De l'annonce des verdicts à propos des assassinats de Charline Kitoko et Annie Marie Buhoro, aux propos méprisants du vice-président kenyan à l’égard des congolais, en passant par la levée du couvre-feu, la prorogation de l’état de siège ainsi que la prise en otage d’une équipe de négociation du président Tshisekedi par des miliciens à l’Est, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Hatton Mianda Mwepu commente chacun de ces faits.
Bonjour Madame Hatton Mianda et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Hatton Mianda : Je suis Directrice de développement commercial-Afrique et projets au sein de Sodeico Développement. Je suis détentrice d'un master en business administration et management de l'école de finance de Frankfurt, d’une licence en économie internationale et d’un diplôme de graduat en relations internationales. Aussi, je suis certifiée en durabilité d'entreprises à l'université de Brocconi en Italie. Je suis également cheffe de projet de l’initiative à Responsabilité Sociétale de la Sodeico, « Nkelo Bantu », une plateforme qui vise le renforcement des capacités et l'amélioration des conditions du capital humain des entreprises. J’ai plus de 10 ans de carrière dans le secteur du développement, et j’ai travaillé avec des organisations internationales telles que Catholic Relief Services, Conseil International de l'industrie suédoise (NIR), j’ai aussi représenté le SWHAP en RDC, au Congo Brazzaville et au Gabon.
La justice congolaise a condamné à 15 ans de servitude pénale principale, Destin Wabile pour le meurtre de sa femme, la journaliste Charline Kitoko Safi à Kamituga. Que pensez-vous de ce verdict ?
Hatton Mianda : l’incidence ainsi que la récurrence des violences/crimes conjugaux sont très alarmants. Ceci s’est accentué avec la pandémie de la Covid 19, non seulement en RDC mais à travers le monde et plus spécifiquement durant les périodes de confinement quand les couples se retrouvaient pendant des périodes prolongées comme jamais auparavant.
Cette décision intervient après celle du vendredi dernier, ou un militaire a été condamné à la servitude pénale à perpétuité pour le meurtre de sa compagne, l'activiste Anne-Marie Buhoro à Minova (Sud-Kivu). Que faudrait-il faire, selon vous, pour mettre fin aux violences entre partenaires en RDC ?
Hatton Mianda : pour une justice qui se veut impartiale et non biaisée, les deux sentences pour le même crime sont à deux extrêmes ! Ce qui peut remettre en question la légitimité de notre système pénal. C’est aussi un signal fort que le dialogue n’est plus à jour dans les couples modernes mais aussi qu’il n’y a pas assez de sensibilisation pour non seulement prévenir mais aussi éradiquer totalement les violences domestiques. Pour agir efficacement, il nous faut mettre en place un système judiciaire et pénal rigoureux qui condamne les violences domestiques afin de les prévenir. Dans le temps, les familles élargies jouaient le rôle de conseil matrimonial, chose qui n’existe quasiment plus. Cette cellule accompagnatrice des couples doit être remplacée par des services de l’administration (psychologues) publique afin de venir en aide aux couples avant qu’une tragédie n’arrive. Ceci peut être appliqué par des outils modernes comme des lignes vertes (au téléphone.ndlr) existantes qui devraient être vulgarisées, des applications téléphoniques ou d’autres médias.
Au cours de la semaine, le porte-parole du gouvernement a annoncé la levée immédiate du couvre-feu sur toute l’étendue du territoire national sauf dans les provinces concernées par l'état de siège. Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
Hatton Mianda : la levée du couvre-feu a été trop brusque, à mon avis. Pourquoi ? le changement de comportement est un processus très lent, il a fallu beaucoup d’effort au gouvernement pour amener le Congolais à observer cette mesure prise dans le cadre de la prévention à la propagation de la COVID 19, il aurait été logique que le revers se fasse progressivement pour avoir une transition au retour vers le « non couvre-feu ». Ainsi, une sensibilisation à l’observation des autres mesures telles que les gestes barrières aurait été beaucoup plus responsable pour ne pas retomber vers un pic de contamination.
Le coordonnateur du secrétariat technique de la riposte contre la pandémie, Dr Jean-Jacques Muyembe, a également appelé la population à la vigilance car le pays est toujours sous menace d’une éventuelle 5e vague de Covid-19. Quelles dispositions faudra-t-il prendre pour éviter cette nouvelle vague ?
Hatton Mianda : l’observation des gestes barrières reste cruciale pour éviter cette 5ème vague évoquée par le Dr. Muyembe et pour cela il faut que la sensibilisation de masse soit poursuivie. L’appel au dépistage, car nombreux sont « Covid-Ignorants », et à la vaccination doivent aller de pair comme stratégie.
Toujours en santé, la Coordination provinciale du Programme élargi de vaccination a déployé des équipes mobiles dans les 24 communes et 35 zones de santé de la ville province de Kinshasa pour une vaccination de masse. Quelles sont vos propositions pour inciter la population à se faire vacciner ?
Hatton Mianda : en ce qui concerne l’adhésion à la vaccination de masse, il est important d’éduquer et d’informer la population afin d’assurer son adhésion. N’oublions pas que le vaccin contre la COVID-19 est l’un des plus controversés dans l’histoire à cause de toutes les spéculations véhiculées sur les réseaux sociaux, principalement, qui l’entourent et qui ont entraîné la méfiance des populations vis-à vis du vaccin à travers le monde.
En sécurité, plusieurs morts ont été enregistrés au cours de cette semaine au Nord-Kivu en Ituri bien que la mesure de l'état de siège a été prorogée une nouvelle fois. Pendant ce temps, des membres d'une délégation dépêchée par Félix Tshisekedi pour négocier la reddition des miliciens CODECO dans le territoire de Djugu ont été pris en otage depuis mercredi. Les miliciens recommandent notamment le retrait des militaires congolais de la zone avant de poursuivre les pourparlers. Comment les autorités congolaises devraient-elles réagir ?
Hatton Mianda : la sécurité territoriale dans les zones de conflits, comme à l’Est du pays, est une question très délicate, je ne suis pas experte en stratégie militaire pour donner des orientations par rapport à la bonne mise en œuvre de l’état de siège. Cependant, nous ne pouvons qu’appeler nos autorités à poursuivre le travail pour assurer la sécurité des citoyens Congolais qui y vivent, trop de vies humaines y ont été détruites.
En politique, l'union Sacrée a rendu public la liste de ses candidats pour les postes des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces. Sur un ensemble d'environ 70 noms repris, huit (8) sont des femmes pour les deux catégories de postes. Que pensez-vous de cette représentation des femmes ?
Hatton Mianda : 8 femmes uniquement sur les 70 hommes aux postes de gouverneurs et vice-gouverneurs est une représentativité encore très faible. Nous sommes en pleine reconstruction de notre pays, si nous voulons réellement changer les paradigmes il faudra s’assurer que les femmes qui représentent plus de 50% de la population trouvent plus de place aux postes décisionnels. Je ne doute pas qu’il y ait des femmes aptes, compétentes, ma question est, est-ce qu’elles sont outillées en leadership pour pouvoir oser occuper ces postes ?
Au moment où les débats se poursuivent pour l'intégration, dans la loi électorale, d'un article exigeant une représentation équitable des femmes dans les listes des partis politiques, quelle décision devrait prendre Félix Tshisekedi, en tant qu'initiatieur de l'Union sacrée de la Nation mise en place pour accompagner son mandat en tant que président après coalition FCC-CACH?
Hatton Mianda : il y a des mesures contraignantes que le Président pourrait imposer aux partis politiques pour s’assurer de 50% de représentativité des femmes au sein des partis politiques, par exemple, en faire un critère d’éligibilité aux élections législatives.
Par ailleurs, les propos méprisants tenus à l’encontre de la RDC par le vice-président kényan, William Ruto, déclarant que les Congolais ont suscité plusieurs réactions sur la toile. Quelles sont vos attentes auprès des politiques congolais face à cette situation ?
Hatton Mianda : les propos méprisants du VP Kenyan devraient être une interpellation et remise en question pour nos politiques qui affirment avoir retrouvé la place de la RDC sur la scène diplomatique et politique internationale. La meilleure façon de se faire respecter est de développer notre pays à travers une économie forte, une sécurité territoriale nationale indéfectible, une politique internationale basée sur la réciprocité sur un principe gagnant-gagnant. Les conditions sociales du citoyen congolais seraient le meilleur outil pour retenir notre capital humain. Cela nous éviterait ce genre d’humiliation au vu du nombre de Congolais qui rêvent de vivre en dehors de chez nous.
Au niveau continental, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a été investi président trois semaines après le Coup d’Etat au Burkina Faso. Quelles propositions feriez-vous à l'Union Africaine pour pallier au phénomène de coup d'État qui tend à s'installer ?
Hatton Mianda : l’union Africaine a une tâche rude, celle de créer une vraie cohésion continentale afin de prévenir ce mouvement de coups d’Etats à travers notamment des dialogues intra étatiques, là où les régimes en place sont menacés pour prévenir le chaos à travers toute la région car nos pays sont interconnectés. Au-delà des interventions militaires de l’Union Africaine, le continent a besoin de développer un sens de redevabilité des dirigeants africains au niveau des pays. Le continent africain connaît les mandats présidentiels les plus longs au monde ! Il est temps que cela change !
Un dernier mot ?
Hatton Mianda : le Congo de demain se prépare aujourd’hui ! La responsabilité de développer notre pays n’incombe pas uniquement aux politiques, chacun de nous doit y contribuer à son niveau, alors mettons-nous au travail si nous voulons réellement « changer de narratif ». L’Etat, à son niveau, doit aussi jouer son rôle dans la création d'emplois, l’accès à l’éducation, aux soins de santé et dans la sécurité des personnes ainsi que de leurs biens. Notre jeunesse se sent perdue et a besoin d’accompagnement, d’accès aux opportunités, d’un vrai leadership qui sont clés pour l’avenir de notre pays. C’est là que doit être notre priorité.
Propos recueillis par Prisca Lokale