La prolifération de contenus médicaux sur les réseaux sociaux congolais a atteint un seuil critique, soulevant des inquiétudes quant à la fiabilité et la régulation des produits qui y sont mis en avant. Des pratiques de chirurgie esthétique y sont publiées quotidiennement, touchant des milliers d’internautes, sans réelle réaction des autorités.
ACTUALITE.CD s’est entretenu avec Trésor Dieudonné Kalonji, auteur et chercheur en cybersécurité, sur l’ampleur du phénomène et ses implications.
« C’est une situation qui permet à tout individu, même sans compétence, de promouvoir librement la consommation de produits aux effets incertains, en l’absence totale de contrôle des autorités sanitaires », affirme-t-il.
Une ampleur sans précédent
Sur TikTok et Instagram, de nombreuses pages font la promotion de services de chirurgie esthétique. Parmi les plus visibles, “Docteure ML”, qui revendique plus de 126 000 abonnés et 757 000 « J’aime », affirme travailler pour la clinique Le Jourdain. Elle publie régulièrement des vidéos d’interventions : liposuccion, injections « brûle-graisse » ou encore suivis post-opératoires.
Sur Instagram, sous le nom “Docteure Mal”, elle se présente comme « médecin en chirurgie esthétique (MD) ». Le compte de la clinique Le Jourdain y réunit plus de 13 000 abonnés, faisant partie des rares pages à offrir ouvertement des services de liposuccion à Kinshasa.
Pour les injections d’augmentation fessière (BBL), d’autres comptes dominent : “Size Magic”, “Taille SL” ou encore “Bellemedije Clinic”, qui cumulent entre 60 000 et 120 000 abonnés sur TikTok et Instagram. Les responsables de ces cliniques postent régulièrement des vidéos promotionnelles et des conversations avec leurs patientes, en apparence satisfaites.
Des influenceuses, vitrine de la propagande esthétique
Pour toucher un public plus large, ces cliniques collaborent avec des influenceuses et comédiennes très suivies telles que :
● Maria Ntumba Mitonga (2 millions d’abonnés, 77 millions de “J’aime”),
● Gemima Kokonzoni (4,2 millions d’abonnés, 143 millions de “J’aime”),
● Cardozo (1,1 million d’abonnés, 15 millions de “J’aime”).
Toutes trois apparaissent dans des vidéos promotionnelles de “Health Travel Tunisie”, une clinique basée à Tunis qui vante ses interventions de liposuccion avant de proposer des injections BBL à Kinshasa, notamment via Size Magic et Bellemedije Clinic.
« TikTok illustre parfaitement la dérive », estime Trésor Dieudonné Kalonji. « La popularisation du BBL, encouragée par des influenceurs et présentée comme une solution esthétique accessible, témoigne des conséquences dramatiques de cette absence de régulation ».
En effet selon lui, les algorithmes des plateformes amplifient le phénomène. Ils privilégient la visibilité au détriment de la véracité, rendant toute régulation difficile, même lorsque des utilisateurs signalent les contenus.
Une évolution culturelle amplifiée par le numérique
L’expert rappelle que cette obsession pour les formes voluptueuses ne date pas d’hier. « Avant Internet, des produits comme le C4 (un apéritif vendu en comprimés) ou même le cube Maggi étaient déjà détournés pour faire grossir. Les réseaux sociaux n’ont fait qu’amplifier cette quête de rondeurs, devenue un marqueur social », explique-t-il.
Le mot « Saoudi », symbole de prospérité et de puissance physique, s’est imposé dans le langage populaire, renforçant la pression esthétique. « Le BBL n’est que le prolongement de cette évolution culturelle, que le numérique a propulsée à une vitesse inédite », conclut Kalonji.
Pour ce qui est du cadre juridique, le chercheur estime que le Code du numérique congolais reste trop général et inadapté.
« Il n’existe aucun mécanisme de vérification ni de certification des informations médicales diffusées en ligne, ni de contrôle des influenceurs qui les promeuvent. La loi 18/035 de 2016 sur le droit à la santé interdit certes la publicité de médicaments destinés au grand public, mais uniquement dans la presse écrite et dans les hôpitaux. Rien n’est prévu pour Internet », regrette-t-il.
Il pense aussi que la RDC pourrait s’inspirer d’autres pays. En France, toute publicité de produits de santé requiert une autorisation préalable de l’ANSM, en Chine, il est interdit de parler de sujets médicaux sans diplôme reconnu, et les plateformes sont tenues de supprimer les contenus non validés par les autorités sanitaires.
« La RDC doit créer un registre numérique des contenus médicaux certifiés, exiger des qualifications pour les créateurs de contenus santé, et développer un système de signalement efficace », recommande-t-il.
Un enjeu de santé publique majeur
Le phénomène ne se limite pas à la chirurgie esthétique. En 2022 déjà, le Dr Delphin Katshelewa, de l’Association pour le Bien-Être Familial (ABEF/ND), alertait sur la consommation de produits dangereux, notamment dans le Kongo Central, entraînant des cas d’insuffisance rénale, d’hépatites toxiques et d’hospitalisations en série. Ces produits sont souvent promus via des stratégies marketing agressives, basées sur de faux témoignages ou des mises en scène trompeuses.
« Le numérique peut être un levier de transformation sanitaire, mais il doit être encadré par des principes éthiques et des lois rigoureuses, adaptées aux réalités du pays », conclut Trésor Dieudonné Kalonji.
Pour rappel, Trésor Dieudonné Kalonji œuvre dans le domaine de la cybersécurité depuis plus de 15 ans. Il est également formateur et sensibilisateur aux bonnes pratiques numériques.
Injections BBL pour grossir les fessiers : qu’en pensent vraiment les kinoises ?
Augmentation des fessiers BBL : à Kinshasa, il faut débourser jusqu’à 7 500 USD
Chirurgie des fesses, BBL bio ou Injections : de quoi s’agit-il exactement ?
Prisca Lokale