Lisapo Film Lab : quand des cinéastes en résidence remettent leurs projets au laboratoire

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Résidence Lisapo Film Lab

Débutée depuis le 5 mars, la résidence de 6 semaines de 10 cinéastes sélectionnés dans le cadre du Lisapo Film Lab tend vers sa fin. Dans un quartier calme de la commune de Limete, loin du tumulte de la ville de Kinshasa, les films et les réflexions sur les projets à venir rythment la vie de ces artistes. Le temps est aussi partagé avec des formateurs qui brossent les détails les plus complexes de tous les projets, de l’écriture des scénarios à la distribution jusqu’à aborder toutes les étapes de la production.

L’objectif est d’éviter que le développement d’un projet reste un “fardeau personnel” pour l’auteur en l’absence d’un producteur. Une expérience positive pour Gustave Fundi qui n’a toujours pas vécu une telle opportunité en RDC, ce qui lui a permis d’améliorer son projet.

« Ça m’a boosté, ça m’a permis d’apprendre de nouvelles choses, de revoir ce que j’avais conçu depuis plusieurs années qui avait encore des failles. Ça m’a permis de mieux revoir mon récit, de disséquer et de reconstruire d’une manière efficace », explique-t-il à ACTUALITE.CD

Primo Mauridi retient pour sa part une transformation profonde dans sa démarche artistique. L’expérience, selon lui, a bouleversé ses repères et enrichi son processus créatif.

« Mon expérience est unique. Elle m’a permis d’adapter une autre méthode dans le processus de création d’un film. On a touché plusieurs points essentiels qui sont devenus nouveaux par rapport à la méthode que j’utilisais avant dans ma création », dit-il.

Pour Bryan Batupe, également bénéficiaire de cette formation, le travail d’écriture cinématographique est comparable à une opération de haute précision. Il insiste sur l’importance de l’analyse approfondie de chaque projet, avec une rigueur quasi médicale.

« Nous sommes comme des infirmiers qui traitent des maladies. Nous sommes vraiment pour prendre tous les projets en squelette comme dans une opération à l’hôpital. On est là pour chercher ce qui est à l’intérieur avec la nécessité de ne pas faire d’erreur sinon c’est la mort. Nous cherchons chaque détail des choses, ça pousse nos mentalités plus loin », a-t-il confié.

Restructuration des films 

La résidence permet aux participants de déconstruire leur projet initial pour mieux le reconstruire, avec rigueur et cohérence. Encadrés par des formateurs aux approches complémentaires, les cinéastes ont repensé la structure narrative, le développement des personnages et la chronologie de leurs films et bien d’autres aspects. 

Luise Rubi a mis l’accent sur la caractérisation des personnages du début à la fin, pendant qu’Olivier Loustau a conduit une réflexion sur le scénario, en insistant sur le “pourquoi et le pourquoi pas”, selon une logique d’action-réaction. Un autre formateur viendra, quant à lui, recentrer l’attention sur la chronologie du film, pour assurer un fil narratif cohérent et fluide ; pour ne citer que ceux-là.

Ce travail de fond a profondément transformé le film long métrage “Nkishi”, porté par Gustave Fundi. Il a repensé la dynamique entre son protagoniste, les personnages secondaires et l’antagoniste. 

« La structuration de mon personnage principal qu’on appelle protagoniste, d’autres personnages secondaires et l’antagoniste. J’ai développé ce côté caractérisation, j’ai simplifié ma narration car elle était un peu complexe. J’ai recommencé en recyclant ce qui était prévu », explique-t-il.

Le scénario, initialement basé sur la recherche de cinq masques, s’est recentré sur un seul, renforçant la tension dramatique. Le protagoniste, autrefois étudiant en Europe, devient un jeune entrepreneur revenu au pays après dix ans passés en Belgique. Ce changement de perspective plonge le récit dans une réalité plus proche du vécu congolais, tout en explorant les enjeux identitaires et culturels profonds.

Même les projets les plus expérimentaux ont trouvé un cadre pour se structurer. Primo Mauridi, avec son film court métrage “Ngozi avec surface”, a pu articuler son récit autour d’un questionnement sur la mémoire inscrite dans le corps. Film organique et sensoriel, “Ngozi avec surface” s’interroge sur la peau comme archive vivante. À travers la résidence, il a trouvé une méthode hybride qui allie rigueur et liberté. 

« Cette résidence fait le pont entre la méthode classique et connue de tout le monde pour réaliser un film à une méthode que je dirai rebelle. Mélanger les deux crée une harmonie et ça me permet de continuer à entrer dans un processus rapide pour aboutir à une œuvre qui va inciter les esprits critiques des spectateurs et la communauté », affirme-t-il.

Quant à Bryan Batupe, il a réalisé qu’un film n’est jamais prêt tant que chaque élément n’a pas été interrogé. Son projet de court métrage “Mokano”, centré sur un adolescent technophile confronté à un héritage mystique, a connu une réelle maturation.

« Je pensais que c’était une histoire déjà écrite prête à être tournée. Je me suis rendu compte après qu’il avait des choses à modifier », reconnaît-il.

Grâce à un travail approfondi sur la caractérisation des personnages, leur passé, leur présent et leur transformation au cours de l’histoire, le récit a gagné en profondeur. Entre statuette électrique, science et transmission ancestrale, Mokano explore les tensions entre deux mondes qui se percutent.

Une résidence qui redonne souffle au cinéma 

Cette résidence se veut un jalon dans la quête d’une véritable industrie du 7ème art en RDC. Pour les participants, elle n’est pas simplement un cadre de travail, mais une réponse concrète aux attentes longtemps portées par les cinéastes locaux. Gustave Fundi voit en cette initiative une véritable opportunité de transformation du paysage cinématographique congolais.

« Plusieurs personnes et personnalités devaient venir voir ce qui se passe ici. C’est une opportunité en or pour les cinéastes qui sont à la recherche d'opportunités. J’espère que cette première édition ouvrira les yeux de plusieurs et que plusieurs jeunes s’y mettront. J’espère voir plusieurs autres éditions pour que le cinéma congolais arrive à trouver son identité dans le monde et dans l’industrie cinématographique mondiale mais aussi dans la culture populaire », a-t-il dit.

Ce souffle nouveau, Primo Mauridi le qualifie de vital. À ses yeux, la résidence vient combler un vide criant dans l’accompagnement artistique et professionnel des créateurs.

« Cette résidence représente une source d’eau au milieu d’un désert parce que ça fait très longtemps qu’au Congo, il n’y avait pas de gens qui accompagnent les créateurs dans le secteur du cinéma. Réécriture, rencontre avec les cinéastes qui viennent de différents coins du pays, réfléchir aux moyens de trouver des financements, c’est rare. C’est une initiative à encourager et soutenir », indique-t-il.

Pour Bryan Batupe, cette dynamique marque un point de départ décisif. Enraciné dans une formation artistique solide, il appelle à la consolidation de cette base par des politiques d’industrialisation du secteur. 

« Cette résidence est une forme de marche d’un bébé. Il faut qu’on puisse avoir l’industrialisation du cinéma dans notre pays. On a tant d’histoires à raconter mais sans la possibilité. Le cinéma peut intervenir dans la transmission d’une culture. Ceux qui peuvent en faire quelque chose pour que le cinéma puisse avancer, c’est le moment de faire quelque chose », 

Étudiant en fin de cycle en cinéma et photographie à l’Académie des Beaux-Arts, il souligne également le rôle des institutions éducatives dans l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs dotés d’une vision artistique affirmée.

Résidence Lisapo Film Lab, une première mais pas une dernière

Lisapo Film Lab a lancé cette résidence depuis plus d’un mois avec la participation des auteurs des 10 projets qui ont été sélectionnés pour un perfectionnement afin d’aboutir. Ce laboratoire d’écriture et de développement de projets cinématographiques, initié par Emmanuel Lupia, ambitionne d’accompagner ces jeunes talents en leur offrant un cadre propice à la création, du scénario à la production.

Pour cette édition pilote, le programme s’est concentré exclusivement sur la République démocratique du Congo, avant de s’ouvrir à l’Afrique centrale dès la deuxième édition. 49 projets ont été soumis, mais seuls 8 ont été retenus après une sélection rigoureuse basée sur leur qualité artistique, la pertinence des sujets et l’expérience des auteurs.

Dans cette sélection, on retrouve 5 projets issus du Lisapo Film Lab – deux séries et trois longs métrages –, ainsi que trois courts métrages repérés grâce au Fickin Film Industrie. Par ailleurs, deux femmes ont été ajoutées au programme, afin de garantir une plus grande représentativité féminine.

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Kuzamba Mbuangu