Le choix de déclarer ou d’ autoriser le régime d’exception d’état d’urgence, pour prendre ou proroger des mesures d’urgences sanitaires s’avère inapproprié inutile et inopportun

ACTUALITE.CD

Dans sa mission pédagogique et sa participation à la construction de la démocratie, ACTUALITE.CD donne la parole aux scientifiques, acteurs de la société civile et autres experts pour commenter et surtout expliquer l’actualité. Vous êtes professeur, vous avez déjà publié un ouvrage sur votre domaine d’expertise, vous pouvez soumettre gratuitement votre tribune pour publication sur ACTUALITE.CD. Envoyez vos textes à [email protected]  

La rédaction vous propose cette tribune de Me Papis TSHIMPANGILA, Avocat au Barreau de Bruxelles et Conseil à la Cour Pénale internationale.

Le choix du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement, de déclarer ou d’autoriser le régime d’exception d’Etat d’urgence, pour prendre ou proroger des mesures d’urgences sanitaires, s’avère inapproprié, inutile et inopportun d’autant plus que cette procédure est lourde des conséquences juridiques, institutionnelles et politiques.

Il est nécessaire de rappeler qu’en date du 18 mars 2020, le Chef de l’Etat a pris des mesures pour endiguer la propagation de la pandémie du coronavirus. Certes, ces mesures portant atteinte à la libre circulation des personnes, aux libertés individuelles et à la liberté d’entreprendre (interdiction des vols, interdiction des regroupements de plus de 20 personnes, fermeture des écoles, des discothèques, des églises…).

Toutes ces mesures ont précédé la proclamation de l’état d’urgence sanitaire faite par le Chef de l’Etat en date du 24 mars 2020 et elles ont été prises en vertu des prérogatives ordinaires du Président de la République et du Gouvernement indépendamment de l’état d’urgence au sens constitutionnel.

Lors de son adresse du 24 mars 2020, proclamant l’état d’urgence, le Chef de l’Etat a formalisé les mesures antérieures à travers l’Etat d’urgence sanitaire au sens constitutionnel.

D’où la question suivante : Etait-il nécessaire de recourir à la procédure constitutionnelle d’état d’urgence pour maintenir ou prendre de nouvelles mesures urgentes sanitaires ?

Pour mieux cerner la problématique, il faut faire une distinction entre les mesures urgences sanitaires (Etat d’urgence sanitaire) et le régime d’exception de l’Etat d’urgence tel que défini par la constitution.

1)   Etat d’urgence constitutionnel

Parmi les pouvoirs de crise prévus par notre constitution, il est reconnu au Président de la République des pouvoirs exceptionnels de proclamer l’Etat d’urgence. (Art 85 de la Constitution).

L’absence d’une loi sur les modalités d’application de l’état d’urgence due à la carence récurrente du législateur, nous conduit à limiter notre analyse en se basant sur le prescrit le constitutionnel et le droit comparé.

Il ressort de l’article 85 de la constitution que le Président proclame l’état d’urgence (ordonnance non soumise au conseil des ministres), lorsque des circonstances graves :

-     menacent immédiatement l’indépendance ou l’intégrité du territoire national,

ou provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions.

Le président peut prendre toutes les mesures exigées par ces circonstances, le cas échéant au mépris même du principe de la séparation des pouvoirs. Il peut prendre des mesures qui relèvent normalement de la compétence du Parlement ou du gouvernement, il peut restreindre les libertés individuelles, les droits civiques et politiques, il s’agit d’une véritable dictature présidentielle exceptionnelle, nécessaire au regard des circonstances.

Ces mesures doivent être prises par ordonnance distincte de celle de la proclamation de l’état d’urgence puisqu’elles sont délibérées en conseil des ministres contrairement à celle proclamant d’état d’urgence.

C’est pourquoi, le constituant a voulu encadrer cette dictature présidentielle exceptionnelle, en amont, pendant et en aval.

En amont, il ressort de la constitution deux exigences préalables avant la proclamation de l’état d’urgence, à savoir, d’une part, l’autorisation préalable du parlement réunis en Congrès ( Art.119 al.2), et d’autre part, la concertation préalable du Président avec le Premier Ministre et les présidents de deux chambres du Parlement ( Art.85 al.2).

Le constituant n’a voulu qu’une décision aux lourdes conséquences puisse être prise seule par le Président de la République. C’est pourquoi, il a associé les autres chefs des institutions qui doivent être informés (concertation préalable), et que le peuple par la voie de ses mandataires puisse autoriser cette décision (autorisation préalable du congrès).

S’il est vrai que le dernier arrêt de la cour constitutionnelle du 13 avril 2020 a estimé conforme à la constitution l’ordonnance du Président de la République proclamant l’état d’urgence, il en demeure pas moins que le dispositif de cet arrêt précise ce qui suit « que la cour déclare le caractère dérogatoire à la constitution l’arrêt n°20/014 du 24 mars 2020 et confirme sa légalité exceptionnelle).

Il ressort clairement de cet arrêt que la cour constitutionnelle accorde la légalité exceptionnelle à l’ordonnance du Chef de l’Etat. En droit, le principe de légalité exceptionnelle se définit comme étant « une théorie jurisprudentielle en vertu de laquelle, l’administration est autorisée à ne pas se conformer strictement à la légalité ; il n’y a circonstances exceptionnelles que lorsque du fait d’une situation anormale, particulière, l’administration n’est plus à même de remplir sa mission dans le strict respect de la loi » (Les limites au principe de légalité en période exceptionnelle, cours-de –droit.net).

Dans le cas d’espèce, étant donné la pandémie covid-19 (situation anormale) et devant l’absence de la loi sur les modalités d’application de l’état d’urgence (vide juridique), la Cour ne pouvait qu’accorder à l’ordonnance du Président une légalité exceptionnelle, nonobstant que la règle doit rester celle du régime de l’autorisation préalable du congrès ( art 119 de la Constitution) au risque de vider cette disposition constitutionnelle de toute sa substance.

Pendant la période d’état d’urgence, le constituant a mis des limites au pouvoir dictatorial du Chef de l’Etat. L’article 61 de la constitution énumère les droits et principes fondamentaux auxquels le Président ne peut déroger (droit à la vie, liberté de pensée et de religion…).Par ailleurs, le constituant a soumis les mesures prises par le Président, sur ordonnances délibérées en conseil de ministre, à un contrôle de constitutionalité dès leurs signatures, par la cour constitutionnelle (Article 145 de la Constitution).

En aval, le constituant n’a pas voulu laisser seul au Président de la République l’initiative de la prorogation de l’état d’urgence qui est limité à 30 jours. Le Président agit sur décision du conseil de ministres, contrairement à la déclaration d’état d’urgence où il agit seul, d’une part et d’autre part, il demande l’autorisation à chacune des chambres du Parlement, seul organe habilité à autoriser la prorogation (Art.144,al 5 de la Constitution).

Mesures urgentes sanitaires ou Police de la Santé Publique

Il échet de rappeler que le Président proclame l’état d’urgence si les circonstances graves menacent, de manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national, ou provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions

La question du déclenchement de l’état d’urgence doit être soulevée.

La propagation du covid 19 , constitue t-il un péril imminent qui menace notre indépendance ou l’intégrité du territoire dans l’immédiat ?

Ou constitue t- il un événement, présentant par sa nature une calamité publique qui interrompt immédiatement le fonctionnement régulier de nos institutions ?

La notion de calamité publique englobe des phénomènes dévastateurs comme les tremblements de terre, cyclones, raz de marrée, irruption volcanique..). Tous ces troubles sont de nature à favoriser immédiatement des troubles additionnelles à l’ordre public comme des pillages, ce qui justifierait l’état d’urgence.

La pandémie devient incontrôlable et atteint le seuil de calamité publique , lorsque les hôpitaux sont débordés, eux-mêmes vidés de leurs personnels atteints, les flux des marchandises cassés , les vols se propagent… la sécurité est menacée au même titre que la santé. ( Patrick Zylberman, Crises sanitaires , crises politiques , Revue de la santé publique en France 2012/1 ) .

Dans le cas d’espèce, il est certain que le covid 19 n’a pas menacé l’intégrité de territoire ou n’a pas interrompu de manière immédiate le fonctionnement régulier des institutions. Toutes les institutions de la République fonctionnent ( Le président continue à prendre des ordonnances ( création des agences ) , la justice fonctionne (arrestation de Kamerhe), le gouvernement fonctionne ( tenue des conseils de ministres ), parlement siègent même si certains réaménagements ont été faits suite à des impératifs de protection de santé publique.

L’état d’urgence est un instrument de rétablissement de la sécurité publique alors que l’urgence sanitaire est une mesure de protection de la santé publique.

Les mesures de protection de santé publique sont d’ordre purement sanitaire (mise en quarantaine, port des masques, distanciations sociales ….) , d’une part et d’autre part, elle relèvent des mesures exceptionnelles de police administrative.

(Restreindre la circulation des personnes, éviter les regroupements de plus de 20 personnes, mesures dérogeant à la liberté d’entreprendre, fermeture des bars, églises…).

Toutes ces mesures ne nécessitaient pas de déclarer l’état d’urgence constitutionnel, régime d’exception. Elles pouvaient être prises dans le cadre des prérogatives ordinaires du Président de la République (Garant du bon fonctionnement des institutions, Art. 69 de la constitution) , du gouvernement central ( conduit la politique de la nation , Art.91 de la constitution) et même des gouverneurs de Province ou des maires pour les mesures de police administrative tel que le confinement de la Gombe ( loi organique n°11/013 du 11/08/2011 portant organisation et fonctionnement de la police nationale Congolaise).

Cette confusion est certaines due  dans l’emploi du terme « Etat d’urgence sanitaire ».

S’il est vrai que beaucoup des pays ont déclaré l’état d’urgence sanitaire, mais il convient de préciser, qu’ils n’ont pas recouru au régime d’exception constitutionnel de l’état d’urgence pour prendre des mesures d’urgence sanitaire. ( France, art. 16 de la constitution ; Espagne «  estado de excepcion » .art 116 de la constitution ; Portugal » estado de emergência » art.19 de la constitution ; Suisse , art.61 de la constitution fédérale ; Royaume-Uni «  emergency Powers » , art.19 de la loi du 18/11/2004 relative à la sécurité Publique …).

Aucun de ces pays n’a déclenché le régime d’exception constitutionnel d’état d’urgence mais ils se sont basés sur les prérogatives ordinaires de leurs gouvernements respectifs ou sur des lois particulières de police de santé publique (la France qui s’est appuyée sur le code de santé publique).

En toute état de cause , force est de constater que durant cette période de régime exceptionnel d’état d’urgence , le Président de la République n’a pris aucune mesure qu’il n’aurait pu prendre en vertu de ses prérogatives ordinaires constitutionnelles ou celles du gouvernement .

Le choix du Président de République, du Gouvernement et du Parlement, de déclarer ou d’ autoriser le régime d’exception d’état d’urgence, pour prendre ou proroger des mesures d’urgences sanitaires s’avère inapproprié , inutile et inopportun d’autant plus que cette procédure est lourde des conséquences juridiques , institutionnelles et politiques .

Me Papis TSHIMPANGILA

Avocat au Barreau de Bruxelles et Conseil à la

Cour Pénale internationale.