Affaire Matata : après la levée de ses immunités, l’ancien Premier ministre pourrait-il être poursuivi pour une affaire autre que celle pour laquelle les poursuites ont été autorisées ?

Matata Ponyo/Ph droits tiers

Il vous souviendra que c'est par une violation manifeste de la Constitution que le procureur près la Cour constitutionnelle a arraché la levée des immunités auprès du Bureau du Sénat contre l'ancien Premier ministre congolais. Logiquement toute la suite de la procédure devrait être considérée comme entachée de cette irrégularité congénitale, mais passons outre.

À considérer par absurde que la levée d'immunités était régulière, Matata Ponyo pourrait-il être poursuivi pour une affaire autre que celle pour laquelle les poursuites ont été autorisées ?

À en croire le Procureur près la Cour constitutionnelle oui.

Mais la jurisprudence et la doctrine semblent s'opposer à une telle interprétation.

En effet, de la jurisprudence même de la Cour constitutionnelle (Cour Suprême de Justice à l'époque), la levée des immunités parlementaires ne se limite pas à certaines infractions mais s'étend à toutes celles POUR LESQUELLES CETTE AUTORISATION AVAIT ÉTÉ SOLLICITÉE.

Cette interprétation se conforme en effet à la logique et à l'esprit de la notion d'immunités parlementaires, lesquelles visent davantage à garantir le bon fonctionnement de la chambre dont relève le parlementaire, que le parlementaire lui-même. C'est pour cela qu'il revient à cette institution uniquement le pouvoir d'autoriser les poursuites judiciaires d'un de ses membres. C'est notamment ce qui fait dire également que les immunités ne sont pas synonymes d'impunité.

Dans les affaires Matata Ponyo, le Sénat avait souverainement refusé de lever les immunités de celui-ci en ce qui concerne le dossier Bukanga-Lonzo. Cela ne signifiait pas qu'une nouvelle demande de levée des immunités, sur ce dossier ou sur un autre, serait juridiquement impossible.

C'est donc logiquement que le procureur près la Cour constitutionnelle a sollicité une levée des immunités pour un tout autre dossier, celui dit de la Zaïrianisation. Curieuses, ce dernier dossier mis de côté, le procureur près la Cour constitutionnelle entend poursuivre l'ancien Premier ministre Matata Ponyo sur le dossier Bukanga-Lonzo.

Cela est juridiquement problématique parce que la levée des immunités est relative. Relative parce qu'elle ne concerne que l'infraction pour laquelle cette levée a été sollicitée et accordée.

La levée des immunités parlementaires ne peut être in globo ni ad vitam æternam. Cela veut dire qu'elle est matériellement limitée et peut être temporellement limitée également.

Ainsi, une assemblée peut délivrer une autorisation limitée "en interdisant par exemple le renvoi devant une juridiction de jugement pour une infraction et en l'autorisant pour une autre" (Marc Uyttendaele, Trente leçons de droit constitutionnel, 3e éd. p. 329).

C'est dans cette perspective qu'en droit belge par exemple la suspension des poursuites peut être sollicitée par le parlementaire concerné, si on soupçonne que les poursuites sont intentées de manière "inconsidérée, irresponsable ou vexatoire ".

De même, une attitude ou un comportement qui frise l'arbitraire ou encore le retard mis par le parquet pour attraire le parlementaire devant une juridiction de jugement peut, dans certaines circonstances, amener l'assemblée concernée à s'interroger sur les intentions réelles des judiciaires au point de reconsidérer sa position pour révoquer l'autorisation des poursuites accordée.

Il nous faut évidemment poursuivre tous les criminels en redingote qui font perdre des millions à la République, mais DANS LE RESPECT DES LOIS.

Mon professeur de droit pénal nous répétait sans cesse que la procédure pénale est la température démocratique d'un État.

Les débats autour de cette saga judiciaire nous rappelle et nous fait constater "la tendance à accorder davantage de crédit aux thèses qui nous plaisent qu'à celles qui nous déplaisent. Sans aller y voir de près, nous adhérons spontanément aux vérités qui répondent à nos vœux, rejetant les autres d'un revers de la main. Gouvernés par nos émotions, notre feeling, nous prenons nos désirs pour des réalités. Et tant pis pour les faits et les arguments qui viendraient à nous démentir " (Étienne Klein, Le Goût du vrai, Gallimard 2020, pp. 4-5). Mais ", puisse la science toujours demeurer fidèle à elle-même et ne tolérer sous aucun prétexte, fut-il le plus noble, que la pure vérité cessa d'y trouver un asile" (Jean Rostand).

Félix Omanemba,

Chercheur en droit public