Résorber la malédiction des ressources naturelles en RDC, quelques propositions - Tribune du Pr Ben Katoka

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Aujourd'hui, on vous propose cette chronique de Ben Katoka, Docteur en Politiques Publiques, Professeur à Hankuk University of Foreign Studies, Séoul, Corée du Sud.

La RD Congo (RDC) est un exemple typique de la ’’malédiction des ressources naturelles’’—la thèse selon laquelle les nations à forte dotation en ressources naturelles, en particulier le pétrole, le gaz, et les minéraux, affichent en moyenne un niveau de développement socio-économique inférieur à celui des nations moins nanties par la nature.[i] En effet, en dépit des vastes richesses du pays—par exemple, 10 et 80 pour cent des réserves mondiales de cuivre et de coltan, respectivement—73 pour cent des Congolais vivent en-dessous du seuil de pauvreté—moins de 1,90 US $ par jour—selon la Banque mondiale.[ii] Entre 1980 et 2014, le revenu national brut (RNB) par habitant mesuré en parité de pouvoir d'achat (PPA) a diminué de 56,4% (PNUD, 2015). La RDC est classée parmi les nations les plus corrompues au monde—156ème sur 176 en 2017—selon l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International, tandis que plusieurs décennies de résurgence récurrente des tensions politiques et sécuritaires l’ont placée dans un état de fragilité permanent. Quelles sont les causes de la malédiction des ressources naturelles ? Quelles politiques mettre en place pour conjurer la malédiction des ressources naturelles en RDC ?

Le présent article élabore brièvement sur les causes de la malédiction des ressources naturelles d’un point de vue théorique. Ensuite, pour le cas de la RDC, l’article énumère un certain nombre de recommandations pour promouvoir la bonne gouvernance dans le secteur minier et améliorer l’apport des ressources naturelles dans le développement socio-économique.  

Malédiction des ressources naturelles: les causes

Il n'y a pas une théorie universellement acceptée de ce qui cause la malédiction des ressources naturelles. Il est toutefois possible d'extraire quatre canaux majeurs qui peuvent expliquer l'impact négatif des ressources naturelles sur la performance socio-économique.[iii]

La volatilité est une première cause de la malédiction des ressources naturelles. En effet, les changements rapides des prix des matières premières entrainent des incertitudes dans le niveau des revenus et des dépenses publiques. Celles-ci sont susceptibles de nuire à la performance économique et au bien-être social en entravant la capacité de l'État à fournir systématiquement les services publics tels que la santé et l’éducation.  

Deuxièmement, une hausse des exportations de produits miniers—boom minier—génère un accroissement des flux entrants de devises, susceptibles de provoquer une hausse du taux de change et, à long terme, détériorer la compétitivité du secteur manufacturier et/ou agricole. Un tel phénomène est appelé le ’’mal Hollandais (Dutch disease en Anglais)’’.[iv] Un manque de diversification économique, en particulier le secteur manufacturier, est une cause majeure de la baisse du taux de croissance à long-terme.[v]  

Troisièmement, les nations riches en ressources naturelles ont tendance à être mal gouvernées. Cela tient notamment au fait que la rente provenant de l’exploitation minière détourne les efforts du gouvernement à mettre en place des institutions fiscales fortes, et à utiliser les revenus de manière à promouvoir le bien-être général des citoyens.[vi] En quelque sorte la rente explique la faible capacité de mobilisation des ressources locales—taxes—dans les pays riches en ressources naturelles.[vii] En outre, plusieurs études empiriques indiquent que les ressources naturelles ont un impact négatif sur la performance socio-économique uniquement dans les nations où règne la mauvaise gouvernance.[viii]

Enfin, l’instabilité politique et la prévalence des conflits armés constituent le quatrième facteur expliquant la malédiction des ressources naturelles. En effet, la présence sur un territoire des ressources telles que pétrole, or, diamant, ou coltan, est susceptible d’inciter aux conflits armés et à l’instabilité politique, en particulier dans les sociétés souffrant de divisions ethniques, religieuses ou politiques.[ix] Cela exacerbe la vulnérabilité aux prédateurs organisés tels que les groupes armés et autres acteurs agissant parfois pour le compte des Etats voisins et des multinationaux.[x]

Améliorer la bonne gouvernance dans le secteur minier en RDC

La bonne gouvernance est un élément clef de la façon dont les ressources naturelles profitent à certains pays et nuisent à d'autres. Elle consiste à établir et appliquer, de manière consistante, les règles et mécanismes qui obligent le gouvernement à rendre des comptes et à être transparents vis-à-vis des citoyens. Cela concerne notamment la façon dont les transactions sont entreprises avec les investisseurs/partenaires internationaux, ainsi que sur la proportion et la répartition des revenus générés par l’exploitation minière.[xi] Sans ces mécanismes, les ressources naturelles et la gestion des revenus que génère leur exploitation ne peuvent que conduire à l'enrichissement des groupes d'élite minoritaires—fonctionnaires publics, leurs familles et leurs alliés politiques. Par exemple, certains fonctionnaires haut-placés utiliseraient leurs fonctions officielles pour signer des contrats au nom de l'État avec des entreprises dont ils sont eux-mêmes actionnaires ou dirigeants.

Les efforts pour améliorer la bonne gouvernance dans le secteur minier peuvent être axés sur les six points suivants:

(1) la divulgation de toutes les informations pertinentes relatives aux contrats ou aux accords de licence d’exploitation minière;

(2) la publication et la vérification de comptes, notamment des paiements effectués par les entreprises minières et des revenus perçus par le gouvernement—voir les recommandations de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE);

(3) la tenue de séances publiques au Parlement pour discuter des questions relatives au secteur minier;

(4) la création d’une base données fiable et ouverte à tous—open data—sur les sociétés minières et leurs activités, la production et les exportations, ainsi que les recettes budgétaires provenant des industries extractives;

(5) l’établissement d’un comité de surveillance du secteur minier composé de membres de la société civile, les syndicats, les associations professionnelles ('Patronat'), les membres des parlements nationaux et provinciaux, les membres des groupes d'opposition, le pouvoir judiciaire, ainsi que des experts d'institutions concernées (Ministères des Finances, des mines, et des hydrocarbures, et la Banque centrale);

(6) le renforcement des capacités et compétences locales dans le domaine minier. A moyen et long terme, cet objectif peut être atteint par la création au niveau local d’un institut de haut-niveau spécialisé dans les formations d'ingénieurs et des métiers associés aux mines.

Il faut cependant noter qu’en plus de la bonne gouvernance, deux autres points sont essentiels pour assurer la contribution des ressources naturelles au développement socio-économique en RDC. Il s’agit, d’une part, du maintien de la stabilité du cadre macroéconomique; et d’autre part, de l’utilisation des revenus miniers pour financer le développement.

Notes

[i] (1) Auty, R. 1993. Sustainable Development in Mineral Exporting Economies: The Resource Curse Thesis. Routledge: New York; (2) Sachs, J. D., and Warner, A.M. 1995. “Natural Resource Abundance and Economic Growth.” NBER Working Paper Series 3: 54.

[ii] http://pubdocs.worldbank.org/en/433261477329285352/mpo-am16-zar.pdf

[iii] DiJohn, J. 2011. “Is There Really a Resource Curse - A Critical Survey of Theory and Evidence.” Global Governance 17(2): 167–84.

[iv] Papyrakis, E., and Gerlagh, R. 2004. “The Resource Curse Hypothesis and Its Transmission Channels.” Journal of Comparative Economics 32(1): 181–93.

[v] Krugman, P. 1987. “The Narrow Moving Band, the Dutch Disease, and the Competitive Consequences of Mrs. Thatcher. Notes on Trade in the Presence of Dynamic Scale Economies.” Journal of Development Economics 27(1–2): 41–55.

[vi] Venables, A. J. 2010. “Resource Rents; When to Spend and How to Save.” International Tax and Public Finance 17(4): 340–56.

[vii] (1) Botlhole, Thuto, John Asafu-Adjaye, and Fabrizio Carmignani. 2012. “Natural Resource Abundance, Institutions and Tax Revenue Mobilisation in Sub-Sahara Africa.” South African Journal of Economics 80(2): 135–56; (2) Crivelli, Ernesto, and Sanjeev Gupta. 2014. “Resource Blessing, Revenue Curse? Domestic Revenue Effort in Resource-Rich Countries.” European Journal of Political Economy 35(2014): 88–101.

[viii] (1) Brunnschweiler, C. N. 2008. “Cursing the Blessings? Natural Resource Abundance, Institutions, and Economic Growth.” World Development 36(3): 399–419; (2) Mehlum, H, Moene, K., and Torvik, R. 2006. “Institutions and the Resource Curse.” Economic Journal       116(508): 1–20;

(3) Farhadi, M., Islam, M.R., and Moslehi, S. 2015. “Economic Freedom and Productivity Growth in Resource-Rich Economies.” World Development 72: 109–26.

[ix] Collier, P., and Hoeffler, A. 2009. “Testing the Neocon Agenda: Democracy in Resource-Rich Societies.” European Economic Review 53(3): 293–308.

[x] (1) Koubi, Vally, Gabriele Spilker, Tobias Böhmelt, and Thomas Bernauer. 2014. “Do Natural Resources Matter for Interstate and Intrastate Armed Conflict?” Journal of Peace Research 51(2):;  (2) Lujala, P. 2010. “The Spoils of Nature: Armed Civil Conflict and Rebel Access to Natural Resources.” Journal of Peace Research 47(1): 15–28; (3) Costello, Matthew. 2016. “Rentierism and Political Violence.” Sociology Compass 10(3): 208–17; (4) Collier, Paul, and Anthony J. Venables. 2011. “Illusory Revenues: Import Tariffs in Resource-Rich and Aid-Rich Economies.” Journal of Development Economics 94(2): 202–6.

[xi] Collier, P., and Laroche, C. 2015. Harnessing Natural Resources for Inclusive Growth Natural Resources Do Not Need to Be a Curse. International Growth Centre Policy Brief