Sanctions américaines : allégations d’existence d’un réseau nord-coréen de blanchiment d’argent en RDC, une peur pour rien ?

ACTUALITE.CD

En août 2020, l’organisation The Sentry alerte sur l’éventualité de l’existence d’un réseau nord-coréen de blanchiment d’argent en RDC. Dans son rapport, l’ONG allègue qu’en 2018, deux hommes d’affaires nord-coréens, Pak Hwa Song et Hwang Kil Su, ont créé une entreprise de construction en RDC. 

« Ils ont participé à des opérations qui iraient à l’encontre des sanctions de l’Union européenne, de l’Organisation des Nations unies (ONU) et des États-Unis. Malgré de strictes interdictions internationales, ces personnes ont réussi à ouvrir un compte bancaire pour leur société, Congo Aconde, et ont mené des travaux dans le pays". 

Congo Aconde a décroché un contrat pour ériger des statues dans la province du Lualaba. Selon la lecture de The Sentry, cette activité est interdite de manière explicite par des sanctions onusiennes adoptées en 2016. L’organisation va plus loin: « Des fonds publics congolais auraient financé les statues, ce qui est également contraire aux sanctions onusiennes". 

« Le dossier Congo Aconde est un appel lancé aux banques, aux gouvernements et aux institutions multilatérales pour empêcher les violations de sanctions en RDC. La faiblesse des systèmes internes de contrôle et des mécanismes de surveillance en RDC y attirent des personnes tentant d’échapper aux sanctions. Le secteur bancaire congolais et l’économie nationale sont ainsi exposés à des risques importants », dit l’organisation initiée par George Clooney et John Prendergast, qui révèle que Congo Aconde a un compte à Afriland First Bank. 

« Le compte a permis à l’entreprise de déplacer ses fonds au plan international par le biais de la BMCE Bank International, identifiée dans des documents consultés par The Sentry comme le partenaire bancaire désigné pour traiter des transactions en dollars et en euros pour le compte de Congo Aconde en RDC », dit l’organisation.

Menace à la paix et à la sécurité internationales

The Sentry souligne que « les programmes de sanctions visant la Corée du Nord tentent principalement d’interrompre son accès au système financier international car les revenus générés à l’étranger peuvent à terme servir à financer son programme d’armes de destruction massive ». 

L’organisation va plus loin: « L’accès aux services bancaires obtenu par Congo Aconde pourrait donc constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales plutôt qu’une simple inattention ».

A Afriland First Bank, on relativise. 

« Il ne faut pas spéculer. Quand il y a une sanction, il faut lire la sanction. J’entre sur la liste des personnes concernées. Et si ceux dont vous parlez ne sont pas là? Lorsqu’un nord coréen gagne un marché avec l’Etat, je dois lui refuser l’ouverture d’un compte parce qu’il est nord-coréen.Tout ce que nous faisons à la Banque, c’est de prendre des risques. Les gens sont en train de dire qu’ils ont fait des transferts pour des millions de dollars. Mais ce sont des francs congolais qu’ils ont reçu du trésor public et ça n’a pas dépassé l’équivalent en valeur de 200 milles dollars », a dit à ACTUALITE.CD et RFI Patrick Kafindo, directeur général adjoint de la banque.

Il ajoute:

« La seule chose, c’est que pour gagner le marché, une caution de garanties bancaires leur avait été demandée de 50 000 dollars, c’est ce qu’ils ont sur leur compte en dollars, mais cet argent, ils n’y ont pas touché. Quand on vérifie, toutes les transactions se sont faites en francs congolais. Faut-il refuser de traiter avec tous les nord-coréens? Ils gagnent leurs marchés avec l’Etat congolais et moi je dois être bloqué parce qu'il s’agit des nord-coréens ».

Pour lui, ces sanctions ne concernent pas ces deux nord-coréens.

« On sanctionne l’Etat, l’entreprise ou la personne. Lorsqu’un nord-coréen ouvre un compte, c’est un risque et je l’analyse. Je vois 200 000 USD en francs reçus par le biais du gouverneur ».

A la présidence de la République, certains conseillers de Félix Tshisekedi bottent en touche. “Il ne faut pas alerter les gens pour rien. Il n’y a rien avec ces nord-coréens. Une fois, on a saisi même la valise satellitaires pour vérifier, mais il n’y avait rien. Que des statuettes”, dit un proche collaborateur du Chef de l’Etat. 

Seulement, selon The Sentry, Pak et de Hwang « ont vraisemblablement travaillé en RDC pour le compte d‘une société gouvernementale nord-coréenne de création peu connue, la Korea Paekho Trading Corporation ».

«  Les sanctions américaines, onusiennes, et européennes qui sont pertinentes dans ce cas visent certains genres d'activités (et le mot activités est à souligner), et pas nécessairement d'individus ou d'entités précis. C'est-à-dire, Pak et Hwang ont mené des activités commerciales qui sont interdites par ces mêmes sanctions et puis Afriland a fournit des services bancaires qui ont facilité la participation des nord-coréens dans des activités interdites », a dit à ACTUALITE.CD John Dell’Osso, enquêteur sénior, à The Sentry. 

Et d’ajouter:

« Et, comme nous avons souligné dans nos rapports, les documents fournis par Congo Aconde à Afriland ont clairement suggéré que la société avait un but commercial qui est interdit. Les banques sont expressément interdites de fournir des tels services pour les sociétés contrôlées par les nord-coréens qui ont pour leur objectif commercial les activités interdites. Mais, en plus, sauf dans des cas humanitaires, c'est interdit aux banques de fournir des services bancaires à une société quelconque qui est controlée par des nord-coréens, sans considération de l’activité ».

The Sentry appelle Le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) du département du Trésor américain à modifier son avis sur les risques de financement illicite émanant de la Corée du Nord, « pour y inclure les risques de faire des affaires avec certaines parties du secteur bancaire de la RDC ». 

L’organisation demande aussi au département du Trésor américain et le Fonds monétaire international (FMI) à aider les banques congolaises à mettre en place les normes LAB/CFT, et appeler la Banque centrale de la RDC à améliorer la mise en place des normes LAB et pallier les lacunes législatives 

The Sentry exhorte le gouvernement congolais à renforcer la conformité des institutions financières locales notamment en soutenant l'élaboration d'une évaluation nationale des risques.

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