La marque ENA internationale – Entretien avec Hubert Petit

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Le président Emmanuel Macron a décidé en France de remplacer par ordonnance la prestigieuse ENA par l’Institut national du service public (INSP). Pour nous éclairer, le docteur Hubert Petit a bien voulu répondre à nos questions. Il  est inscrit dans le Livre Guinness des records de diplômes universitaires, médecin épidémiologiste, ancien élève et maître de conférences à l’ENA, spécialiste de santé publique, ancien haut fonctionnaire et diplomate de l’Union européenne. Son expérience africaine est décrite dans son ouvrage « Une éna est née ».

Question – Que disent les énarques étrangers du grand remplacement de l’ENA par l’INSP ?

Hubert Petit – « Nous avons choisi la France. Elle nous laisse tomber ». C'est ce que j’entends des énarques étrangers que j’avais côtoyés lors de missions à l’étranger, qu’ils soient d’Afrique, d’Amérique, d’Asie ou d’Europe. « Elle va vraiment disparaître ? Ça va faire pschitt ? Y aura-t-il des recours juridiques ? ». Sans y croire. Ce qu'ils me disent aussi c'est qu'ils se sont battus pour l’ENA mais que celle-ci les abandonne en rase campagne.

Q. – Est-ce que l’INSP pourra délivrer des diplômes universitaires ?

HP – Non. L’INSP, qui se substitue à l’ENA, n’est pas un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Il ne peut donc pas délivrer de masters ou de doctorats, pourtant importants dans leur usage international, sauf à s'associer par des partenariats avec des établissements universitaires.

Q. – Est-ce que finalement le débat sur l’ENA est surtout franco-français ?

HP – Oui. Très largement. Comme je le dis souvent, quel est le point commun entre l’éna, l’airbus, le champagne et le camembert ? Ce sont des marques à protéger, mondialement connues, des atouts à l’exportation, comme en témoignent toutes les ENA dans le monde. Et que va-t-il advenir des négociations en cours, menées par la diplomatie française, pour la création de nouvelles ENA ? « L’effet marque », comme on dit, est déterminant. Son omission dans l’ordonnance, au profit d’un INSP à vocation hexagonale, suscite des remous légitimes.

Q. – La compétition des écoles élitistes est-elle une réalité ?

HP – Certainement. La compétition est mondiale. L'ENA dispose de plus de cent trente partenariats avec des pays étrangers et des institutions homologues. Les anciens élèves occupent aujourd’hui des postes d'influence et de haute responsabilité. M. Bruno Lasserre, à la tête du Conseil d’Etat en France, dit ainsi : « Je regrette que le nom de l’ENA n’ait pas été préservé parce que c’est une marque forte, en France comme à l’étranger. C’est un levier d’influence. Des marques comme Polytechnique ou les Mines, personne ne songe à les changer ».

Q. – Que signifie en fin de compte la marque ENA à l’international ?

HP - Mon ancien maître de stage administratif à l’ENA en France m’a récemment écrit. Je vous lis textuellement: « Nos décideurs ont une vision trop hexagonale des choses et ont oublié le rayonnement de l'ENA à l'étranger. J'ai souvent participé à des séminaires comportant des étudiants étrangers du monde entier. C'était passionnant et enrichissant d'échanger avec eux et j'en garde un excellent souvenir. J'ai pris conscience à ces occasions du formidable outil d'influence que représentait l'ENA hors de nos frontières. Il faut absolument le préserver et le développer ». Pour ma part, j’ajouterai ceci… Imagine-t-on, dans la compétition mondiale pour le leadership, les puissantes institutions académiques anglo-saxonnes, Harvard, Yale, Oxford ou Cambridge, changer leurs noms pour cause de réforme de la formation des élites ?

Q. – Y a-t-il une solution pour sauver la marque ENA internationale ?

HP – Oui. En effet, que dit la proposition 12 du rapport Thiriez à l’origine de la réforme ? Je cite : « La mission propose de conserver, en raison de son impact et du rayonnement de la France, la marque ENA à l'international. L’ENA internationale, ou ENAi, pourrait être une filiale… ». Cette filiale de l’INSP est une proposition censée combler le vide laissé par l’abandon en France de la dénomination ENA.

Q. – Mais l’ordonnance ne dit rien sur cet impact à l’international !

HP – C’est vrai. Mais en reprenant la recommandation du rapport, une solution consisterait à appliquer précisément l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’Etat. Elle dispose qu’un décret en Conseil d’Etat précise les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’Institut national du service public.

Q. – Est-ce que vous voulez dire qu’un texte de niveau réglementaire serait une solution ?

HP – Oui, sans doute. Un texte devrait inclure une disposition comme celle-ci : « L'école nationale d'administration internationale, ou ENAi, filiale de l'institut, est chargée notamment des actions de formations européennes et internationales. Les élèves étrangers, pour leur part, suivent la scolarité dans les mêmes conditions que les élèves français ».

Q. – Quel serait l’avantage d’une ENA internationale pour les ENA dans le monde?

HP – L’ENA internationale continuerait, en son nom, d’apporter son expertise aux écoles de formation des hauts fonctionnaires, celles qui font confiance à la marque ENA. Cette coopération à l’échelle mondiale permet des échanges très utiles d’expérience. Les défis auxquels sont confrontées les administrations imposent partout des pilotages de politiques publiques à la fois plus agiles, plus efficaces, plus proches des préoccupations des populations.

Q. – Dernière question : êtes-vous optimiste pour la marque ENA?

HP – Oui. Il le faut bien. Etre optimiste est un gage de bonne santé. C’est le médecin qui vous parle !