RDC : pour Amnesty International, l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri a porté “atteinte” aux droits des personnes en toute impunité

Une moto incendiée à Beni par des manifestants contre l'état de siège
Une moto incendiée à Beni par des manifestants contre l'état de siège

Amnesty International a rendu public, ce mardi 10 mai, à Kinshasa, son rapport sur l'état de siège en vigueur dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri en République Démocratique du Congo. Dans ce rapport intitulé " RDC : la justice et les libertés en état de siège au Nord-Kivu et en Ituri", cette organisation de défense des droits de l'homme note qu'une année après sa proclamation, cette mesure d'exception n'a pas réussi à atteindre l'objectif déclaré d'améliorer au plus vite la situation sécuritaire.

L’organisation affirme que les autorités militaires placées à l'endroit des civils ont, au contraire, utilisé leurs pouvoirs exceptionnels pour porter encore plus atteinte aux droits des personnes en toute impunité notamment au droit à la liberté d'expression et de réunion, et au droit à la justice.

« C'est un rapport qui montre comment l'état de siège qui était censé aider à améliorer la protection des civils et à combattre les groupes armés a été plutôt utilisé par les autorités militaires pour faire taire toute voix critique, réprimer y compris violemment, en jetant les activistes des droits humains en prison en toute impunité et comment cet état de siège a également occasionné le dysfonctionnement total de la justice dans cette partie du pays, une justice qui était déjà affectée par des années des conflits. Donc on a des prisons surpeuplées déjà à l'époque qui sont encore surpeuplées qu'avant avec le taux atteignant 1000% de remplissage, on a le nombre de détenus provisoires qui a explosé », a expliqué, devant la presse, Jean-Mobert Senga, chercheur sur la RDC pour Amnesty International.

Et de poursuivre :

« Nous avons des personnes qui sont en prison alors qu'elles ne devraient pas l'être pour plus au moins le tiers de la population carcérale qui est en prison de manière arbitraire. L'état de siège a servi à malmener les libertés publiques et les droits humains dans ces provinces qui sont déjà suffisamment meurtries par des années de conflits et de violations des droits de l'homme. Comme vous le savez, le Nord-Kivu par exemple, c'est la province qui a le record des violations des droits de l'homme dans tous les rapports du BCNUDH depuis qu'il a été créé et malheureusement depuis une année, on a vu une augmentation substantielle de ces violations y compris par les groupes armés et par les acteurs étatiques ».

Le rapport de Amnesty International indique que l'état de siège n'a épargné les voix critiques à cette mesure d'exception prise par Félix Tshisekedi afin de lutter contre les groupes armés dans la partie Est du pays. Pour appuyer son argumentaire, plusieurs cas ont été illustrés.

« Nous n'avons pas eu des cas de répressions, de manifestations qui auraient été interdites par contre quiconque a dit, mis en cause la performance des autorités militaires. Au moment où je vous parle, il y a trois députés qui sont en prison, deux députés provinciaux dans la prison de Goma poursuivis pour outrage au Chef de l'État et outrage à l'armée. Pourquoi ? Parce qu’ils ont dit que l'état de siège n'avait pas réussi à améliorer la protection des civils tout simplement. Il y a un autre député de l'Ituri (Bunia) qui est en prison, condamné à une année tout simplement parce qu’il a osé poser des questions aux militaires sur la destination d'ordinateurs qui étaient destinés aux écoles dans la province par le gouvernement central », révèle Jean-Mobert Senga, chercheur sur la RDC pour Amnesty International.

Et de poursuivre :

« Pour ce qui est des activistes, il y a 12 activistes de la Lucha qui étaient condamnés il y a un mois à une année de prison, tout simplement pour avoir organisé une manifestation pacifique dans laquelle ils demandaient à ce qu'on puisse évaluer de manière conséquente l'état de siège avant sa prolongation. Ils ont été arrêtés, ils ont passé 5 mois en prison sans être jugés et quand ils ont été jugés, ils ont été condamnés à une année de prison, certains d'entre eux sont tombés malade pendant la détention à cause des mauvaises conditions de détention, c'est une punition totalement injustifiée, inhumaine et inutile. Il y a d'autres cas, ce n'est pas que ces deux cas, il y a eu également au moins deux activistes des droits humains qui ont été tués pendant cet état de siège : Kabrale Yombo de Walikale qui dénonçait les taxes illégales par des militaires et puis Mumbere Ushindi de la Lucha tué au mois de janvier par des policiers pendant une manifestation. Il y a eu 3 journalistes qui ont été tués, y compris un journaliste de la RTNC Station de Rutshuru, le gouvernement, le ministre de la communication a promis à plusieurs reprises des enquêtes jusqu'à ce jour aucune enquête n'a abouti, personne n'a été jugée pour ces meurtres-là ».

Pour Jean-Mobert Senga, l'état de siège étant une mesure d'exception, il ne doit pas durer longtemps d'autant plus que l'armée et la police ont déjà pour rôle la protection de l'intégrité territoriale mais aussi des personnes et de leurs biens.

Déclaré le 3 mai 2021 et entré en vigueur 3 jours après, l'état de siège a totalisé, le 6 mai 2022, une année jour pour jour. Face aux multiples critiques et à son bilan mitigé pour certains, le Chef de l'État Félix Tshisekedi avait, après avoir reçu le rapport du gouvernement, annoncé la tenue d'une table ronde afin de statuer sur l'avenir de cette mesure d'exception.

Clément MUAMBA