Une note de l'Institut français des relations internationales (Ifri) explique que la crise au Kasaï met en lumière la stratégie d’instrumentalisation de l’insécurité du gouvernement de Joseph Kabila et rappelle fortement les manœuvres de Mobutu dans les années 1990.
Publié ce jeudi 7 septembre et signé par le chercheur Marc-André Lagrange, qui travaille sur les conflits en Afrique Centrale depuis plus d’une décennie, ce document note que la violence des Forces armées de la RDC (FARDC) dans la région du Kasaï « semble avoir été volontaire et ordonnée par le gouvernement. Citant, par exemple, un rapport d’enquête du Bureau de coordination de l’action humanitaire des Nations unies publié le 11 janvier 2017, cette note souligne que « la majorité de ces exactions aurait été commise par les forces armées lors de leur passage ou de la création de positions militaires de contrôle. »
<em>« Ces affrontements mettent en lumière les conséquences déstabilisatrices du redécoupage des provinces dans un pays où le pouvoir local est d’abord conçu en termes d’ethnicité et d’autochtonie. Tshimbulu, l’épicentre de la crise, est acquis à l’UDPS. Mais ce positionnement politique au niveau national est moins important que les relations de pouvoir locales qui se définissent en termes ethniques »,</em> explique Marc-André Lagrange.
Pour le chercheur, la révolte de Kamwina Nsapu exprime la frustration des Luba face à leur marginalisation récente au niveau provincial. Il souligne également le fait que la nomination de Jacques Kabeya Ntumba Mupala, nouveau Kamwina Nsapu, par le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité le 16 avril 2017, n’a pas freiné la <em>rébellion</em>. « C’est d’ailleurs à la suite de cette nomination que le conflit s’ethnicise ».
<em>« En effet, par ce geste d’apaisement, le gouvernement a mis en danger les privilèges Tshokwe et Pende récemment acquis. Si l’opposition au gouvernement central de Jean Prince Mpandi a, dès 2015, mobilisé l’attention des services de renseignements congolais, ce n’est pas à cause de sa capacité de nuisance ou de mobilisation internationale mais en raison de sa volonté de remettre en cause les équilibres du pouvoir local et provincial. L’extrême sensibilité politique du redécoupage des provinces apparaît à travers cette flambée insurrectionnelle dans les Kasaï où la confrontation interethnique s’étend et est source d’une grande violence »,</em> ajoute cette note.
En conclusion, ce document note que par bien des aspects, la gestion de la crise des Kasaï par le gouvernement congolais rappelle celle de la première guerre du Shaba de 1977 par Mobutu.
<em>“À l’époque, le gouvernement zaïrois avait mis en œuvre une politique de représailles contre les populations civiles qui s’était accompagnée d’une censure médiatique. Les opérations de reconquête et de pacification par les troupes zaïroises et leurs alliés avaient alors provoqué des déplacements massifs de population et une crise économique dans l’ensemble du pays. Ce bégaiement de l’Histoire est sans doute ce qui frappe le plus dans cette crise des Kasaï. En effet, les racines et la forme des milices Kamwina Nsapu – dont le fonctionnement et le comportement s’apparentent aux Mayi-Mayi Simba et qui puisent aussi leur légitimité dans un mécontentement populaire contre l’État –, la réponse de l’État et la complaisance internationale donnent une impression du déjà-vu”,</em> renseigne la note.
Le document révèle deux leçons principales : <em>« La première est la marginalisation complète des Nations unies. Les divisions au sein de l’ONU bloquent maintenant totalement son action en RDC au point de faire de la MONUSCO un acteur marginal, sans influence politique et traité par le pouvoir congolais avec mépris. La seconde leçon est la détermination des gouvernants congolais et plus particulièrement du premier cercle de joseph Kabila, à se maintenir au pouvoir en instrumentalisant l’insécurité. »</em>
Diplômé en développement (ISTOM) et en gestion des crises (Sorbonne), Marc-André Lagrange travaille sur les conflits en Afrique Centrale depuis plus d’une décennie. Spécialiste des questions de gouvernance, de l’action humanitaire et des politiques régionales dans les Grands Lacs, il a notamment travaillé comme analyste senior pour International Crisis Group et les Nations unies.
L’Ifri est le think tank français de référence sur les questions internationales. En 2016, l'Ifri a été classé au 3e rang des think tanks les plus influents du monde derrière la Brookings Institution (Etats-Unis) et Chatham House (Royaume-Uni), selon le "Global Go-To Think Tanks Index 2016" de l’Université de Pennsylvanie,réalisé sur 6 846 think tanks répartis dans 182 pays.