Une année d'Ebola à Butembo : L'argent à la base de la méfiance vis-à-vis de l'équipe de riposte

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Il y a une année, ce 1er août 2019, Ébola était déclaré pour la première fois dans le Grand-Nord-Kivu (Beni, Butembo et Lubero). Signalée d'abord à Mangina, il a fallu quelques semaines seulement pour que cette dixième épidémie en République démocratique du Congo (RDC) se propage à Butembo, ville de plus d'un million d'habitants.  Pendant près d'une année, la riposte n'a pas été facile, car les agents de santé ont dû faire face à la méfiance et à la résistance d'une population gênée de les voir défiler avec leur argent. L'argent de riposte, cet autre problème qui complique la tâche à la riposte. Reportage.

Butembo, près de 350 km au Nord de Goma. En septembre 2018, il y a 11 mois aujourd'hui, le premier cas d'Ebola a été confirmé dans cette importante ville commerciale de l'est de la République Démocratique du Congo.

D'un coup, des Jeep 4×4 débarquent, des hôtels pris d'assaut par des humanitaires, venus, d'après eux, sauver les vies de plus d'un million d'habitants (une estimation de la population de Butembo) qu'ils disent en danger. 

Un afflux inhabituel qui surprend les habitants, en majorité des commerçants aspirants, n'ayant jamais vécu la réalité des ONG (Organisations Non Gouvernementales). Car bien que situé dans l'est du Congo, Butembo demeure cet oasis de paix entre deux territoires troubles (Beni et Lubero) et n'a, par conséquent, jamais connu des violences à même de mobiliser les humanitaires.

"Ici, la vie c'est le commerce. Pour gagner sa vie, on doit rêver être vendeur de quelques articles. Les ONG, ce n'est pas notre culture. Les rares organisations qui interviennent ici, sont celles impliquées dans l'agriculture", fait remarquer Mathieu Kombi, étudiant au département de développement dans une université locale. 

L'argent des ONG attisent suspicions

Avec la venue des ONG, les habitants, qui exercent au centre-ville, remarquent très vite la circulation des billets verts (dollars américains). 

"J'écoulais difficilement les crédits de communication pour 100 dollars le jour. Mais il m'est arrivé, à la venue des humanitaires, de vendre même pour 300. Ils ont de l'argent à gaspiller", témoigne Jems, tenancier d'une cabine téléphonique près de l'hôtel Ivatsiro où logent des humanitaires engagés dans la riposte. 

Nous sommes au début de l'épidémie. On enregistre encore quelques cas seulement le jour, mais les habitants, habitués à gagner à la sueur de leur front, sont surpris de voir des mobilisateurs communautaires aller jusqu'à dépenser 10, 15 ou 25 dollars par jour, "tout simplement pour assurer le suivi et les investigations des présumés contacts".

"300 ou 400 dollars le mois, ce n'est pas ça le problème, parce qu'à Butembo, il y a ceux qui ont trop d'argent que cela. Le problème c'est tout cet argent pour avoir fait quoi ? Seulement suivre ou investiguer sur des présumés contacts des malades d'Ebola ? C'était ça la réflexion des petits commerçants qui, pour gagner cette somme, il faut avoir ramené des marchandises de Kampala", se rappelle Hervé Mukulu, un journaliste du coin. 

Et d'autres pratiques enveniment la situation

D'autres pratiques des responsables des équipes de riposte sont venues envenimer la situation. C'est, par exemple, des recrutements complaisants. 

"Même les responsables de différentes commissions savent qu'il y a de l'argent. Il faut en faire bénéficier à leurs proches. Ils n'hésitent pas à faire venir des agents de leurs familles ou villages ou même de leurs provinces. Imaginez-vous, pour ravitailler un point de lavage en eau, il faut amener un agent à plus de 100 km", dénonce Elvis Vihamba.

"On a vu des maires, des bourgmestres ou d'autres autorités se bousculer pour créer des structures de commission de négociation de location des véhicules. Au lieu de sauver des vies, c'est devenu une affaire de gros sous", ajoute Enock Kakule, qui a dû passer par une autorité urbaine pour faire louer son véhicule à la riposte pour pouvoir encaisser 100 dollars par jour. "En 25 jours, on a facilement ses 2 500 dollars. C'est plus qu'un job", se réjouit-il. 

"Dans l'équipe de riposte, on a eu l'impression que les gens sont plus préoccupés à amasser de l'argent que de sauver des vies", dénonce Reginald Masinda, un militant du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUCHA). Dans des bistrots, ce sont des hommes de riposte qui dictent la loi. 

"Ils sont venus faire de l'ambiance, s'amuser plutôt que de sauver des vies. Ils nous ravissent nos femmes. A Butembo, il ne faut pas être surpris qu'on vous interdise l'accès dans un bistrot, car la priorité est donnée aux agents de riposte. Dans des hôtels, ce sont eux qui occupent à la longueur des journées des filles de joie", témoigne Kambale Kavota, qui dit avoir perdu sa fiancée, détournée par un "nanti de la riposte". 

Des pratiques aux conséquences lourdes

Au delà des approches de sensibilisation et du contexte sécuritaire critique, ces pratiques des agents engagés dans la riposte contre la 10ème épidémie d'Ebola au Grand Nord, a été l'une des causes de méfiance et résistance de la population. Méfiance et résistance vécues surtout entre février et mai, période de la grave crise de confiance, ayant aussi coïncidé avec la flambée des cas positifs, faisant momentanément de Butembo, l'épicentre de l'épidémie. 

Sur les 883 cas confirmés à Butembo jusqu'au mercredi 31 juillet dernier, l'on notait 733 décès. 

"La riposte était prévue pour 3 mois, mais nous sommes à plus de 10 mois sans que l'épidémie ne soit stoppée. Les équipes de riposte veulent en faire une profession. Nous ne sommes pas jaloux, mais révoltés, parce que c'est une question de vie des gens. Il faut changer l'équipe mise en place sur base d'un recrutement complaisant. Il faut mettre des compétents qui vont se concentrer à sauver des vies plutôt que de faire du business. A défaut de changer l'équipe, il faut aussi envisager de réduire leurs salaires, pour qu'ils se donnent moins à l'ambiance. Parce que nous avons compris, l'argent, c'est aussi un grand problème dans cette riposte, parce que les gens veulent voir cette urgence perdurer pour amasser des fortunes", conseille Nguru Josias. 

"La riposte à cette épidémie était initialement projetée sur 3 mois avec 3 autres mois de surveillance. Atteindre une année veut simplement dire non atteinte de l'objectif. Et justement, la chaîne de transmission n'est pas encore maîtrisée, la prise en charge médicale est déficitaire. Par rapport à cela, une évaluation profonde de la riposte dans tous ses aspects est impérative pour un recadrage de l'approche de lutte et établir les responsabilités de ces contre-performances", recommande le député invalidé Jules Vahikehya, qui a également travaillé dans la riposte comme épidemiologiste.

Déclarée urgence sanitaire de portée mondiale par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en juillet denier, cette épidémie devrait faire mobiliser des millions de dollars pour la riposte. À la seule journée du 28 juillet, la Banque Mondiale avait débloqué plus de 300 millions de dollars sous forme de dons et des crédits.  L'Union Européenne (UE) avait, le même jour, débloqué 30 millions d'euros "supplémentaires" pour intensifier les opérations. Les États-Unis avaient, quant à eux, annoncé 38 millions de dollars pour "mettre fin" à l'épidémie. 

Claude Sengeya