RDC : des écarts de primes entre médecins locaux et étrangers à la base de l’assassinat de l’épidémiologiste de l’OMS à Butembo ?

La Cour militaire du Nord-Kivu/Ph ACTUALITE.CD

Le procès des présumés assassins de l’épidémiologiste de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Richard Mouzoko lâchement abattu en avril 2019 en pleine crise d’Ebola à Butembo (Nord-Kivu) s’est poursuivi ce mardi 23 février dans la cour du parquet militaire de Butembo. Pour cette deuxième audience, les juges de la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu, siégeant en audiences foraines, dans la ville de commission des faits, ont débuté avec la comparution des prévenus. Sur les huit présents à la barre, deux ont comparu, notamment les médecins Gilbert Kasereka Kasisivahwa et Hyppolite Sangala.

Pendant plus de trois heures, soit entre 12H00 et 15H30, il a été question pour la Cour de chercher à comprendre les enjeux qui peuvent être à la base de l’assassinat du docteur camerounais Richard Mouzoko.

Comprendre le mobile de l’assassinat

Exploitant les procès-verbaux produits lors de l’instruction de l’affaire, le colonel Ndaka Mbwedi, officier du ministère public, a soutenu que tout avait été planifié par des médecins locaux. Ils se plaignaient déjà, d’après lui, des écarts entre leurs primes et celles allouées aux étrangers. Ainsi, avaient-ils organisé des réunions pour planifier de chasser les prestataires de soins « non originaires », en vue de bien bénéficier des dividendes de la riposte contre Ebola. 

Devant les juges, le docteur Gilbert Kasereka a bel et bien reconnu s’être réuni à deux reprises avec ses collègues médecins Hyppolite Sangala et Jean Paul Munda, tous accompagnés du défunt infirmier Karasaba.

Même s’il s’agissait, d’après les prévenus, des réunions de routine, le docteur Gilbert Kasereka a reconnu qu’en marge d’une de ces réunions, tenues respectivement en décembre 2018 et janvier 2019, son collègue Jean-Paul Mundama avait émis « l’idée de faire partir tous les médecins non originaires », suite à la disparité des primes.  Une idée qui l’avait gêné jusqu’à le pousser à se retirer de l’une de ces réunions.

Le Docteur Gilbert Kasereka a ainsi indiqué à la cour avoir à aucune occasion, pris part à une quelconque réunion durant laquelle il aurait été décidé de recourir aux miliciens pour matérialiser l’idée entreprise. Il a révélé avoir plutôt soutenu, par sa signature, l’idée d’initiation d’un mémorandum qu’ils avaient adressé à leur hiérarchie pour réclamer un traitement égal vis-à-vis de leurs collègues non originaires. Le mémo a été brandi à la cour. Son coaccusé, le docteur Hyppolite Sangala, l’a aussi reconnu. Comme Gilbert, ce dernier reconnaît avoir aussi participé et présidé, à l’une de ces réunions qu’il qualifie de routine. Hyppolite Sangala a nié avoir été au courant d’une démarche visant à « faire partir tous les médecins non originaires ».

Les avocats d’Hyppolite Sangala ont sollicité la comparution des témoins qui devront préciser à la cour le contenu et l’objet des réunions que le ministère public qualifie comme celles de planification d’une entreprise criminelle.

« Nous avons le PV de la réunion, la liste des participants. Il s’agissait de réunions de routine des responsables de santé. Les témoins devront vous éclairer au sujet du contenu et de l’objet de la rencontre », ont défendu les avocats du prévenu.

La Cour a accepté la comparution de ces témoins, plus de cinq, essentiellement des agents des entités administratives de santé. Ces témoins seront auditionnés à la troisième audience fixée à ce mercredi 24 février, toujours à l’auditorat militaire de Butembo, pris d’assaut par des dizaines d’habitants assoiffés de connaître la vérité dans cette affaire qui avait agité la ville en pleine crise d’Ebola. 

Pas seulement pour Mouzoko

Ce procès a débuté lundi, près de deux ans après le crime. Au total, 25 personnes sont poursuivies pour « association de malfaiteurs et terrorisme ». Mais seuls 8 prévenus comparaissent, dont trois médecins à savoir les docteurs Kasereka Kasisivahwa Gilbert, Sangala Kisaka, et Luondo Paluku. A en croire le colonel Ndaka Mbwedi, « d'autres prévenus sont en fuite », après s'être évadés notamment lors de l'attaque dirigée contre la prison centrale de Kangbayi à Beni, en octobre 2020.

Au cours de ce procès, la Cour militaire opérationnelle ne se limitera pas au seul meurtre du docteur camerounais Richard Mouzoko. A en croire l'extrait de rôle consulté par ACTUALITE.CD, elle traitera aussi les dossiers des attaques contre l'Université adventiste de Lukanga, en territoire de Lubero, ainsi que contre le Centre de traitement d'Ebola (CTE) de l'Itav-Butembo. Cette dernière attaque avait coûté la vie à deux policiers entre mars et mai 2019, période caractérisée par des violences contre les équipes de riposte contre Ebola.

Claude Sengenya