RDC : l’actualité de la semaine vue par Tatiana Mukanire  

Photo/ Droits tiers
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Du jugement de la Cour internationale de justice dans le litige Ouganda-RDC, à la cérémonie d’inhumation des 25 personnes décédées par électrocution à Matadi-Kibala, en passant par la réaction de Paul Kagame au sujet des opérations militaires conjointes à l’Est, la condamnation du capitaine Saleh auteur d’un féminicide, la semaine qui s’achève a été  riche au niveau de l’actualité. Tatiana Mukanire passe au crible chacun de ces faits. 


Bonjour Madame Tatiana Mukanire et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Tatiana Mukanire : je suis coordonnatrice nationale du Mouvement Nationale des Survivant.es des violences sexuelles en RDC. Ce mouvement a été créé en 2017 pour essayer d’amener les victimes des violences sexuelles à briser le silence et être les actrices principales du changement et la lutte contre ce type des violences. Nous menons plusieurs activités, des campagnes de sensibilisation, des plaidoyers pour que justice et réparation nous soient rendues. Et en même temps, nous essayons de trouver des structures pour la prise en charge médicale de nos collègues qui n’ont pas pu avoir des soins ou l’assistance en justice. Nous menons ces actions sur le plan national et international. 


Au cours de la semaine, l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) a fixé à 325 millions de dollars le montant des réparations que l’Ouganda doit verser à la RDC. Kinshasa réclamait plus de 11 milliards de dollars suite aux dégâts causés par l’UPDF sur le sol congolais lors de la guerre de 1998-2003. Que pensez-vous de cette décision de la CIJ ? 

Tatiana Mukanire : 325 millions $ pour plusieurs morts, plusieurs femmes dont les vies ont été détruites, je pense que cela n’est pas suffisant. En aucun cas, des milliards de dollars ne pourront changer ou effacer ce que notre peuple a vécu. En suivant ce procès, l’on se rend compte que l’Ouganda va avancer l’hypothèse selon laquelle « Le Congo n’a jamais présenté des preuves suffisantes pour montrer la culpabilité de l’Ouganda ». Aucune des parties qui a participé à la guerre au Congo n’a accepté sa responsabilité. Le problème au niveau interne, c’est que l’on n’a jamais élaboré des documents sur toutes les scènes vécues. Nous n’aurons pas assez de preuves pour aller en justice. Le fait que la CIJ ait condamné le Rwanda est une bonne chose, mais il faudrait que tous les pays impliqués soient poursuivis et sanctionnés. 

Pendant que certains acteurs politiques et activistes des droits de l’homme minimisent ce verdict, la ministre d'État de la Justice, Rose Mutombo parle d’une “victoire”. Elle insiste sur le respect de l'arrêt de la Cour qui somme l’Ouganda à payer cette somme par tranche dès septembre 2022. Que faudra-t-il envisager en termes d’actions pour aboutir à cette réparation ?  

Tatiana Mukanire : La ministre Rose Mutombo a raison de parler de victoire. Je considère ce verdict comme une petite victoire et c’est important pour les victimes de ces attaques de l’Ouganda. En même temps, il va falloir traduire en justice toutes les personnalités politiques, sécuritaires ayant participé à ces atrocités. Comment aboutir à cette réparation ? Il faut des réparations individuelles, des réparations pour les communautés, des réparations pour la Nation. Il faudrait mettre en place un processus de réparation centré sur la personne qui a directement subi ces atrocités. Il faudrait multiplier les petites victoires de justice comme celles-ci, qui suscite l’espoir qu’un jour les victimes puissent obtenir la paix.  

Au niveau de l’Ouganda, le verdict est jugé "injuste et erroné", tout comme le précédent jugement de 2005 sur sa responsabilité. Le ministère des affaires étrangères ougandais regrette aussi qu’une telle décision intervienne à un moment où les deux pays continuent à renforcer leurs relations. Comment la RDC devrait-elle réagir face à ces déclarations selon vous ? 

Tatiana Mukanire : c’est vraiment inacceptable que des personnes qui ont trempé dans les atrocités en RDC puissent nier leur implication. Mais l’histoire est têtue. Je pense que certaines personnes perdent parfois le sens de l’humanisme. Au Congo, nous continuons par moment à être naïfs. Ceux qui étaient nos bourreaux hier reviennent aujourd’hui en tant qu'alliés. Nous avons notre part de responsabilité. Actuellement, l’Ouganda mène des actions conjointes avec les Forces armées congolaises. N’y a-t-il pas de risque que les faits de 1998 à 2003 se reproduisent ? Pourquoi la RDC a-t-elle accepté cet appui ? La RDC devrait réfléchir par deux fois avant de conclure des alliances.    

En sécurité, les tueries de masses se poursuivent à l’Est malgré l’état de siège. Pendant que l’Armée ougandaise et les FARDC mènent des opérations conjointes contre les ADF à l’Est, le Rwanda se plaint de ne pas être associé. Dans ses récentes déclarations, Paul Kagame assure prendre à un certain niveau la défense de la sécurité de son territoire « sans demander la permission à qui que ce soit ». Quelle devrait être la réaction de la  RDC et de l'Ouganda face à cette déclaration ?   

Tatiana Mukanire :  c’est l’Etat congolais qui a décrété la mesure exceptionnelle de l’état de siège. Il devrait étudier et déterminer les défis de cette mesure, les avantages et les inconvénients. Le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, tous ces pays ont des intérêts qu’ils veulent protéger. Les multinationales sont également impliquées. La responsabilité revient à la RDC de répondre favorablement au besoin de la communauté. 

Dans la sphère politique, concernant sa feuille de route 2022-2024, la CENI prévoit le 06 avril prochain, l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs. Après la succession des motions et destitutions de ceux-ci, quelles peuvent être vos recommandations pour ces prochaines échéances électorales ?  

Tatiana Mukanire : ce serait important de prioriser l’intérêt général plutôt que celui des partis politiques. Il va falloir également donner des voix aux femmes candidates pour faire valoir leurs compétences. Aussi, la CENI devrait intégrer les indépendants dans la course. Des femmes voudraient également prendre ce poste, mais au niveau de leurs partis, elles ne sont pas désignées en tant que candidates. 

Au niveau continental, la RDC est arrivée au terme de son mandat à la tête de l’Union Africaine. Quelles sont vos recommandations auprès du Sénégal qui a pris les commandes de cette institution ? Mais aussi à la RDC en tant que rapporteur ? 

Tatiana Mukanire : j’espère que ce mandat a pu répondre à certains plaidoyers menés au niveau du pays et au niveau du continent. En tant que survivantes, nos différents plaidoyers n’ont malheureusement pas abouti. Nous espérons la continuité du pouvoir. Nous allons finir par obtenir gain de cause. 

En justice, un militaire a été condamné à la servitude pénale principale pour avoir tué par balles son épouse, l’activiste Anne-Marie Buhoro dans le village de Minova au Sud-Kivu.En termes de caution pour les dommages, la justice a retenu l’équivalent en francs congolais de 25.000 $. Quel est votre point de vue au sujet de cette décision ?  

Tatiana Mukanire : j’ai un sentiment de satisfaction, bien que ce verdict ne nous rende pas Anne-Marie Buhoro en vie. Elle était un espoir pour plusieurs survivantes. Pendant ce procès, nous avons appris beaucoup de choses. Le capitaine Saleh a commis beaucoup de crimes partout où il est passé, à Minova y compris. Il est important que notre armée soit redynamisée. On y trouve des personnes nobles, celles qui font honneur et d’autres, qui font honte à nos vaillants militaires. Chaque jour, il y a beaucoup d’Anne-Marie qui sont battues par leurs partenaires. Il ne s’agit pas toujours d’un militaire. Mais le féminicide prend de plus en plus de place. Ce procès est un exemple où la justice peut être rendue à toute victime de ce type de violence. 

En économie,on observe une flambée des prix des produits agricoles sur le marché de Bandundu depuis le mois de janvier à cause notamment de la multiplicité des taxes. Quelle devrait être la réaction du gouvernement à ce sujet, selon vous ? 

Tatiana Mukanire : ce constat est fait dans plusieurs provinces du pays. Malheureusement, ces taxes ne sont pas souvent versées dans le trésor public. Au gouvernement d’évaluer la vie de la population (moins d’un dollar) et trouver des solutions adaptées. Notamment, exonérer certains produits agricoles pour encourager nos agriculteurs. 

En santé, le variant Omicron est en voie de disparition mais l’équipe de riposte se dit “préoccupée” par le faible taux de vaccination. Que faudrait-il à l’équipe pour augmenter le nombre des vaccinés ? 

Tatiana Mukanire : Il va falloir changer la stratégie de vaccination. Certains considèrent ce vaccin comme un poison. Personnellement, je suis vaccinée, mais plusieurs personnes se montrent encore réticentes. Il faut faire valoir les avantages de la vaccination, trouver une stratégie de communication. 

 Les 25 personnes mortes par électrocution au Marché de Matadi Kibala ont été enterrées le 11 février à Kinshasa. Cette nouvelle avait suscité de l’émotion au sein de la population au cours de la semaine dernière. Quelles sont vos recommandations pour prévenir de tels évènements ? 

Tatiana Mukanire : Ce sont des héroïnes. Tout ce qu’elles voulaient, c’est nourrir leurs foyers. Il est du devoir de la SNEL de toujours veiller à l’état des câbles. S’il y a eu cet accident, c’est parce qu’il y a une faute quelque part. Il va falloir que les responsabilités soient établies pour que prochainement ces actes ne se reproduisent plus. 

Un dernier mot ? 


Tatiana Mukanire : En tant que survivantes des violences sexuelles, nous attendons que la RDC reconnaisse le tort qui nous a été causé. Il est important qu’au nom de la Nation, le Chef de l’Etat puisse reconnaître les dommages qui nous ont  été causés et qu’il demande pardon. Je voudrais que justice nous soit rendue. 

Propos recueillis par Prisca Lokale