RDC : l'actualité de la semaine vue par Nathalie Yoka

Photo/droits tiers
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Résurgence des affrontements communautaires à Kwamouth, peine requise contre Bokungu Mbilia dans le procès de la jeune fille poignardée, demande de la RDC à l'Union Africaine pour l’examen du rapport des experts de l'ONU sur l'agression rwandaise, la semaine qui s'achève a été riche en évènements.  par Nathalie Yoka revient sur ces faits marquants.

Bonjour Madame Nathalie Yoka et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?

Nathalie Yoka : Je suis chargée des programmes au Réseau genre et droits des femmes (GEDROFE), une structure basée à Kinshasa, qui a pour missions la promotion, la protection et la défense des droits humains, particulièrement ceux de la femme. Nous travaillons actuellement à l'augmentation de la participation de la femme dans les instances de prise de décisions et dans un projet d'appui à la lutte contre les violences basées sur le genre en RDC. Nous menons aussi des activités de plaidoyer. Nous avons notamment réalisé la cartographie des mécanismes de paix, une activité qui nous a permis de produire une politique d'intégration de la femme et de la jeune fille dans les mécanismes et initiatives de paix. Nous pensons que si la femme et la jeune fille participent réellement à la table de négociation, à toute initiative de paix, il y aura restauration de la paix dans les différentes régions du pays en proie aux conflits. 

Les violences ont repris dans le territoire de Kwamouth, au lendemain d’une mission gouvernementale. Des membres de la communauté Yaka sont accusés d’être à la base de cette résurgence. Quelles sont vos recommandations pour une paix définitive ?

Nathalie Yoka : nous pensons que ces deux communautés doivent s'asseoir, dialoguer pour trouver une issue de sortie. Leurs actions pourraient avoir de l'incidence sur les générations futures. Il faut absolument mettre fin à la violence, à travers des pourparlers dans le but de trouver les causes inavouées de ces conflits. Au-delà des autorités de chaque ethnie, Yaka ou Teke, la mission doit rencontrer également les populations. Si on ne traite pas les véritables causes, plusieurs missions gouvernementales pourront s'y rendre sans obtenir aucun changement. Seules les communautés impliquées connaissent les vrais problèmes. 

Plus de 5.000 personnes, y compris des enfants, ont dû quitter leurs habitations suite à ces affrontements. Comment garantir la reprise des cours pour les élèves à Kwamouth ?

Nathalie Yoka : Les conflits entraînent des conséquences énormes sur l'éducation des enfants. Ces affrontements se sont déclenchés, heureusement, au cours des vacances. Mais en ce moment, les élèves doivent retourner à l'école. Comment le feront-ils si leurs écoles ont été brûlées et saccagées ? Ils ont droit à l'éducation, selon l'article 43 de notre constitution. Il ne faut pas les priver de cela. Il est important et impérieux que dans cette délégation, le ministre de l'EPST soit également associé pour qu'avec les responsables provinciaux de ce ministère, un état des lieux soit fait pour que les élèves reprennent les cours dans une semaine au plus tard. Au-delà de toute autre mesure, il faut obligatoirement que la paix revienne dans ce territoire.

A travers le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine, la RDC a demandé officiellement à l’Union Africaine d’appuyer sa démarche auprès du Président du Conseil de Sécurité de l’ONU afin d’obtenir l’examen du rapport des experts des Nations unies sur l’agression rwandaise. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Nathalie Yoka : c'est une démarche qui doit être suivie de très près. La RDC est membre de l'ONU depuis 1960 et elle (RDC) doit bénéficier des mêmes avantages que les autres pays. Il est important que ce rapport au sujet de l'agression rwandaise soit examiné pour que le Rwanda soit sanctionné. Il y a parfois des rapports qui arrivent au niveau des Nations Unies, mais que l'on décide de taire, mettre dans les tiroirs parce qu'il y a une volonté inavouée d'appauvrir la RDC, un pays immensément riche. Nous allons accorder beaucoup d'intérêt à cette démarche. Si le conseil de sécurité publie ses sanctions et donne des recommandations, ces mesures vont soulager les États africains de façon générale, et la RDC en particulier. Ce sera aussi une preuve que le CSNU considère la RDC en tant que pays souverain et en tant que membre de l'ONU. 

Pendant ce temps, les processus entamés pour la pacification de l’Est de la RDC sont visiblement au point mort. Les accords peinent à être mis en œuvre et les rebelles continuent à s’attaquer aux populations. Quelles propositions avez-vous pour l'instauration d'une paix durable ?

Nathalie Yoka : lorsque la diplomatie, la médiation et tout autre mécanisme ne marchera pas, il faudra que l'Etat congolais utilise les voies de la force pour défendre son territoire, tel que cela avait été promis aux groupes armés. 

La société civile du Haut-Uele et de l’Ituri dénoncent le fait que plusieurs sociétés étrangères exercent l'exploitation minière artisanale sous la couverture des autorités politiques et militaires. Comment mettre fin à cette exploitation selon vous ?

Nathalie Yoka : que dit la Loi congolaise en matière d'exploitation minière artisanale ? N'est-ce pas un domaine réservé aux communautés locales ? Mais, lorsque les sociétés étrangères font ce travail, en lieu et place des populations locales, cette loi n'est pas respectée. Malheureusement, il y a toujours une main noire qui protège ces sociétés au détriment des communautés. Et lors des échéances électorales, les mêmes personnes qui couvrent ces sociétés étrangères viendront auprès des populations solliciter des voix. Et la souffrance se perpétue. Le code minier devrait être mis en œuvre. 

Plus de 50 nouveaux magistrats de la Cour des comptes ont prêté serment devant le Chef de l'État. Ils viennent notamment renforcer le dispositif de lutte contre la corruption en RDC. Quelles sont vos attentes à leur égard ?

Nathalie Yoka : c'est une institution supérieure de l'Etat, qui a pour mission d'assurer le contrôle des finances publiques et des contrôles externes pour les entreprises publiques, il est important que la Cour des comptes s'assure que les fonds de l'Etat sont utilisés à bon escient. 

Deux pavillons et huit magasins ont été calcinés dans un incendie au marché de la liberté à Kinshasa. Le gouverneur de la province a évoqué des origines criminelles et instruit une enquête dans le but d’en élucider les vraies causes. Que faire pour prévenir ce  genre de drame ? 

Nathalie Yoka : c'est une bonne chose de faire ces enquêtes. Mais, je pense aussi qu'il sera important d'interpeller la Société nationale d'électricité (SNEL). Il y a des courts circuits à tout moment, dans la ville de Kinshasa et même dans les provinces. Le courant électrique n'est pas permanent, par moment il est rétabli tardivement, avec toutes les conséquences que cela entraîne. 

Le Syndicat national des médecins (SYNAMED) a décidé de lancer l’opération « hôpitaux sans médecins ». La grève qui dure depuis le mois d'août n'a pas encore trouvé une issue. Que pensez-vous de cette décision des médecins ?

Nathalie Yoka : revendiquer est une bonne chose, faire la grève en est une autre. Et lorsque votre voix n'est pas écoutée, il faut continuer à faire des revendications. Mais il faut penser aux malades. Comment seront-ils soignés ? 

 Le ministère public propose la peine capitale comme sanction contre Bukungu Mbilia, prévenu dans le dossier de la jeune fille Eliane Botembe poignardée à l'aide d'un couteau. Qu'en dites-vous ? 

Nathalie Yoka : je pense que l'auteur de cette violence doit sévèrement être puni. Nous en avons assez de voir des cas de violences à l'égard des femmes et des jeunes filles! J'ai eu accès aux images des blessures de la jeune fille et je puis dire que c'était un assassinat prémédité mais qui n'a pas pu aboutir. L'auteur doit être réellement sanctionné et aucune caution ne devrait être payée. La peine doit être comparable au niveau de l'acte qu'il a commis. 

Au niveau continental, le principal parti d'opposition en Angola a déposé un recours pour contester les résultats du scrutin législatif donnant la victoire au parti au pouvoir et un second mandat au président sortant, Joao Lourenço. Au Kenya, la Cour Suprême doit également examiner les recours contestant les résultats de l'élection présidentielle. Quel regard posez-vous sur les élections en Afrique? 

Nathalie Yoka : en Afrique, à l'issue des élections, on a toujours l'impression qu'une partie à tricher. Il faut juste parfois accepter la réalité, la popularité d'un candidat. Dans chaque élection, il y aura toujours un gagnant et un perdant. Et l'Afrique devrait intérioriser cela. 

Sachant que la RDC se prépare également aux échéances électorales de 2023, quelles sont vos recommandations pour ne pas être confrontés au même scénario? 

Nathalie Yoka : je ferais la même recommandation à la RDC. Il faut parfois accepter les résultats des élections tels qu'ils se présentent. Pour les prochaines échéances électorales, je demande qu'il y ait un nombre important des témoins des partis politiques. Mais aussi, que les résultats partiels, par bureau de vote, soient disponibles et affichés pour toutes les parties. Cela va limiter le niveau de doute et de contestation. 

Un dernier mot ?

Nathalie Yoka : je crois qu'il est important pour les partis politiques d'aligner des femmes dans leurs listes électorales. Je soutiens totalement la femme et au cours des prochains scrutins, je voterai pour les candidates, surtout aux élections législatives. Merci beaucoup.

Propos recueillis par Prisca Lokale