Avocate de profession, Elodie Nsimire Muzigirwa préside l’association de défense des droits des patients (ADP Asbl). Depuis 2016, cette organisation milite pour un accès égal aux soins de santé de qualité. Interview
Bonjour Madame et merci de répondre à nos questions. Parlez-nous de votre association, quelle a été votre principale motivation pour la mettre en place ?
Elodie Muzigirwa : la principale motivation c’est l’indignation. Nous nous sommes indignés contre la situation des malades en RDC. Notre pays a souscrit aux lois, aux instruments juridiques internationaux mais, qui souffrent encore d'effectivité. Le droit à la santé n’est pas garanti en dépit de l’article 47 de la Constitution. Ne bénéficie actuellement de l’accès aux soins de santé de qualité que les officiels congolais et leurs dépendants ou les personnes d’une classe sociale très élevée.
A travers cette association, quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
Elodie Muzigirwa : nous avons pour objectifs de remettre le patient au centre de la politique de santé dans notre pays, de plaider et garantir l’accès aux soins de santé de qualité pour tous, dans la dignité et le respect des droits humains. Ce qui veut dire que tout citoyen congolais, peu importe le lieu où il se trouve, peu importe son rang social soit en mesure de bénéficier des soins de santé de qualité. Et pour que cela soit effectif, il faudrait que l’Etat réunissent tous les moyens possibles.
Comment êtes-vous organisé ?
Elodie Muzigirwa : nous avons un comité, des membres effectifs et des membres sympathisants. Nous avons des conseillers juridiques, et des experts en santé, des conseillers dans le domaine de santé publique. Actuellement, nous avons des points focaux au Nord et Sud Kivu. Nous sommes aussi en collaboration avec certaines organisations des droits humains avant de nous installer effectivement dans les provinces. Notre ambition est de nous implanter dans toutes les provinces de la RDC.
Dans un sondage effectué à Kinshasa, vous avez relevé plus de 30 % de cas des patients décédés par négligence du corps médical et seulement 6 % de personnes qui portent
plainte ou exigent réparation. Selon vous, qu’est ce qui explique cet écart entre le nombre des patients décédés et le recours à la justice ?
Elodie Muzigirwa : beaucoup de facteurs. Le premier, c’est l'indignation. De part sa nature, l’homme congolais n’est pas habitué à s’indigner. Il se complait parfois au mal. Le deuxième facteur est l’ignorance. Les citoyens ne savent pas qu’ils ont des droits à revendiquer auprès du personnel de santé ( Pour un mauvais diagnostic, passer une journée entière pour attendre une consultation, le retard dans la prise en charge d’une femme enceinte à terme…). Le troisième facteur, c’est la lenteur de la justice. Et en quatrième position, il y a une influence des croyances religieuses, certaines personnes attribuent toute mort à la volonté de Dieu ou aux mauvais sorts.
Comment avez-vous procédé pour enregistrer ces cas à travers la ville ?
Elodie Muzigirwa : en ce qui concerne la première enquête, nous avons élaboré un questionnaire que nous avons fait circuler dans les universités, les milieux professionnels, dans les structures sanitaires et dans les rues de Kinshasa. Nous avons rencontré les personnes de tous les domaines et nous avons récolté ce qu’elles pensaient de la prise en charge, de l’accueil, de tout le personnel médical.
Sur une échelle de 0 à 10, à quel niveau situez-vous la prise en charge dans les hôpitaux de Kinshasa ?
Elodie Muzigirwa : ma réponse est en moyenne 3
Selon vous, d’où provient l’obstacle dans la prise en charge adéquate des patients à Kinshasa ?
Elodie Muzigirwa : trois éléments favorisent ce blocage. Le coût des soins , le contrôle ou la régulation du secteur de santé et les facultés de médecine. En ce qui concerne le premier point, l'accès aux soins de santé reste conditionné et limité par la situation sociale et économique du malade. En deuxième lieu, le déficit dans la régulation donne l’occasion à certaines personnes d’ouvrir des centres de santé sans être reconnus par l’ordre des médecins, sans avoir été dans une école de médecine. Et pourtant, il y a des services habilités au contrôle et à la régulation des structures de santé à Kinshasa (Notamment, l’inspection à la santé au secrétariat général du ministère de la santé, la zone de santé.). Les facultés de médecine sont également responsables parce que les rapports des enquêtes et recherches prouvent que 80 % de décès sont liés aux erreurs médicales, aux mauvais diagnostics et les dommages liés aux médicaments. Nous avons près de 110 universités au Congo qui organisent les facultés de médecine et seulement une dizaine respectent les normes d’ouverture de cette faculté telles que les bibliothèques, les cliniques universitaires, les laboratoires. Bon nombre de médecins n’ont pas été bien formés.
Quels sont les éléments qu’il faudrait améliorer pour vaincre ce fléau ?
Elodie Muzigirwa : il faut assainir le secteur de la santé: du point de vue des ressources humaines, des structures sanitaires et des médicaments. Il y a des réglementations qu’il faut faire observer. Deuxième chose, le pays s’est engagé dans la couverture sanitaire universelle, c’est à dire qu’il faut briser les barrières financières. Dans tous les discours du chef de l’Etat, il ne manque pas un point qui aborde la couverture en santé universelle. Il n’y en aura pas avec des inégalités d’accès aux soins de santé. On aimerait bien avoir un ministre qui se fait soigner à Mama Yemo. Si les conditions sont améliorées, les soins seront garantis. Aussi, le patient doit comprendre son rôle, il doit d’abord s’indigner pour qu’il y ait changement.
Travaillez-vous en partenariat avec d’autres associations ? Lesquelles ?
Elodie Muzigirwa : jusque là, nous avons entamé la collaborations avec des ONG de défense des droits des patients dans certaines provinces avant de nous étendre à travers la République. Nous sommes également en contact avec l’Ecole de santé publique pour les formations, avec certaines directions du programme de santé tel que le Programme national de lutte contre la Paludisme (PNLP), la plateforme promotrice de la mutuelle de santé. Nous allons dans certains hôpitaux pour la sensibilisation, nous écrivons aussi à l’ordre national des médecins lorsqu’un médecin est accusé.
Quel type d’accompagnement, votre association propose-t-elle victimes ?
Elodie Muzigirwa : nous les écoutons d’abord, nous dénonçons, nous proposons un accompagnement juridique pour les dossiers qui nécessitent cette démarche. Pour d’autres plaintes, nous proposons une sensibilisation, une conciliation pour que le malade ou les membre de famille comprennent qu’il n’y a pas eu erreur, jusque là, nous ne proposons pas encore un accompagnement financier. Nous avons au moins 4 dossiers en justice actuellement.
Comment avez-vous été saisi pour le dossier de Mama Lydia et le centre médical Diamant ?
Elodie Muzigirwa : nous avons été saisi par un citoyen qui connaît notre association. Nous sommes entrés en contact avec la famille Bikoro, nous avons eu des informations et nous avons entamé une procédure judiciaire le lendemain du décès de Madame Lydia. Il y a eu un décès qui aurait pu être évitée. Nous voulons que les responsabilités soient établies dans ce dossier et que justice soit faite pour la cause d’un patient.
Un dernier mot ?
Elodie Muzigirwa : il n’y aura pas de couverture en santé universelle aussi longtemps que les officiels congolais, président de la République, le premier ministre, les ministres, les mandataires iront se faire soigner uniquement à l'Étranger. En 2018, c’était environs 25.000.000 de dollars américains pour les soins à l'Étranger. Il n’y aura pas de couverture en
santé universelle sans la sécurité des patients. Et l’état doit mettre toutes les questions évoquées ci-haut sur table afin que ce voeux de couverture en santé universelle soit effective.
En outre, ADP Asbl a un siège à Kinshasa sur 4955, avenue Kalume Quartier Royal, Commune de la Gombe. L’Association de défense des droits des patients fait également des émissions télévisées et radiophoniques. Pour enregistrer des plaintes, contacter le (+243) 0812987010.
Propos recueillis par Prisca Lokale