue à Lubumbashi, du 13 au 16 juin 2016. Elle était placée sous le thème de la consolidation de la décentralisation comme facteur de développement et d’émergence de la RDC. Plusieurs questions ont été évoquées dont l’enclavement de certaines provinces, le déficit énergétique et en approvisionnement en eau potable pour les populations ainsi que le sous-développement du secteur agricole.
Convoquée par l’Ordonnance n°017/074 du 16 mars 2017, la sixième session de la CGP s’est tenue à Goma, du 18 au 19 décembre 2017. Elle était placée sous le thème : « La mobilisation des recettes propres des provinces et leur structure des dépenses ». Outre ses membres, la sixième session de la CGP a connu la participation de plusieurs invités dont le Ministre d’Etat en charge de la Décentralisation et réformes institutionnelles, le Ministre d’Etat en charge de l’économie, le Ministre d’Etat en charge du plan, le Ministre d’Etat en charge du budget, le Ministre des finances, le Ministre de la défense et anciens combattants et le Président de la CENI.
L’ordre du jour de la sixième session a comporté plusieurs points dont la communication du Président de la République et des membres du Gouvernement ainsi que du Président de la CENI, l’évaluation de l’exécution des recommandations des quatrième et cinquième sessions, la présentation de l’état des lieux des provinces et la mobilisation des recettes des provinces et leur structure des dépenses.
Concernant la mobilisation des recettes des provinces et leur structure des dépenses, la CGP avait noté un faible niveau de maximisation des ressources due aux facteurs économiques, financiers et institutionnels. La CGP avait recommandé le renforcement des capacités de leurs régies financières. Il a été également noté que l’affectation de recettes des provinces couvrait leurs dépenses courantes.
Parmi les recommandations issues de la sixième session de la CGP, il y a lieu de mentionner la recommandation faite au Gouvernement central de recenser tous les contrats miniers échus pour permettre aux provinces et à d’autres opérateurs miniers d’investir dans ce secteur, l’obligation pour le Gouvernement central à soutenir les provinces et celles-ci à mobiliser davantage des moyens financiers internes.
II. Appréciation de six premières éditions de la CGP
La lecture des comptes rendus des différentes sessions de la CGP conduit à faire un certain nombre d’observations. Premièrement, la convocation des sessions de la CGP s’est tenue en violation des prescrits de la Constitution et de la Loi organique portant modalités d’organisation et de fonctionnement de la CGP. En effet, alors que la Constitution et la Loi organique prévoient la tenue au moins de deux sessions de la CGP par an, il n’a été convoqué qu’une session après deux ans et demi. La première session de la CGP s’est tenue en 2009 soit trois ans après la promulgation de la Constitution et une année après la promulgation de la Loi organique fixant les modalités d’organisation et de fonction de la Conférence.
La deuxième session de la CGP, qui devait logiquement se tenir au mois de décembre 2009, n’a eu lieu qu’au mois d’août 2011, soit deux ans après. De même, la troisième prévue pour se tenir en 2012 n’a été organisée qu’en 2013, soit une année après. Les quatrième et cinquième sessions n’ont été organisées qu’en 2016, soit trois après la tenue de la troisième. La sixième ne l’a été qu’en 2017, soit une année après la quatrième et la cinquième session. La septième session était convoquée à la fin de l’année 2020, soit trois ans après la tenue de la sixième. Aussi, il n’a pas été organisé deux sessions de la CGP par an comme en prévoit la Constitution et la Loi organique. Il n’a été organisé qu’une seule session de la CGP, et ce, après deux ans comme nous l’avons dit ci-dessus.
Deuxièmement, il y a lieu de relever que la convocation des sessions de la CGP a, dans la majorité des cas, été dictée par des raisons politiques que par la volonté de faire jouer à cet organe son rôle constitutionnel et légal qui consiste à émettre des avis et à formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République. On note que la deuxième session a été convoquée à la veille des élections présidentielle et législatives de novembre 2011. La raison principale de la convocation de cette CGP peut être située dans la volonté d’obtenir le soutien électoral de tous les Gouverneurs de province et l’implication de ces derniers dans la campagne du Président de la République en quête d’un deuxième mandat.
La troisième session de la CGP, tenue à Kananga, a été convoquée à la veille de la tenue des concertations nationales initiées par le Président de la République pour juguler la crise de légitimité née des élections chaotiques de 2011 et pour faire face à la rébellion du Mouvement du 23 Mars (connue sous le tristement célèbre nom de M23). La raison de la convocation de cette session était également d’obtenir le soutien des Gouverneurs de province à cette initiative du Président de la République ; soutien qu’il a obtenu comme témoigne le compte rendu de ladite session.
Les quatrième et cinquième sessions de la Conférence des Gouverneurs de province ont été convoquées dans une période de trouble marquée par la non convocation des élections présidentielle et législatives dans le délai constitutionnel et la contestation du maintien au pouvoir du Président de la République sortant alors que son mandat arrivait à terme. La sixième session de la CGP a été convoquée également à la veille des élections de 2018. Sa convocation visait aussi le soutien des Gouverneurs de province à la coalition politique (Front Commun pour le Congo-FCC) mise en place par le Président de la République sortant et à son dauphin, candidat à l’élection présidentielle.
Troisièmement, enfin, les sessions des CGP sont plus folkloriques qu’un cadre sérieux de réflexion sur les différentes questions de la Nation. La durée de ses travaux (deux jours) n’est pas de nature à favoriser un travail de qualité surtout qu’il n’est pas organisé des réunions préparatoires à la tenue de la CGP. Le fait que l’annonce de la convocation d’une session de la CGP intervienne souvent deux jours avant sa tenue impacte sur la qualité des délibérations.
III. Enjeu de la 7èmesessionde la CGP du 28 au 29 décembre 2020
Avant de rechercher l’enjeu de la 7ème session de la CGP, il importe de faire deux observations. La première est que la convocation de la 7ème session de la CGP intervient deux ans après l’élection du nouveau Président de la République dont la prestation de serment remonte au 24 janvier 2019. La raison ayant empêché l’organisation de cette CGP en 2019 n’a pas été rendue publique ni par le cabinet du Président de la République ni par le Ministre de l’Intérieur. L’absence de la tenue d’une session de CGP en 2019 constitue une violation de l’article 200 de la Constitution et un tel manquement est contrairement à l’Etat de droit. La deuxième est que la tenue de la 7ème session de la CGP a été annoncée par un message officiel du Ministre de l’Intérieur adressé aux Gouverneurs de province en lieu et place de l’ordonnance de convocation.
C’est dans ce message que le Vice-premier Ministre, Ministre de l’Intérieur dit « transmettre les instructions du Président de la République relatives à la tenue de la Conférence des Gouverneurs de province » et où il est mentionné le thème de cette session (La gouvernance des provinces dans l’environnement démocratique actuel : Défis et opportunités).
Partant du thème de la 7ème session de la CGP, l’on peut esquisser l’enjeu qui a entouré cette réunion. Pour ce faire, il sied de rappeler qu’à l’issue des élections présidentielle et législatives du 30 décembre 2018, la majorité parlementaire aux niveaux national et provincial a été acquise au Front Commun pour le Congo (FCC) et le poste de Président de la République avait été gagné par le candidat de la plateforme politique Cap pour le Changement (CACH), une plateforme de l’opposition politique. Cette situation a conduit à la mise en place d’une coalition FCC-CACH.
Si pendant les deux années qui ont suivi ces échéances électorales, l’exécutif a été géré par cette coalition (fonctionnant parfois comme une cohabitation entre les forces politiques coalisées), il y a sous peu que cette coalition a volé en éclat. Lors de son discours à la nation, à l’issue des consultations des forces politiques et sociales qu’il a organisées, le Président de la République a mis fin à cette coalition. Ce contexte politique de rupture du contrat de gouvernance entre le FCC-CACH, mêlé à la crise sanitaire, économique et sociale provoquée par la pandémie à coronavirus de décembre 2019 (COVID-19), est un enjeu qui ne méritait pas d’être passé sous silence lors de cette réunion. Il y a, en n’a point douter, une dimension politique considérable, celle de « politiser » outrancièrement les rapports avec les exécutifs provinciaux.
On ne peut se douter d’une telle tendance politique, au détriment des objectifs assignés à cette instance, quand on sait que certains Gouverneurs de province ont déjà fait allégeance au Président de la République à travers l’adhésion à sa vision politique dénommée « Union sacrée pour la Nation » (USN). L’enjeu politique semble avoir pris le dessus sur les autres aspects de la vie de la Nation et des provinces à cause du contexte dans lequel cette CGP a été organisée. L’allégeance de certains Gouverneurs de province est justifiée par la quête d’appui politique au niveau national contre les menaces provenant des Assemblées provinciales. Cela est d’autant plus évident que les institutions provinciales sont caractérisées par une certaine instabilité due aux tensions de diverses motions visant les exécutifs provinciaux. C’est ce qui a amené le Ministre national de l’intérieur et affaires coutumières à vouloir décréter un moratoire sur les motions de défiance au nom de la sûreté intérieure. Et, en invitant en marge de cette Conférence tous les Présidents des Assemblées provinciales, la donne politique est non négligeable que les objectifs qui lui sont ordinairement assignés. Un tel moratoire s’il venait à voir jour, il devrait être considéré comme inconstitutionnel dans la mesure où il vise à paralyser une des prérogatives constitutionnelles des Assemblées provinciales.
Ce qui reste à exiger des membres, c’est de réfléchir sur des politiques viables à mener en 2021 pour sortir le pays de cette crise multidimensionnelle (sanitaire, politique, sociale et économique) afin de booster à nouveau son développement. Elle devrait également pousser le Gouvernement central à rendre opérationnelle la CNP instituée par l’article 181 de la Constitution et régie par la Loi organique n°16/028 du 08 novembre 2016 portant organisation et fonctionnement de la Caisse Nationale de Péréquation.
C. QUELQUES PISTES POUR LA REDYNAMISATION DE LA CGP
La CGP est une des manifestations tangibles de la séparation verticale des pouvoirs en RDC dans la mesure où elle permet de distinguer clairement les animateurs des institutions aux niveaux national et provincial et les met en interaction pour harmoniser en douceur leurs rapports de pouvoirs. Cependant, son fonctionnement effectif et efficient est confronté à quelques défis qu’il importe de relever. Pour y arriver, cette étude propose quelques pistes de solution.
I. Régularité dans la tenue de la CGP
Le nombre annuel des séances de la CGP fixé par le constituant de 2006 est d’au moins deux ; c’est-à-dire que l’on peut en tenir plus. Au regard de l’irrégularité constatée dans l’organisation de ce forum, l’on peut penser que tenir plus de deux CGP par an est excessif au vu des contraintes matérielles et à la disponibilité de toutes ces autorités compte tenu de leurs charges respectives. Le constituant offre la possibilité d’en tenir deux ou plus. En effet, deux CGP paraissent suffisantes. Une séance au début de l’année et une autre, évaluative, à la fin. Ce qui importe plus est la régularité dans l’organisation. La 7ème séance de la CGP a eu lieu en 2020 en 14 ans de l’existence de la Constitution. Si le décompte peut commencer en 2009, l’année de la promulgation de la Loi organique sur la CGP, en 11 ans on serait au moins à la 22ème séance de la CGP. Le constat est que l’article 200 de la Constitution n’a pas bien été appliqué. La responsabilité de cette défaillance incombe au Président de la République, qui est de droit, Président de la CGP et qui a, seul, la compétence de la convoquer et de la présider ; pourtant les problèmes à traiter n’ont pas manqué.
Pour assurer la régularité de la tenue de la CGP, il importe de recourir aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) en organisant des CGP virtuelles ou par vidéos conférences. Concrètement deux CGP en présentiel peuvent être organisées au début et à la fin de l’année et trois autres en virtuel en mars, juin et septembre. Ces trois CGP peuvent être consacrées au suivi de recommandations, celles de janvier et de décembre respectives à l’harmonisation des politiques et à leur évaluation. C’est de cette manière que l’article 200 de la Constitution peut être pleinement respecté et la CGP peut remplir sa mission constitutionnelle.
II. Elargissement de la composition de la CGP
De par sa configuration actuelle, la CGP a été déjà élargie dans sa conception, de par la volonté du constituant lui-même, dans la mesure où d’autres autorités qui ne sont pas de Gouverneurs de province en sont membres et sa présidence a été accordée au Président de la République avec d’énormes pouvoirs de la convoquer et de la présider. Cet élargissement est originaire et compatible avec la mission de la CGP.
Cependant, il sied de constater que l’actuelle composition de la CGP exclut d’autres autorités importantes qui interviennent dans les rapports entre le pouvoir central et les provinces, d’une part et entre le pouvoir central, les provinces et les Entités territoriales décentralisées (ETD), d’autre part.
L’élargissement de la CGP devrait consister à intégrer les Présidents des Assemblées provinciales, les Chefs des collèges exécutifs et les Présidents des Conseils des ETD. L’intégration des Présidents des Assemblées provinciales est justifiée par le fait que la résolution de problèmes auxquels ces provinces font face ne peut avoir lieu sans l’implication des Assemblées provinciales.
L’intégration des autorités exécutives des ETD et les élus locaux se justifie par le fait qu’il n’existe pas de mécanisme institutionnel chargé d’harmoniser les relations dans les trois niveaux de pouvoirs et pourtant, les problèmes à résoudre existent. En effet, le pouvoir de tutelle que les Gouverneurs de province exercent sur les ETD, au nom et pour le compte du pouvoir central, nécessite un cadre pour son évaluation. Au-delà, il y a d’autres problèmes comme ceux relatifs à la répartition des ressources financières qui proviennent de la CNP ou de la rétrocession ainsi qu’au partage des fonds de la redevance minière, forestière, pétrolière ou gazière entre les ETD superposées (villes et communes ou chefferies et communes) ou juxtaposées.
L’intégration du Président de l’Assemblée nationale et du Sénat se justifie en raison des attributions de ces deux institutions. D’abord, les matières concurrentes entre le pouvoir central et les provinces sont de la compétence du pouvoir législatif exercés par ces deux chambres parlementaires. S’il est vrai qu’il y a des mécanismes de résolution en cas de conflit, toute occasion d’échanges entre les Assemblées provinciales et le Parlement national est toujours souhaitable. Ensuite, le Sénat étant l’émanation des provinces, il doit être concerné par toutes gestions qui se rapportent à elles, y compris l’organisation et le fonctionnement de la CGP. En attendant une révision constitutionnelle, toutes ces autorités non membres peuvent participer à la CGP comme invitées.
III. Précisions sur la portée de la mission de la CGP
La mission de la CGP est celle d’émettre des avis et de formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République. Dans le premier cas, les membres de la CGP sont appelés à émettre des avis et à formuler des recommandations sur la politique de la République. Cette mission n’est pas claire et exige des éclaircissements. En effet, la politique de la République est définie par le Gouvernement en concertation avec le Président de la République conformément à l’alinéa 1 de l’article 91 de la Constitution et prend la forme de programme de gouvernement. Il est présenté à l’Assemblée nationale et adopté avant l’entrée en fonction du Gouvernement. C’est sur ce programme que les membres de la CGP sont appelés à faire des avis pour sa rectification et à formuler des recommandations sur la manière dont ce programme est exécuté.
Dans le second cas, les membres de la CGP sont appelés à émettre des avis et à formuler des recommandations sur la législation à édicter par la République. Il importe de rappeler que les compétences sont bien réparties en compétences exclusives du pouvoir central et celles des provinces ainsi que celles concurrentes à ces deux échelons de pouvoir d’Etat. Dans l’un ou l’autre cas, les gouvernements provinciaux sont parmi les autorités à même de percevoir le besoin d’une loi dans des secteurs qui ne sont pas encore légiférés ou la nécessité d’actualisation ou d’adaptation d’une législation. Cette compétence de la CGP justifie une fois de plus la nécessité d’y intégrer les Présidents des Assemblées provinciales.
Toutes ces innovations proposées exigent la révision de l’article 200 de la Constitution. Une telle révision est possible et n’énerve pas l’article 220 étant donné qu’elle tendra à renforcer les prérogatives des provinces.
IV. Financement du fonctionnement de la CGP
Le financement de la CGP a suscité des interrogations dans l’opinion publique avec le message télégramme du Vice-premier Ministre, Ministre de l’intérieur, sécurité, décentralisation et affaires coutumières du 1er juillet 2021 envoyé aux Gouverneurs de province leur demandant d’apporter une contribution financière à hauteur de 5000 dollars américains destinés au fonctionnement du Secrétariat Permanent de la CGP. Qui doit financer le fonctionnement de la CGP entre le Gouvernement central et les provinces ? Avant de donner des éléments à cette question, il importe de noter que la LOCGP se limite à disposer que l’Assemblée plénière de la CGP est compétente pour examiner et adopter le projet du budget préalablement élaboré par le Bureau.
Trois hypothèses peuvent être émises sur le mode de financement de la CGP. La première est que le financement de la CGP devait être pris entièrement en charge par le Gouvernement central. La raison principale qui fonde cette hypothèse est que la CGP est une institution créée par la Constitution et en tant que tel, elle devait être financée par le budget national. Cette hypothèse semble avoir été matérialisée notamment dans les exercices budgétaires des années 2014 et 2021. Par exemple, en 2014, les recettes allouées à la CGP étaient de l’ordre de 648.721.000,00 FC exécutées à hauteur de 13.314.000,00 FC. Dans le budget 2021 en cours, c’est le Secrétariat Permanent de la CGP pris en charge à hauteur de 688.337.836 FC.
La deuxième est que les provinces devaient financement la totalité du budget de la CGP. Deux arguments peuvent être avancés pour justifier cette hypothèse. Le premier est que, de par sa dénomination, la CGP est une institution au bénéfice des provinces et à ce titre, elles doivent en support le coût de fonctionnement. Le deuxième argument est complémentaire au premier et se fonde sur l’autonomie financière des provinces. Ainsi tous les budgets de province devaient contenir des lignes des crédits allouées au fonctionnement de la CGP.
La troisième hypothèse est celle qui milite pour un financement conjoint entre la Présidence de la République, le Gouvernement central et les provinces. La CGP étant un cadre de concertation entre deux niveaux de pouvoir d’Etat (pouvoir central et les provinces) impliquant trois types d’institutions différentes (Président de la République, Gouvernement national et Gouvernements provinciaux), cette nature composite milite pour un financement conjoint. En effet, chaque institution doit contribuer au fonctionnement de la CGP.
CONCLUSION
En tout état de cause, la mission de la CGP d’émettre les avis et de formuler des recommandations sur la politique nationale n’est pas synonyme d’adhésion à cette politique (par motions de soutien) ; lorsque l’on sait que chaque Gouverneur de province est élu sur la base de son propre programme et qui n’est pas forcément conforme à celui du Gouvernement national. En lieu et place de l’adhésion à un programme, on attendrait une harmonisation entre les programmes des Gouvernements provinciaux et celui du Gouvernement national sans gommer les spécificités et les particularités de chaque province. La CGP ne doit pas devenir le lieu d’anéantissement ou d’étouffement des initiatives des provinces en tant que centres d’impulsion politique à la base mais celui de leur renforcement. Elle ne doit pas non plus être l’occasion pour la réduction de l’autonomie des provinces mais celle de sa consolidation.
RECOMMANDATIONS
Au peuple congolais de :
Au Président de la République de/d’ :
Aux Gouvernements de province de :
Organisations de la Société civile de :