Au sujet de la proposition de loi dite « Loi Mbau »: Entre évolution et révolution

Le député Daniel Mbau/Ph. Droit tiers

Par

Eddy Mwanzo Idin ‘Aminye

PROLEGOMENES

Nombreux ont entendu et prennent part au débat sur la proposition de loi Mbau mais peu l’ont déjà lu. Beaucoup sont aussi ceux qui pensent que cette proposition de loi ne traite que de problème de la dot et des fiançailles. Loin s’en faut. En réalité, la proposition de loi Mbau aborde plusieurs matières dont les principales sont celles relatives à la polygamie, à la dot, au divorce, aux fiançailles et au droit international privé.

Nous nous proposons ici à les commenter. Pour une meilleure lecture nous les commenterons en formes des 6 leçons. I. Débat sur la polygamie ; II. Mot sur le contenu des règles de droit international privé III. Débat sur la dot, IV. Débat sur les fiançailles. V. Le divorce par consentement mutuel. VI. Sur la succession.Au sujet de la proposition de loi dite « Loi Mbau ». Entre évolution et révolution.

1ère Leçon. Proposition de loi Mbau : Institutionnalisation de la polygamie (?) en droit congolais (Modification de l’article 412 C)

Lors de discussions sur cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, tour à tour, les députés ont donné leurs avis sur la question. Les avis des uns comme des autres méritent d’être appréciés mais l’opinion d’une députée, en la personne de madame Geneviève INAGOSI, ancienne ministre de genre, famille et enfant, mérite un commentaire en droit. Dans son intervention, outre que la députée confond polygamie et polyandrie, et se montrant très critique à l’égard de son collègue Charles Nawej et ses déclarations sur la polygamie, a soutenu que ‘‘ S’il doit exister en RDC une loi soutenant la polygamie (sic!), alors la polyandrie doit impérativement être soutenue, car cela fait aussi partie des droits des femmes…’’.  Et d’ajouter par la suite ‘‘Parce que l’homme et la femme sont égaux devant la loi, si nous légiférons ici pour introduire la polygamie (sic!) dans le code de la famille, introduisons en même temps la polyandrie, c’est le droit des femmes’’. 

Outre le problème de la maitrise des concepts, qui apparait clairement aux yeux des spécialistes en la matière, la proposition  de loi sous examen ainsi que l’intervention de cette députée soulèvent deux questions en droit. Une question subsidiaire : ‘‘c’est quoi l’égalité en droit’’ ? C’est quoi ‘‘la polygamie’’ ? Et une question principale : ‘‘Faut-il introduire la polygamie dans l’arsenal juridique congolais ?’’

1. Confusion sémantique, premier problème.  

1.1. Polygamie/Polygynie/Polyandrie. 

En droit, Il sied de ne pas confondre et de ne pas opposer Polygamie et polyandrie. Il y a lieu plutôt d’opposer polygynie et polyandrie. En effet, le mot polygamie est polysémique c’est-à-dire susceptible de plusieurs sens. Deux sens sont en réalité contenus dans le mot polygamie. Ce concept désigne la situation d’une personne qui se trouve légalement mariée à plusieurs partenaires. On parle de la polygynie lorsqu’il s’agit d’un homme marié à plusieurs femmes et de la polyandrie lorsqu’il s’agit d’une femme mariée à plusieurs hommes. La proposition de loi Mbau pèche déjà au niveau des concepts. Et les différents parlementaires qui ont pris part au débat semblent tomber dans le même piège.

1.2. Egalité en droit, quid ?

L’honorable Inagosi a soutenu l’introduction de la polyandrie dans l’arsenal juridique congolais en se fondant sur l’article 12 de la constitution qui prône l’égalité de tous devant la loi. Autant la proposition de loi Mbau prône la polygamie, argumente-t-elle, il faut en même temps admettre la polyandrie, au nom de cette égalité. 

Mais en droit c’est quoi l’égalité ? Est-ce le fait de traiter tout le monde sur le même pied ? De reconnaitre les mêmes droits à tous ? Ces deux définitions engendreraient sans doute l’inégalité. Au nom d’une telle définition on devra accepter qu’un non diplômé d’Etat revendique son droit de suivre les cours en premier graduat, qu’un angolais revendique son droit de résider au Congo, qu’un voisin sans logement de venir résider dans votre maison.

En réalité l’égalité ne se conçoit que par rapport à un critère… et ce critère doit être objectif. Se référant à l’œuvre d’Aristote ‘‘Ethique à Nicomaque’’, on peut définir l’égalité comme ‘‘un traitement non différentiel basé sur un CRITERE OBJECTIF’’. Bref, traiter parfois différemment les personnes n’est pas toujours une inégalité.

Il n’y a donc pas d’emblée inégalité en instaurant la polygynie car le critère objectif à retenir ici est le nombre élevé des femmes dans la population.

2. Débat sur  l’introduction de la polygynie en droit congolais

Sur la question, on a souvent soutenu l’argument sociologique et démographique lié au nombre supérieur des femmes dans la population. Beaucoup de femmes seraient ainsi sans mariage à cause de leur nombre supérieur aux hommes. Tel semble être aussi l’argument soutenu par le député Charles Nawej. Aussi alléchant que défendable, cet argument n’interroge cependant pas le droit  congolais actuel, objet de la proposition de loi Mbau. Nous nous limiterons ici aux arguments purement juridiques, tirés du droit congolais. 

2.1. Avant d’entrer dans le fond du débat, quel est l’état actuel du droit congolais sur la question ? 

Sur la question de la polygynie, le droit congolais se présente comme un droit hypocrite et un droit misogyne

  1. Droit congolais de la famille, un droit hypocrite

Les articles 40 de la Constitution, 330 et 354 du code de la famille consacrent le caractère monogamique du mariage en droit congolais. Mais en réalité ce droit consacre implicitement la polygynie car il autorise l’époux à ‘‘fabriquer’’ à sa guise les enfants en dehors du mariage, à condition seulement de les reconnaitre (combinaison des articles 614, 616, 621, 622, 623 et 758 CF). L’avis de l’épouse, comme en droit belge, n’est pas requis pour cette reconnaissance. Cet avis n’est requis que lorsque le mari, le père, souhaite que cet enfant né hors mariage et reconnu soit introduit dans la maison conjugale (article 647 CF).

Certes le fait de ‘‘fabriquer’’ les enfants en dehors du mariage constitue une infraction d’adultère. Remarquons à ce propos que rares sont cependant les époux ou épouses qui saisissent le juge pour une telle faute conjugale. Souvent, le juge n’est saisi de cette infraction que lorsque les deux partenaires souhaitent divorcer.

  1. Droit congolais de la famille, un droit misogyne

Non seulement que le droit congolais actuel encourage l’adultère du mari mais en même temps il ne protège pas les droits patrimoniaux des femmes mariées.

En effet, en droit congolais actuel, un homme qui a des enfants nés hors mariage a l’obligation de les reconnaitre. C’est ce qu’on appelle l’Affiliation (article 614 CF). Une fois reconnus, ces enfants ont les mêmes droits que ceux nés dans le mariage c’est-à-dire nés de son union avec l’épouse (article 758 CF). En des termes clairs, ils hériteront de la même manière et en égalité parfaite des biens que le père laisserait de son mariage avec son épouse légitime. 

Pire, l’article 758 FC précité ne cite pas les enfants qu’une femme mariée peut avoir en dehors du mariage parmi les héritiers de la première catégorie. Seuls les enfants que le mari a eus dans le mariage et en dehors du mariage, mais reconnus de son vivant, sont pris en compte. Voilà comment un droit qui consacre la monogamie traite les droits patrimoniaux des femmes mariées !

Remarquons aussi qu’en droit congolais, quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux, les deux patrimoines s’inter influencent. Ainsi, dans la pratique, les biens de l'épouse profiteront, en cas du décès du mari, aux enfants que ce dernier a eus en dehors du mariage et le plus souvent à son insu.

Or, dans les pays qui ont consacré cette forme de mariage, le régime matrimonial obligatoire est celui de la séparation des biens. Il en résulte qu’à la mort d’un époux, les enfants n’hériteront que des biens laissés par le père dans son mariage avec leur mère biologique. Ainsi la polygynie se veut être une forme de mariage qui viendra protéger les droits patrimoniaux des femmes mariées.

Par ailleurs, vis-à-vis de ces partenaires hors mariage, il n’existe pas entre le mari et ses partenaires extra-conjugales une obligation de fidélité. Du coup, la femme mariée est exposée aux maladies et autres que le mari peut importer de ses relations sexuelles avec ses partenaires. Tel ne serait pas le cas en cas d’officialisation de la polygynie, les co-épouses étant soumises à l’obligation de fidélité par rapport à leur mari commun.

2.2. Pour ou contre l’introduction de la polygynie en droit congolais ?

On a souvent soutenu que la polygynie est justifiée pour le plaisir des hommes qui peuvent ainsi avoir officiellement plusieurs partenaires. On a aussi soutenu qu’il faut admettre la polygynie car démographiquement les femmes sont plus nombreuses, la monogamie empêche ainsi à moult femmes de trouver de partenaires.

Mais reconnaissons qu’en droit congolais la polygynie serait une protection pour les droits – surtout patrimoniaux - des femmes mariées tant pendant le mariage qu’à la dissolution de celui-ci, surtout en matière de succession. En même temps, il faut l’admettre, que la polygynie protège les droits des autres femmes du mari par le fait que l’officialisation de cette forme de mariage enlèverait le caractère ‘‘précaire’’ à leur relation et protègerait leurs droits notamment les droits patrimoniaux issus de leur union.

Beaucoup de législateurs l’ont compris. On peut citer ceux de la République du Congo, du Sénégal, du Mali. Dans la majorité des pays ouest-africains, la loi civile ‘‘ autorise un homme à épouser jusqu’à quatre femmes sous certaines conditions, notamment la capacité financière de subvenir au besoin de plusieurs épouses et familles’’, selon une étude de l’OCDE. En réalité, une union polygénique se limite généralement à deux femmes par couple.

Conclusion

Au finish, disons que le droit congolais deviendrait logique à lui-même en consacrant officiellement la polygynie.

Il sied d’ores et déjà de préciser qu’introduire le mariage polygynique dans notre arsenal juridique ne signifie pas effacer le mariage monogamique. Il s’agira de consacrer clairement les deux formes de mariage - monogamique et polygynique- et laisser ainsi libre choix aux époux, lors de la célébration ou de l’enregistrement, sur l’une ou l’autre forme. Ainsi pour passer d’une forme de mariage à une autre, l’accord de l’autre partenaire serait requis. De même à la célébration ou à l’enregistrement du mariage, chaque époux devra savoir dans quelle forme de mariage il s’engage.

En effet, il est hypocrite de consacrer officiellement la monogamie (article 330 CF) mais de tolérer implicitement la polygynie (article 758 CF) pour le plaisir des hommes mais pour le malheur des femmes qui sont souvent surprises, en cas de décès de leur époux que ce dernier avait des enfants hors mariage qu’il a reconnus de son vivant.

Notons en définitive que le droit congolais actuel reconnait la polygynie comme l’une des formes des mariages admises. Il ressort en effet de l’article 925 du code de la famille que les mariages polygyniques conclus selon la coutume avant le 1er avril 1951 restent valides.

Eddy Mwanzo Idin ‘Aminye

Professeur d’Universités, Docteur en Droit de l’Université Catholique de Louvain