Le protocole d’accord signé le 19 février entre l’Union Européenne (UE) et le Rwanda pour favoriser le développement de chaînes de valeur "durables" et "résilientes" pour les matières premières, aussi appelées minerais des conflits ou de sang, ne cesse de susciter des réactions dans l'environnement sociopolitique congolais. Dans un communiqué rendu public le mercredi 21 février 2024, l'ancien candidat à la Présidence de la République, Dénis Mukwege Mukengere, s'est montré critique envers les autorités de l'Union européenne, estimant que le comportement de l’exécutif européen atteint non seulement le paroxysme du cynisme en matière de géostratégie, mais s’illustre également dans une politique de double standard qui mine la crédibilité des institutions internationales.
"Alors que la crise sécuritaire et humanitaire qui sévit dans les Kivus s’est encore sérieusement aggravée depuis la résurgence du groupe armé M23, qui opère de concert avec le soutien direct de l’armée rwandaise dans le cadre d’une énième guerre d’agression et d’occupation sur le territoire congolais, la politique de la Commission européenne et le renforcement de ce partenariat stratégique avec le régime dictatorial de Kigali apparaissent en totale contradiction avec le principe de cohérence et les valeurs fondamentales de l’UE, notamment la promotion de la paix et des droits humains, qui devraient être, conformément aux Traités européens, des objectifs fondamentaux dans ses relations extérieures", a souligné Dénis Mukwege Mukengere, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2018.
Il a ajouté : "C’est dans ce contexte que nous réitérons notre appel lancé à Strasbourg en 2014 à l’occasion de la remise du Prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de pensée, de veiller à assurer davantage de cohérence entre les politiques économiques et le respect des droits de l’homme, et à placer la dignité humaine au centre des préoccupations économiques et financières, et exhortons les institutions et les pays européens à rendre effectif et contraignant le règlement de l’UE sur le devoir de diligence pour les chaines d’approvisionnement des minerais, entré en vigueur en 2021 et pourtant largement détourné par des filières opaques d’approvisionnement transfrontalier entre la RDC et le Rwanda".
À défaut, a noté le Docteur Dénis Mukwege Mukengere, la transition énergétique dite verte et propre restera rouge du sang des femmes et des enfants congolais et salie par les activités criminelles des groupes armés. "Nous aspirons à ce que les citoyens européens épris de paix et de justice sociale entendent cet appel et changent le cap lors des prochaines élections en juin 2024", a-t-il espéré.
Le conflit qui perdure à l’Est de la RDC depuis presque 30 ans, qui est le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale, est principalement économique, et le lien entre l’exploitation et le commerce illégal des minerais est reconnu comme une cause profonde de la violence et de graves violations des droits humains, et l’implication du Rwanda dans la déstabilisation de la RDC, le pillage de ses ressources naturelles et minières et la commission des crimes les plus graves, notamment le recours aux violences sexuelles comme méthode de guerre et comme stratégie de terreur, est largement documentée, notamment par les Nations Unies.
À Kinshasa, l'opinion publique s'interroge sur comment l'UE peut signer ce genre d'accord déjà conclu avec la RDC, pour le faire encore avec le Rwanda qui a ses troupes en RDC en appui aux rebelles du M23 en violation de tous les textes légaux internationaux et de la souveraineté de la République Démocratique du Congo. Pour les Congolais, l'Union européenne, qui se veut gardienne des valeurs universelles de paix, de démocratie, et du respect des droits de l'Homme, vient d'afficher un visage de complicité avec les agresseurs de la RDC en signant ce protocole d'entente sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières critiques et stratégiques avec le gouvernement de Paul Kagame.
Clément MUAMBA