Dans l’Est de la RDC, même les minerais certifiés n’ont de vert que le certificat

Des creuseurs d’or dans un site artisanal à Mangorejipa, village du territoire de Lubero, Nord-Kivu, Est de la RDC.  ©Umbo Salama
Des creuseurs d’or dans un site artisanal à Mangorejipa, village du territoire de Lubero, Nord-Kivu, Est de la RDC. ©Umbo Salama

Le secteur minier est essentiel pour l'économie de la République Démocratique du Congo(RDC). ll contribue à plus de 20 % du Produit Intérieur Brut (PIB). …Depuis deux décennies, avec la miniaturisation des outils électroniques  et les innovations allant dans le sens de la transition énergétique, certains minerais ont pris une importance considérable. Parmi eux, l’étain, le tantale, le tungstène, la cassitérite,… dont on trouve des gisements importants dans les provinces de l’Est de la RDC où ils sont extraits. A titre illustratif, la RDC regorge 60 à 80 % de la réserve mondiale du coltan (Colombo-tantalite). Contrairement au cuivre et au cobalt dont l’exploitation est principalement industrialisée, ces minerais ont de la valeur en petites quantités, leur extraction et transport devenant ainsi faciles. D’où le caractère artisanal de leur exploitation. Dans l’optique de la traçabilité, des efforts sont fournis pour que ces minerais quittent le pays en étant certifiés. Ainsi, les minerais extraits dans la légalité sont certifiés «verts», mais ces efforts sont loin de laver les minerais de sang et autres impuretés. Notre enquête a, en effet, révélé qu’en dépit de la certification, il s’observe de la fraude à chaque maillon de la chaîne  de l’exploitation à l’exportation. 

Nous avons été au cœur des mines de Walikale pour interviewer certains acteurs afin de  montrer combien il est difficile de rassurer que le minerai certifié est exempt d’illégalité. Une enquête d’Hervé Mukulu avec la contribution de Didi Bunakima, réalisée avec l’appui de Rainforest Investigation Network/Pulitzer center.

Des trous, des petites collines des pierres et sable autour,  des canaux de ruissellement d’eau, autour duquel un groupe d’hommes tamisent des pierres dans une ambiance bon enfant malgré la lourdeur des tâches à réaliser, voilà l’atmosphère que nous rencontrons  cet après-midi quand nous débarquons  dans le site de Kibindobindo, situé dans le groupement Bakano dans la partie sud du territoire de Walikale à environ 413 km de la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu à l’Est de la RDC.

Ce travail de lavage  de minerais, permet de séparer le  coltan qui peut être mélangé à d’autres comme la cassitérite, le wolframite, etc.

Les creuseurs, aussi démunis qu’ils sont, pour pouvoir survivre, ne peuvent proposer que ce qu’ils ont de mieux : leur énergie physique, peu importe qui en bénéficie.  Dans ce business, la convention est simple : les creuseurs travaillent pour le propriétaire du puits minier  du lundi au jeudi, ensuite ils exploitent à leur propre compte le vendredi et le samedi.  

« Satisfait ou pas, on n’a pas de choix. C’est le boss qui fixe ses principes. Vous ne voulez pas obtempérer à ces règles, vous laissez le travail.», nous laisse attendre James, ce creuseur expérimenté, entre deux bêches de sable. 

Creuser, même au prix de la vie !

Le dimanche et les nuits, il n’y a pas de service. Cela n’empêche pas à certains creuseurs malhonnêtes, cupides ou moins satisfaits de leur revenu de se glisser dans les puits la nuit pour creuser à leur propre compte, nous renseigne un responsable d’un puits en déplorant les risques qu’ils prennent. Les éboulements, un mur qui cède dans le tunnel et autres accidents du genre un pied qui se fracture, surviennent plus  souvent dans ce travail clandestin qui se fait dans le noir ou seulement avec des faibles lumières issues de lampes-torches afin de ne pas être repéré de loin, témoigne le creuseur Jackson qui se remet d’un récent grave accident qui l’a mis sur la touche 10 mois durant avec une jambe plâtrée. Et jusqu’à présent, dans une mine, il ne fait que des travaux légers.

Des irrégularités dans la traçabilité

Du moment que beaucoup de carrés miniers ne sont pas soumis à un contrôle rigoureux, n’importe qui peut se présenter dans un site minier et se faire embaucher comme  creuseur. Les propriétaires des puits miniers n’ont que besoin de la main-d'œuvre. Pourtant, l’exploitant artisanal doit être membre d’une coopérative minière, posséder une carte d’exploitant artisanal et être de nationalité congolaise tel que l’exige l’article 1er du code minier. Ce métier de creuseur artisanal serait réservé exclusivement aux nationaux selon la loi, mais dans les territoires frontaliers avec le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, des ressortissants de ces pays voisins sont repérés dans plusieurs sites miniers légaux et illégaux. « Nous voyons ici des exploitants sans carte d’exploitant artisanal, qui ne sont pas  dans un site validé ou qualifié de vert. Un exploitant qui n’est pas membre d’une coopérative minière qui  respecte les droits de société ou  le droit OHADA, alors que le  site doit être validé, classifié Zone d’Exploitation Artisanale ZEA et attribué à une coopérative », dénonce Maître Obedi Kamala, Team Leader de la thématique mines au sein de la société civile du territoire de  Walikale. Dans le secteur Bakano, par exemple, il y a des sites qui ont été validés, mais certains ont été mal localisés par rapport à l’actualisation de la carte minière.  En plus, il y a des sites validés, mais non attribués où exercent certaines coopératives de manière frauduleuse, ajoute-t-il. 

Notre interlocuteur précise ensuite que certaines coopératives exploitent sur des sites validés, qualifiés de verts, mais non attribués à ces coopératives. Une autre difficulté c’est que bon nombre de sites dits verts ne sont pas encore qualifiés de Zone d’Exploitation Artisanale, ZEA, d’un côté ; et de l’autre, dans  des sites qualifiés mis à la disposition de coopératives, mais les gens exploitent en solo ou des propriétaires des collines gèrent à leur gré ces sites qualifiés et validés, alors qu’elles devraient être sous la gestion des coopératives.   Tous ces problèmes rendent difficile le respect et le contrôle de  cette chaîne de traçabilité, déplore-t-il. 

Pourtant, tout est clair sur papier. Dans un carré minier, la coopérative se charge d’encadrer les creuseurs artisanaux. Il y a les services de l’Etat comme le service des mines et le Service d'Assistance et d’Encadrement de l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite Échelle (SAEMAPE) qui se chargent de l’administration de tout le processus de traçabilité des minerais depuis le puits jusqu’au centre de négoce. Il y a aussi la barrière où les agents de l’Agence National de Renseignements (ANR) font le contrôle des documents délivrés par l’administration minière pour se rassurer qu’il n’y a pas de minerais qui passent frauduleusement.

Néanmoins, la présence de ces agents sur le site n’empêche pas la fraude. Ils en sont parfois même des acteurs majeurs, principalement dans la “contamination de la production”. 

« Il y a bien sûr des sites qui nous entourent où des exploitants extraient des minerais. Ils arrivent avec ça ici. Ils vont voir les agents chargés de l’étiquetage et enregistrement des minerais », témoigne un creuseur.

Ils le font au nom de notre site, alors que ces minerais n’ont pas été exploités dans notre site. Mais comme cela est fait par les agents qui sont chargés de lutter contre cette pratique, nous manquons comment nous comporter car si vous osez parler, vous vous attirez des ennuis avec ces services”, nous confie un responsable d’un puits avant d’insister sur le fait qu’ils ont peur  de s’attirer des ennuis. « Mais, de fois, nous rapportons cela auprès de leurs chefs hiérarchiques. Malheureusement les sanctions ne suivent pas. », dénonce-t-il.  Quand vous dénoncez, vous verrez que ces agents reviennent vers vous pour vous dire par exemple que "vous pensiez qu’on va nous tuer ?, continuez de nous accuser, vous verrez". Alors quand on vous intimide comme ça, et au lieu de continuer à vous créer des ennuis, mieux vaut laisser tomber que d’y laisser sa peau, se résigne-t-il.  

De la fraude à chaque maillon de la chaîne!

La situation  de fraude arrange bien certains creuseurs. Ils se prennent même pour des sauveurs des agents de l’Etat qui sont envoyés dans les sites miniers sans moyens de survie.

 « La fraude minière est partout. Je vous ai dit que nous collaborons très bien avec les agents de l’Etat. De fois, ils nous facilitent la tâche lors de la déclaration de nos minerais. Vous pouvez avoir 50 kg, mais vous déclarez 40 kg et les 10 kg supplémentaires, vous les partagez. », avoue un responsable d’un puits. Naturellement, quand il s’agit d’un acte illégal, personne ne raconte par le « je » avant de justifier son acte : «  Comment vont- ils aussi survivre ici ? Ils ne vont pas quand même attendre jusqu’à la fin du mois pour qu’ils mangent ! L’Etat les a envoyés ici sans rien, mais grâce à notre collaboration, nous sommes tous en train de survivre. ».

Les minerais qui quittent un site non validé vers un site validé, ça s’appelle de la  « contamination ». Le minerai est extrait d’un site non certifié, mais entre dans la chaîne de certification. Le contraire arrive parfois ; le minerai est produit dans un site validé, mais ne rentre pas dans la chaîne. Il disparaît avant d’atteindre le centre de négoce. Pourtant, la production de la coopérative ne doit pas être différente de celle qui est présentée dans les centres de négoce.

Il y a aussi la fraude par rapport à l’achat. Celui qui achète le produit doit être connu et disposer des documents de la division des mines. Être détenteur d’une carte de négociant et doit opérer conformément aux principes  et au règlement  du code minier. Dans ce contexte, même l’exploitation industrielle patine. Des sociétés, avec des titres pour une exploitation industrielle, exploitent comme si ce sont des coopératives pour amoindrir les frais.

« Des sociétés ici à Umate, aux alentours de la  concession de la SOKIMA,  dans le secteur Bakano. Des gens qui sont là avec des titres comme sociétés reconnues à Kinshasa, mais sur terrain, ils exploitent comme des creuseurs.  Ils échappent ainsi à la responsabilité légale de payer une redevance minière, de signer un protocole d’accord et un cahier des charges avec la communauté impactée par cette exploitation », se plaint la société civile de Walikale.  

Chaque site minier validé dispose d’une série de matériels pour suivre la chaîne de traçabilité des minerais par les agents du SAEMAPE. Il s’agit notamment des ‘Tag mines’ et ‘LogBookMines’. Une fois les minerais extraits et lavés, l’agent pèse les colis, enregistre le nombre de colis dans le LogBookMines ainsi que l’identité de l’exploitant et de l’acheteur de ces minerais (Négociant). Cela se fait au niveau du site minier. A ce niveau, il faut étiqueter les colis dans le but de renseigner sur l’origine de ces minerais, l’identité du creuseur, le site, la coopérative qui occupe ce site jusqu’à l'opérateur minier.

Pour les agents de SAEMAPE qui nous ont reçu sous anonymat, avec cette chaîne,  dans les sites miniers validés, il n’y a pas de cas de fraude. Mais il y a des sites non validés autour de ceux validés par le gouvernement où s’observent souvent des cas de fraude.  Ils reconnaissent qu’il y a des creuseurs qui viennent avec des minerais en provenance de ces sites non validés et les injectent dans le circuit des sites autorisés pour faire croire que cela provient des sites validés. La plupart des fois, ce sont des minerais qui proviennent des zones sous contrôle des groupes armés.

« Malheureusement, il y a nos agents qui sont dans les sites validés et qui procèdent à l’étiquetage de ces minerais qui proviennent des sites non autorisés et les mettent dans le circuit normal de traçabilité. Ils font ça car ils reçoivent souvent des menaces de la part de ces groupes armés s’ils ne le font pas. », justifie un agent de SAEMAPE.  Dans le village de Siyo, où il y a des combattants du groupe armé « Mai Mai KIFUAFUA », ils exploitent le coltan et la cassitérite dans un site non validé. Alors, ils utilisent des civils pour transporter leurs minerais jusqu’à Kibindobindo pour faire croire que ç’a été exploité dans ce site.  

Acheminé au centre de négoce, le colis reçoit le deuxième Tag qui va acheminer les minerais vers le centre de traitement. Ça s’appelle « Tag négociant ». Cette certification de traçabilité permet à l’Etat de maximiser les recettes.

Au niveau du centre de négoce, il y a l’administration des mines qui prend en charge ces minerais, qui les documente et les conditionne en raison de 50 kg par colis. Après, ils établissent les documents légaux, les documents exigés. Là, au niveau du centre de négoce, les taxes dues sont payées, puis le transporteur prend en charge les minerais du centre de négoce jusqu’au centre d’exportation, autrement dit jusqu’à l’entité de traitement. A ce stade, l’administration des mines et la CEEEC prennent en charge ces minerais. Lors de l’exportation, il y aura aussi l’intervention de la DGDA, l’OCC, le CEEG qui, à leur tour, vont établir les différents documents qui facilitent l’exportation de ces minerais vers les pays de transformation. 

Et à ce niveau, il y a « la déviation des minerais ». Quelqu’un achète le minerai proprement  au centre de négoce, mais il se perd dans le parcours de la chaîne. Il n’atteint aucune usine de traitement et n’est exporté dans aucune autre voie légalement connue.  Même au niveau des entités de traitement qui sont censées faire sortir le minerai du pays  légalement, certaines quantités sortent en dehors de la chaîne tracée, nous ont confié des témoins dans un  entrepôt en ville de Goma. 

A partir du centre de négoce, l’on doit connaître la destination du minerai, mais quand après le traitement, il est orienté dans une destination inconnue, c’est de la fraude.

Et les raisons sont claires. Par exemple, il n’existe a aucun comptoir agréé à Walikale, mais tout le monde est devenu « creuseur à balance ». Dans la cité de  Mubi, si vous jetez un  regard dans les boutiques des produits divers, nombreuses ont aussi des balances pour signifier qu’ils achètent aussi des minerais. Et la destination finale de leurs produits n’est pas connue.  Cette équation de la destination finale des minerais s’écorce quand un autre agent majeur, quasiment incontrôlé entre dans le jeu : un groupe armé.  

La société civile peint ainsi le tableau d’une exploitation minière sombre, très déplorable et non transparente. Qui atteste que mêmes les minerais certifiés n’ont de vert que le certificat.

La conséquence, rien ne change bien qu’il y ait une nouvelle loi minière promulguée à Kinshasa depuis la date du 9 mars 2018, qui a modifié celle de 2002.  

Faute d’application des innovations de cette loi, les minerais du Kivu sont exposés à financer des groupes armés, des mouvements terroristes pour qu’ensuite ces mêmes groupes nous exterminent avec nos propres ressources minières, déplorent les activistes environnementaux.

 

A suivre…