Chronique Droits des Femmes - Harcèlement sexuel en milieu professionnel en RDC : Comment se défendre face à l’impunité ?

Photo/ Droits tiers
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En République démocratique du Congo, de nombreuses femmes actives sur le marché du travail sont confrontées, souvent dans le silence, au harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Cette forme de violence, parfois banalisée ou minimisée, est pourtant clairement interdite par la législation congolaise. Alors pourquoi tant de victimes se taisent-elles encore ? Quelles protections leur offre réellement le droit congolais ? Et surtout, que faire pour briser le cycle de l’impunité ?

Selon Maître Clarisse Ngoya, avocate spécialisée en droit du travail, le harcèlement sexuel se manifeste dans tous les secteurs : entreprises privées, administrations publiques, ONG, établissements scolaires… Il prend des formes diverses : gestes déplacés, remarques à connotation sexuelle, avances insistantes, chantage à l’embauche ou à la promotion, voire agressions physiques.

« Ces comportements créent un environnement de travail hostile et dégradant, qui pousse certaines femmes à démissionner ou à se replier sur elles-mêmes », explique-t-elle. 

Elle souligne que la peur des représailles, le silence du milieu professionnel, l'absence de mécanismes efficaces de signalement, ainsi que le manque d’information sur les droits existants freinent considérablement les démarches des victimes..

Pourtant, explique l’avocate, la loi congolaise interdit formellement le harcèlement sexuel au travail. Plusieurs textes encadrent cette problématique, notamment : 

- La Constitution de 2006, en son article 14, impose à l’État de garantir l’élimination de toutes les formes de violences faites à la femme, y compris en milieu professionnel.
- ⁠Le Code du travail congolais, modifié en 2016, définit clairement le harcèlement sexuel. En son article 123 ter, il stipule :

« Constitue une faute grave tout acte de harcèlement sexuel exercé par un employeur ou un supérieur hiérarchique sur un travailleur, dans l’intention d’obtenir de celui-ci des faveurs de nature sexuelle. »

- Le Code pénal congolais, en son article 174m, incrimine également le harcèlement sexuel, le qualifiant d’infraction passible de 1 à 5 ans de prison et d’amendes allant jusqu’à 200 000 francs congolais.

La responsabilité des employeurs : prévenir, protéger, agir

Face à cette situation, Maître Ngoya insiste sur le rôle essentiel de l’employeur :

« Le législateur impose une obligation de prévention, de protection et de réaction. Chaque employeur, public ou privé, doit impérativement :
- Intégrer dans le règlement intérieur une interdiction explicite du harcèlement sexuel ;
- ⁠Sensibiliser régulièrement le personnel au respect de l’intégrité physique et morale de chacun ;
- ⁠Prendre des sanctions appropriées à l’encontre des auteurs, qu’ils soient collègues, supérieurs ou même clients ;
- ⁠Mettre en place un mécanisme interne de plainte, confidentiel et accessible à tous. »

En cas de négligence ou de complicité, l’entreprise peut être poursuivie et tenue responsable devant les juridictions compétentes.

Quels recours pour les victimes ?

Les femmes victimes de harcèlement sexuel disposent de plusieurs voies de recours, explique l’avocate :
- En interne : signaler les faits aux ressources humaines, à l’inspection du travail ou au comité de discipline, si ce dernier existe.
- ⁠Par voie judiciaire : porter plainte auprès du parquet, avec ou sans avocat, en s’appuyant sur les articles du Code pénal. Par ailleurs, une action peut être engagée devant le tribunal du travail pour obtenir réparation.

Des freins persistants : peur, isolement et stigmatisation

Malgré l’existence des lois, Me Ngoya constate que peu de victimes osent dénoncer les faits. La crainte de perdre leur emploi, d’être discréditées ou isolées est fréquente, notamment lorsque l’auteur détient une position de pouvoir.

Elle ajoute :

« Le droit protège les femmes, mais dans la réalité, beaucoup se résignent, faute de soutien ou par peur des représailles. Le changement passera par une politique de tolérance zéro et une justice qui montre l’exemple. La difficulté de prouver les faits en l’absence de témoins ou de preuves matérielles complique davantage les démarches ».

Comment faire appliquer la loi?

Pour l’avocate, une lutte efficace contre le harcèlement sexuel repose sur des actions concrètes :
- Former les employeurs et responsables hiérarchiques à la prévention des violences sexistes ;
- ⁠Mettre en place des comités d’éthique dans toutes les entreprises de plus de 10 salariés ;
- ⁠Renforcer les capacités des inspections du travail, souvent sous-dotées ;
- ⁠Déployer des campagnes d’information en langues locales pour sensibiliser les femmes à leurs droits ;
- ⁠Assurer une assistance juridique gratuite aux victimes et;
- ⁠parler pour se défendre

« Rester professionnel ne signifie pas se taire face aux abus. Les femmes congolaises ont le droit d’évoluer dans un environnement de travail respectueux, libre de toute forme de violence sexuelle. Le harcèlement sexuel est une faute grave, une infraction pénale et une atteinte à la dignité humaine », affirme Me Ngoya.

Et de conclure :

« Comme le rappelle la Constitution congolaise, l’égalité entre les hommes et les femmes ne doit pas être théorique, mais réelle. Cela nécessite une application rigoureuse des lois et un profond changement culturel. Le harcèlement sexuel n’est pas une affaire privée. En parler, c’est déjà se défendre. »

Nancy Clémence Tshimueneka